Double Je

Chapitre 21 : Il faut sauver le soldat Darius

Gwen papillonna des yeux, hagarde.

– C'est le moment où on file, signala Lyra.

– Non ! refusai-je. Laisse moi un instant.

Lyra saisit mon bras et m'obligea à me lever. Mes faibles muscles ne pouvaient contrecarrer sa force, pourtant je résistais.

– Cassiopée ? articula difficilement Gwen d'une voix rauque.

Logique que Gwen pose cette question. Sauf qu'elle aurait dû regarder le corps de Lyra, pas le mien. Pas ce visage inconnu. Je lui souris, les larmes au bord des yeux.

Lyra continua de me pousser hors de la chambre en m'incendiant du regard. Je me dégageais, avant de me rapprocher du lit de Gwen.

– Vis ta vie à fond, n'hésite plus et sois heureuse, lui souhaitai-je.

Gwen fronça les sourcils, abasourdie. Je lui adressais un sourire plein d'émotions, parasité par ma tristesse de la quitter, puis cédais à l'insistance de Lyra. Le visage de Gwen était fatigué, décontenancé et mélancolique, pourtant ses yeux trahissaient une vivacité toute nouvelle. Ils pétillaient de cette curiosité que j'avais tant aimé chez elle. Mais pour son propre bien, désormais, elle devrait continuer seule.

Le hasard voulut qu'à l'instant où je quittais le hall de l'hôpital, j'aperçus sa mère et son petit frère au loin. Lyra était déjà dans la voiture, ne me lâchant pas du regard. Bien sûr, la mère de Gwen ne me reconnut pas, mais sentit que je l'observais. Elle éloigna son fils de ma position par le bras, en me lançant un avertissement silencieux si j'osais m'approcher.

Ils allaient tous les deux avoir une sacrée surprise en pénétrant dans la chambre. Et j'avais beau détester la vieille mégère, je fus contente de la voir. Tout comme le visage plein d'espoir de son fils me réchauffa le cœur. Pour une fois, son souhait serait réalisé, il allait retrouver sa sœur.

Lyra klaxonna, détruisant toute la discrétion dont nous étions censées faire preuve. Je m'assis dans la voiture sans tarder, avant qu'elle ne démarre en trombe sur le parking de l'hôpital.

– On avait convenu qu'on partait directement, me réprimanda-t-elle.

Je n'en avais cure. La joie de savoir que Gwen était enfin revenue me parcourait, accompagnée de la tristesse de savoir que jamais je ne la reverrais. D'une part car elle ne me connaissait pas sous cette apparence, d'autre part à cause du danger que je représentais.

Bien que je lui aie volé plusieurs années de sa vie, désormais, elle avait l'occasion de la poursuivre. Et ça me suffisait. Probablement garderait-elle des souvenirs confus de son réveil et se rappellerait vaguement de mon visage. Les médecins mettront ça sur le coup du traumatisme, ce qu'elle finirait aussi par faire.

Le silence s'installa dans l'habitacle, car la réussite de ce projet signifiait une unique chose : qu'il était temps de réduire Kida à néant. Ils nous restait quatre jours avant la pleine lune et nous devions agir maintenant. Elle savait que la pleine lune était favorable à l'utilisation de la magie dans le sanctuaire, et utiliserait donc ce paramètre pour augmenter la probabilité de réussir à ramener l'âme de sa compagne.

Cependant après des siècles d'attente, elle ne se ferait pas prier pour commencer sans nous. Mon regard dériva sur le paysage, traversant ville et campagne à tour de rôle. Malgré la présence de Lyra sur le siège conducteur, la solitude me pesa.

Réveiller Gwen sans pouvoir lui parler marquait la poursuite de ma vie errante d'éternelle gardienne de l'âme. Jusqu'à maintenant, dans chaque existence, je m'éloignais immédiatement des proches que l'on avait mis sur ma route. C'était pour me protéger, autant que pour les garder à l'abri des sbires de Kida.