Double Je

Chapitre 12 : Une question de tact

– Gwen était ma meilleure amie au lycée. Jusqu'au jour où elle est tombée amoureuse d'un garçon.

Darius s'apprêtait à commenter, mais je posais mon index devant ses lèvres. Surpris, ça le coupa dans son intention. Je retirais prestement ma main, troublée par mon impulsivité. Je serrais mon doigt avec ma paume, pour être certaine qu'il reste sagement à sa place.

– Je sais, ça fait cliché. Tu te doutes bien que c'est plus compliqué que ça, puisqu'elle est aujourd'hui à l'hôpital. Gwen était au courant pour Lyra. Plus que ça, elle lui parlait, cherchait à comprendre son origine... C'était – c'est, corrigeai-je, une mordue de fantasy. Alors quand elle a su pour les pouvoirs de Lyra, elle a voulu tout essayer, explorer son potentiel et ses limites. On s'amusait. On a probablement fait quelques conneries, mais rien de bien méchant. Au début, ce n'était pas dangereux. Puis progressivement, ça flirtait avec la limite. Influencer en donnant une directive pour avoir un supplément de frites, c'est une chose. Prendre le contrôle total de quelqu'un, c'en est une autre.

Darius écarquilla les yeux. Je détournais mon regard, ne tenant pas à assister à ses futures réactions.

– Et pourtant, on a continué. On améliorait la projection, notamment pour falsifier nos notes.

Un faux sourire s'étala sur mon visage. En y repensant, je me rendis compte à quel point on avait joué à un jeu dangereux.

– Il y a eu ce garçon, grimaçai-je. Gwen n'osait pas lui parler, mais elle en était follement amoureuse. J'ai essayé de la convaincre de lui écrire, de discuter. J'ai vraiment essayé, tu vois ?

Entre me convaincre ou persuader Darius, j'ignorais à qui cette phrase s'adressait. Ma main s'accrocha à ma nuque, alors que mes ongles s'enfonçaient dans ma peau. Malgré ma lèvre tremblante, je poursuivis mon récit.

– Elle n'y arrivait pas. Gwen m'a demandé si je pouvais l'aider. Plutôt, elle a demandé à Lyra de l'aider. Et je... on a accepté. On était d'accord pour utiliser la projection sur elle. D'habitude, ça fonctionnait quelques minutes, une dizaine tout au plus. Sauf que là, on s'est retrouvé comme bloquées. Lyra et moi, on est resté dans le corps de Gwen pendant plusieurs heures.

Ma voix se tut, laissant une pause le temps de rafraîchir mes idées. Je serrais les poings, prenant mon courage à deux mains pour affronter le regard de Darius. Contrairement à mes attentes, il n'était pas blasé, outré ou jugeant.

Simplement attentif, à l'écoute, avec une douceur dans les prunelles qui me rendit frissonnante. Il leva légèrement les sourcils, patient. Sa main tressaillit, alors que je crus qu'il allait la lever, elle serra sagement son genou.

Tu peux aller jusqu'au bout, m'encouragea Lyra. Darius n'est pas un imbécile fini, malgré son sale caractère.

Je souris légèrement, avant que mes poumons ne se remplissent d'air frais. Les étoiles brillaient un peu plus au fur et à mesure que les nuages se dispersaient.

– Gwen voulait que je prenne possession de son corps et que j'aille parler à ce garçon. Malgré mes réticences et celles de Lyra, on a fini par accepter. On maîtrisait la projection, tu vois ? Et Gwen se laisserait faire, rien ne pouvait présager... rien n'était censé mal se passer. Ça aurait dû fonctionner sans problème ! m'emportai-je subitement.

Je portais mes doigts à la bouche, réfrénant mes émotions. Mes muscles se contractèrent, tandis que je tentais de conserver un calme apparent.

– Lyra a utilisé la projection sur le corps de Gwen. On a parlé à ce garçon, qui craquait aussi sur Gwen ! Le reste est flou, mais je sais qu'on a continué de discuter, j'étais heureuse. Lyra a fini par comprendre plus tard que je m'étais imprégnée des émotions de Gwen. Au lieu de la laisser revenir après avoir prononcé quelques mots, j'ai fais miens ses sentiments. Je pensais être dans mon corps, je me suis mêlée à Gwen sans pouvoir... sans vouloir, rectifiai-je honnêtement, en sortir. Et j'ai continué de vivre comme ça pendant plusieurs heures, en papotant avec ce garçon comme si j'étais la fille amourachée. Je ne savais plus qui j'étais. Littéralement.