Chapitre 13 : Une fuite douloureuse

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Ma main captura naturellement la sienne, puis je me rapprochai de lui.

Je ne te jugerai pas, je l'ai promis, lui évoquai-je.

Je pensais qu'il s'éloignerait. Au lieu de ça, il enserra nos doigts. Ma peau collée à son épiderme m'électrisa, et des frissons parcoururent ma colonne vertébrale.

Cassi, c'est interdit, me prévint Lyra.

Je sursautais, m'apprêtant à retirer ma main. Sauf que Darius semblait désormais s'y accrocher comme une bouée de sauvetage. Je refusais de laisser passer cette ouverture. J'étais persuadée que ça pouvait lui faire du bien d'en parler, autant que ça m'en avait apporté la veille.

Il leva les yeux au ciel, peu conscient de notre proximité. A l'inverse, tous mes sens étaient en émoi, et mon esprit plus vif qu'à l'accoutumée.

Kâla a attaqué ma maison. Je devais avoir huit ou neuf ans et je vivais avec mes parents, murmura-t-il, ses mots se perdant presque dans la légère brise qui nous enveloppait. Mon père, gardien du vent, avait un sens du devoir exemplaire. Quand il a aperçu les hommes de main de Kâla, il nous a fait prendre la fuite, à ma mère et moi. On a filé à vive allure sur la route, jusqu'à ce qu'on soit à court d'essence. Je mourrais de faim, alors ma mère est partie m'acheter quelque chose dans la station service. Mais ils nous ont retrouvé. Mon père patientait dans la voiture, j'étais à l'arrière. Quand ils sont arrivés, il n'a pas réfléchi et a démarré en trombe, alors que ma mère sortait du magasin, les bras chargés de victuailles. Je m'en souviens comme si c'était hier.

Sa voix s'éteignit, tandis qu'il fermait douloureusement les yeux. Sa main se referma un peu plus sur la mienne et automatiquement, je caressais sa peau du pouce pour le réconforter. Son parfum boisé emplissait mes narines. Darius fournissait un gros effort pour m'avouer son histoire. Je devais me retenir de lui demander des détails, ou de faire une remarque poussée par mon habituelle curiosité.

Les hommes de Kâla ont sauté sur ma mère, puis placé un couteau sous sa gorge pour empêcher mon père de partir. Ma mère était effrayée. Elle ne m'a pas lâché du regard, pas une seule seconde, se remémora-t-il, la gorge nouée. Malgré cette menace, mon père a appuyé sur la pédale et on a déguerpi.

Un creux se forma dans mon estomac. Son père avait abandonné sa mère sans l'ombre d'un doute ? C'était affreux !

Pourquoi... soufflai-je, estomaquée.

Pourquoi ne pas avoir utilisé ses pouvoirs ? supposa Darius avec un rire nerveux. On ne pouvait pas gagner contre Kâla, mon père le savait, ma mère aussi. Elle avait peur, mais elle aurait été d'accord avec la décision de mon père – selon ses dires. Son rôle de gardien avant tout. Je ne pouvais rien faire, tout est allé trop vite et j'étais un gamin. Quoi qu'il en soit, on a réussi à leur échapper et ça a coûté la vie à ma mère.

Les larmes me brûlèrent les yeux, tant je trouvais ça atroce. J'étais à même de comprendre la douleur d'un orphelin. J'avais envie de prendre Darius dans mes bras, de lui promettre que ça irait maintenant, de le consoler et lui apporter tout le soutien que je pouvais prodiguer.

Cependant, consciente de l'inconvenance du geste, je me contentais d'envoyer tous ces sentiments dans nos mains liées. Ses yeux balayaient toujours le vide, je lui laissais le temps de poursuivre à son rythme.

Sur le coup, le gardien a agi. Mais est revenu plus tard le mari.

Il leva la tête vers le lointain, les traits soudain plus durs. Le vent souffla autour de nous, enragé comme semblait l'être Darius.

Il n'a pas supporté ça. Perdre ma mère, ça l'a fait craquer. Toute la pression du rôle de gardien est ressortie et il a pété un plomb.

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