CHAPITRE 54

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Simon

21 h 30, Loft de Simon, Monaco.

C'est une erreur.

À ce stade de l'histoire, ce n'est plus une surprise. Notre proximité est une erreur depuis le départ. Il suffit de me rappeler le regard que Victor m'a lancé quand je lui ai annoncé que j'allais retrouver Ela pour savoir combien ma décision est mauvaise. Néanmoins, la nuit a été bien trop difficile. Elle était là, dans mon salon, à une porte de moi et je n'avais qu'une envie : l'attirer à moi. Je voulais sentir sa chaleur, poser mes mains sur elle, détailler chaque partie de son corps. Nue ou habillée, peu m'importe, je n'avais besoin que de savoir qu'elle était là, proche de moi. Cette nuit, je voulais l'entendre s'énerver, qu'elle parle, qu'elle se dévoile. Je voulais qu'on se dispute, qu'on se repousse quitte à chuter dans ce foutu vide. J'aurais tout accepté, je me serais plié à chacune de ses conditions tant qu'elle ne m'imposait pas son indifférence. Parce que son ignorance est la seule chose que je refuse d'elle.

C'est une erreur.

Parce que la choisir revient à jouer avec la mort elle-même. Victor a raison, s'il réalise que je ne supporte plus d'être éloigné d'Ela, il viendra me l'arracher de la pire des manières. Aujourd'hui cela va au-delà d'une question de propriété, si elle n'est qu'une proie à ses yeux, aux miens, elle est l'espoir d'aller mieux. Vraiment mieux.

C'est une erreur. Mais ce soir, je m'en fous. 

Je me verse un whisky et lui en propose un, qu'elle refuse. Elle se dirige vers l'extérieur, comme si elle étouffait déjà d'être avec moi. J'avance vers la baie vitrée, puis opère un demi-tour, je me lance une nouvelle fois, mais peste et retourne sur le tabouret de la cuisine.

J'ai l'air con.

J'inspire longuement et la rejoins après la troisième tentative. Elle reste silencieuse, et comme à mon habitude, je la détaille. Elle est jolie. Je crois même que je la trouve encore plus jolie qu'avant.

—    Combien as-tu lu de livres aujourd'hui ? demandé-je en cassant le silence.

Ses paupières se ferment, ses lèvres se pincent. Elle se débat parce qu'elle le sent aussi, ce soir il n'y a pas la même odeur que d'ordinaire dans les airs. Même les plus futiles de mes mots n'ont pas le même impact et prétendre le contraire ne ferait que nier l'évidence. Ici, à cet instant, il règne une tension nouvelle, celle du précipice. Mais pas de son bord, non, celle du vide dans lequel je décide de nous jeter. Peu importe les risques et les conséquences que je sais d'ores et déjà meurtrières. 

—    Un traitement ? élude-t-elle.

Je grimace toutefois, j'ai conscience que je vais devoir en passer par le jeu des questions-réponses. Je ne peux pas tout lui dire, cependant je lui donnerais autant que je peux car je suis déterminé à la garder avec moi cette nuit. Pour ça, je dois nourrir son intense curiosité.

—    À ma sortie de prison, j'ai décidé avec Victor, Vincent et mon père de trouver un moyen de calmer mes démons. J'ai rencontré je ne sais combien de spécialistes et j'ai été diagnostiqué d'un nombre incalculable de pathologies. Certains associaient mon incapacité à comprendre et à ressentir les émotions normalement comme un symptôme de sociopathie ou de psychopathie. D'autres s'appuyaient plutôt sur mon incapacité à créer de vrais liens sociaux pour me diagnostiquer autiste. En revanche, s'ils étaient tous en désaccords sur l'intitulé de ma monstruosité, ils étaient tous plutôt raccord pour l'haptophobie. Malheureusement, raillé-je, acide, ils avaient tort. Tout n'est que le résultat d'un stress post-traumatique. Aucun de leurs médocs n'a fonctionné et ne fonctionnera jamais.

Sous Le Masque Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant