24h de surveillance

Dixième chapitre

Je fixe mon père assis sur le fauteuil en face de moi. Un regard noir. Sourcils froncés. Il tient un sac de petit pois congelé sur son front, là où je l'ai frappé il y a environ une heure. Ma génitrice, que je n'ose même plus regarder, lui sert un verre d'eau qu'elle pose sur la table basse. Puis, elle s'assied juste à côté de moi. Je me décale de quelques centimètres. Sa présence m'insupporte plus que tout. Je sers les poings, et tape du pied.

— Trina, s'il te plaît arrête...

Je regarde ma mère et lui ris au nez. Comment ose-t-elle me dire ça ? Je ne sais même pas ce que je ressens. Mon père vient de revenir après deux ans d'inexistence et elle m'interdit d'être sur les nerfs, stressée et en rage ? Un long moment s'écoule avant que ma mère ne prenne la parole. Elle racle sa gorge et joint ses mains devant ses genoux. Je sens qu'elle cherche ses mots :

— Il y a environ six mois, je cherchais un logement, une maison pour nous y installer définitivement.

Je regarde mon père droit dans les yeux. Comment est-ce que j'arrive à rester dans la même pièce que lui ? Ma mère continue son monologue :

— Je suis tombée, par grand hasard, sur ton père Trina. C'est lui qui me faisait visiter la maison. J'étais sous le choc. Comme toi. Le revoir après presque deux ans a été très dur.

Je marronne dans ma tête. Mes jambes tremblent rien qu'en entendant tout cela. Quand j'écoute ma mère, je m'attends à une longue tirade sur le pardon, la seconde chance et toutes ces conneries...

— Pendant ce qui devait être une visite, nous avons parlé. Des heures et des heures. Des cris, des pleurs, de la colère et de la tristesse. J'ai mis plusieurs jours avant de le revoir. Devais-je t'en parler ou garder ce secret pour moi ? J'étais perdue. Complètement perdue. Huit jours plus tard, je l'ai revu. Et dans la foulée, j'ai compris que chaque être humain avait le droit à une seconde chance.

Bingo ! Elle va me faire culpabiliser en plus ?! Mes muscles se tendent. La colère monte davantage. Son discours est pathétique. J'ai envie de leur rire au nez.

— J'ai expliqué à ton père qu'il nous faudrait du temps avant qu'il ne revienne. Je lui demanderai de venir seulement après, s'être installées ici. Chez nous.

Ma mère se tait. Je regarde la table basse, observe chaque détail du meuble. Je ne réagis même pas à ses paroles. A vrai dire, je reste sans voix, par où commencer ? Je le déteste, elle aussi d'ailleurs. Je haie mon père de toutes mes forces. J'entends ma mère s'agiter dans son fauteuil. Va-t-il enfin parler ? Va-t-il s'excuser, me supplier pour que je lui pardonne ? Va-t-il dire la vérité pour une fois dans sa vie ?

— Jelena...

D'un seul coup, je vrille. Je frappe le verre de la table basse avec mon poing. De toutes mes forces. Le verre éclate et la table se brise violemment, en mille morceaux, laissant un pied maintenir le vide.

— Mon nom est Trina !!

Je me lève du canapé et cours vers la porte d'entrée. Ma mère m'ordonne de revenir mais je sors, attrapant des chaussures au passage. Je cours dans le froid, dépassant le portail de notre maison en entendant ma mère hurler au loin. L'adrénaline me mène vers le centre-ville. Le vent fouette violemment mon visage et mes yeux sont noyés de larmes. Je croise deux hommes qui me dévisagent. Arrivée au bout de la rue, je tourne à droite et tombe sur mes genoux. Je pleure, écroulée au sol. Je reprends ma respiration et enfile mes baskets avec difficulté. Une fois cela fait, je regarde mes mains posées sur le bitume glacé. Elles saignent abondamment. Mais je ne sens rien. Je tente de me calmer. Mais je n'y arrive pas. Je ne peux pas me calmer alors que ma tête risque d'exploser. Je suis déboussolée. Au bout d'un long moment, je ne ressens plus le froid. Mon corps est faible. Je n'ai plus d'énergie. Aucune. Je sèche mes larmes et me relève lentement, m'appuyant sur un poteau. La main posée dessus, je la regarde quelques secondes avant de faire demi-tour. J'ai froid. Terriblement froid. Pourtant, je n'ai aucune envie de rentrer chez moi, d'être bien au chaud dans ma maison. Je veux être seule.