CHAPITRE 13

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Elaïa

10 h 45, Bibliothèque de la faculté de lettres, Nice,

Je salue timidement Marc avant de m'installer à l'une des tables de la bibliothèque universitaire. J'ouvre mon ordinateur et tente d'écrire mon argumentation de texte sur Naïs Micoulin de Emile Zola, seulement, tout ce que je vois face à moi est Roxie. Roxie et ses larmes, Roxie et son cœur brisé, Roxie et toute la peine que je lui inflige. Puis, Simon s'immisce dans mon esprit. Simon et son arme, Simon et ses yeux vert émeraude. Simon, l'homme qui a assisté à toute la dispute avec Roxie. Je soupire et ma tête retombe contre mes bras croisés. Bientôt deux semaines que je m'automaltraite. Mes nuits sont inexistantes, mes journées sont dramatiques. Mes repas sont de simples heures sur l'horloge. J'ai activé le mode robotique dans le simple objectif de réussir à terminer mon plan, peu importe les dégâts. Je me lève à quatre heures du matin, heure à laquelle je capitule et abandonne l'idée de dormir un peu. Je me douche, recroquevillée sous les jets, espérant que les images toutes plus douloureuses les unes que les autres s'effaceront. Je m'habille, resserrant toujours un peu plus le scotch autour de mes cuisses, me forçant à mettre un jean, pour ne pas paraître comme une totale dépressive. Je maquille, démaquille puis remaquille mon visage dont les cernes gris commencent à envahir l'ensemble de mes joues. Je regonfle faussement mes joues qui se creusent à vue d'œil avec du fond de teint. J'évite la cuisine et vers cinq heures du matin, je craque finalement pour un thé glacé sans sucre, sans fruit, pour finir sur la Promenade des Anglais vers cinq heures trente à tenter de lire au moins un chapitre d'un livre. N'importe lequel, juste pour faire taire les voix qui hurlent sous mon crâne. Tout ça, sous la surveillance à peine discrète de Simon. J'entame finalement ma journée en discutant avec Cam, évitant Roxie, rêvant plusieurs fois d'étrangler Victor. Incapable de suivre les cours, je dois piquer du nez aux environs de onze heures, puis me réveille une demi-heure après, prise de panique, la pièce m'oppressant, je suffoque, ma poitrine se comprime mais je reste sur ma chaise, fixe un point et attends dans la souffrance qu'on nous libère enfin. J'évite la cafétéria, passe le reste du temps dans la bibliothèque avant de reprendre la route de mon appartement. Là encore, un nouveau rituel se met en place, j'évite toujours la cuisine, je reprends une douche, toujours recroquevillée, toujours en espérant que les images et les voix se taisent enfin. J'enfile ma tenue de sport puis cours entre une et deux heures, toujours sous la surveillance de Simon, pour finir sur un banc, priant encore et toujours pour que les voix ne m'assaillent plus. Je retarde le plus possible le retour dans mon appartement, je reprends une douche, évite une nouvelle fois la cuisine, m'allonge sur mon tapis de salon avec le casque sur les oreilles, fixant un point sur mon plafond. Sur les coups de deux heures du matin, je m'enfonce dans mon lit, observe mon écran de téléphone qui reste désespérément noir, pestant contre moi-même d'attendre un appel qui ne viendra jamais, tout en sachant pertinemment que même s'il appelait je ne répondrais pas. Vers trois heures j'abandonne, active le mode avion sur mon téléphone, ferme les yeux, mais les réouvre parce que quand je les ferme, les visages déçus et en colère des personnes que j'affectionne reviennent. Enfin, j'assiste impuissante pendant une bonne heure à un défilé mental de tous mes bourreaux. Vers quatre heures du matin, je capitule et recommence une nouvelle journée.

Dix jours et je crois que je n'ai jamais autant ressenti la douleur malgré vingt-deux années à encaisser les coups. Dix jours. C'est long surtout quand on s'enfonce heure après heure. Arthur avait raison, mon obsession me bousille, Marie a raison, mon cœur noircit chaque jour un peu plus. Protéger, tuer, avancer, c'était le plan. Malheureusement, sans que je parvienne à contrôler les imprévus, je chute. À force de trop me pousser moi-même au bord du précipice, j'ai fini par tomber et je ne parviens plus à me rattraper. Du moins aucune accroche n'est assez solide pour m'éviter de dégringoler.

Sous Le Masque Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant