CHAPITRE 16

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Roxanne

Trois jours plus tard, 16 h 30, Faculté de Nice.

Les morceaux de bouchons m'irritent la langue. Mon pied menace de faire un trou dans le carrelage de la classe. Je ne dors plus depuis que Victor a quitté mon appartement. Je n'ai pas tous les éléments pour comprendre l'histoire même s'il m'a donné l'explication de sa présence dans nos vies depuis un peu plus de deux mois. Les lèvres de mon professeur bougent, toutefois, je suis incapable de retranscrire un seul mot de ce qu'il nous raconte. Les paroles de Victor n'ont de cesse de tourner dans mon esprit puis se mélangent à celles d'Ela. Quand ils arrivent enfin à se taire, c'est le visage de Simon qui apparaît. Victor et son meilleur ami sont des salauds de la pire espèce, l'un m'a manipulé pour sa foutue mission tandis que l'autre a pris un malin plaisir à me brûler la chair. Quant à Ela, elle m'a blessée comme jamais je n'aurais pensé. Stupidement, je me surprends à négocier avec mon propre esprit. Si je suis capable de pardonner et d'excuser les mots d'Ela, pourquoi ne pourrais-je pas en faire de même avec ceux de Victor ?

Je secoue la tête devant ma naïveté évidente. Ma meilleure amie a eu des mots durs, proche de l'impardonnable, toutefois, elle reste Ela, mon Ela, qui se braque, se renferme et repousse tout le monde quand elle n'a plus le contrôle sur une situation. Victor est un inconnu qui, au-delà des mots, m'a blessé physiquement. Du moins il a été complice de cette agression. Les deux situations sont incomparables et pourtant, je suis là à encore trouver des excuses à Victor pour son comportement. Une chose est certaine, Simon n'aura jamais mon pardon. Si j'ai entendu qu'il a agi sur demande de Victor, son attitude et ses menaces perpétuelles font de lui mon ultime tortionnaire.

Mademoiselle Mesnil, une réponse peut-être? me tire mon professeur de ma léthargie.

Je souris avec toute l'hypocrisie dont je suis dotée et réplique placidement :

— Néo a raison, moi aussi j'aurais choisi la pilule rouge.

Les rires explosent dans la classe de TD, mon interlocuteur désapprouve d'un signe de tête. Je pourrais lui dire que je me contrefous de son cours, toutefois, il en a déjà pleinement conscience. Malgré sa profonde volonté de me réprimander, il se résigne et n'exige que le silence. Il se détourne de moi et reprend son cours. Je n'écoute rien de plus durant l'heure qui suit. Je me précipite hors de la classe et rejoins le couloir des casiers. J'aperçois Cam du coin de l'œil au bras d'Apopute. Je grimace puis réalise qu'il est totalement désintéressé de sa petite-amie. Rien d'étonnant quand on a Apolline Lacourt comme copine. Néanmoins, je suis son regard et tombe sur le frêle corps d'Ela. Son casque sur les oreilles, les yeux rivés sur ses baskets, mon cœur se pince. Elle a encore maigri, elle semble terriblement fragile. Quand sa tête se relève, mes yeux croisent ceux de Cam. Ela a tellement de cernes qu'il est impossible de tous les dissimuler sous son maquillage. Mon meilleur ami me transmet son inquiétude à distance, je suppose qu'il a déjà essayé de pénétrer la bulle d'Ela sans succès. Depuis que nous nous sommes disputées toutes les deux, elle a élevé une forteresse entre nous trois. Au-delà de sa colère à mon encontre, il y a autre chose, elle nous repousse pour nous protéger de ce qu'elle aime appeler sa noirceur. Celle que nous avons découverte en apprenant son passé avec Tiffany et Catherine. Celle qui la rend obsédée par Simon et celle qu'elle utilise pour parfaire son masque d'Hécate. Elle pense qu'on l'abandonnerait si on en découvrait toute la réelle étendue, parce que dans sa vie ça n'a été que ça un enchevêtrement d'abandons, tous plus rudes les uns que les autres. La méfiance et la solitude mènent la danse. Je sais qu'au fond elle tient à nous. Seulement Ela ne sait pas le dire, parce que si elle pense qu'on peut être terrifié par sa noirceur, elle est tétanisée par cette autre émotion qu'on appelle l'amour. Dans son langage, tenir à quelqu'un c'est le préserver de tout ce qui émane de son quotidien, surtout sa pseudo-noirceur. Dans le nôtre, on combat et on rit ensemble, on sèche les larmes et on éteint les peines ensemble. Parce que même dans les amitiés imparfaites on signe un contrat invisible qui jure qu'on sera là pour le meilleur et pour le pire.

Sous Le Masque Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant