Hedda

Un sculpteur sans ses mains

 Sans un mot, les yeux remplis de rage, Odin saisi brusquement les poignets de Loki. Ses mains puissantes enserraient jusqu'aux phalanges du dieu de la malice qui, surpris, tenta de se défaire de son emprise sans succès. Plus il tentait de se libérer et plus le roi serrait.

— Père ! S'écria Loki qui commençait à se laisser gagner par la panique.

La pression était si violente que son sang s'arrêta, incapable d'aller jusqu'à l'articulation. Bientôt, on entendit d'horribles craquements provenant de ses mains, un pour chaque os brisé. Incapable de se contenir plus longtemps, il tomba a genoux dans un hurlement de douleur. Frigga détourna le regard, horrifiée.

— Je t'ai tout donné. Un foyer, un titre, une éducation. Je t'ai traité comme mon fils. Je t'ai sauvé d'un destin plus funeste que tu ne l'imaginera jamais ! Et voilà... Et voilà ce que tu fais de cette vie si gracieusement offerte ! Voilà ce que tu fais de cette magie que l'on t'a enseignée, tu me trahis. Oh mais pas qu'une fois ! Non... Tu me trahis encore et encore et encore...

Odin resserra ses doigts. Les poignets de Loki passèrent du rouge au violet.

— Dis-moi Loki, qu'est-ce qu'un sculpteur sans ses mains ? Hein ? Et... Qu'est-ce qu'un magicien...

— Je t'en prie, arrêtes ! Tu va trop loin ! Il a compris ! Il voulait seulement...

Mais Frigga avait beau plaider pour son garçon, Odin ne relâchait pas son emprise.

Le visage de Loki était tourné vers elle. Il était incapable de parler tant la souffrance s'était emparé de chaque parcelle de son corps mais au plus profond de lui, il suppliait sa mère d'intervenir.

— Il a compris ? Je croyais aussi qu'il avait compris la dernière fois. Finalement, j'ai été trop tendre avec lui, nous avons toujours été trop tendres avec lui. Alors, Loki, qu'est-ce qu'un magicien incapable de se servir de ses dix doigts ?

— C'est notre fils ! Tu ne peux pas...

Mais Odin lui coupa la parole d'une voix autoritaire.

— Un vrai fils d'Odin n'aurait jamais remis en question la décision de son roi ! Et il aurait accepté dignement sa punition. Au lieu de ça, regarde-le ! Suppliant, tortillant comme un vers prit par une buse. Comment ai-je pu seulement voir en lui l'ébauche d'un fils ?

Les joues de Loki se couvrirent de larmes sans qu'il ne sache si elle venaient de la douleur intense qu'il ressentait ou de la rage qui consumait son coeur en entendant ces paroles.

— Pitié... Gémit Loki secoué de violents tremblements.

— Non, soit tranquille, je ne compte pas te priver de ta magie. Je vais la laisser bien là où elle est, bouillir en toi sans échappatoire.

Odin desserra enfin son emprise, laissant son fils retomber lourdement au sol, paralysé et sous le choc. En effet, tous les pouvoirs de Loki étaient restés intacts. Il pouvait les sentir crépiter en lui. Instantanément, il eu le réflexe d'essayer de se soigner lui-même, de ressouder ses os et de faire disparaître les imposants hématomes violacés qui lui couvraient mains et poignets. Mais à peine eut il tenté de faire appel à la magie que sa souffrance devint insupportable. Odin posait sur lui un oeil tranquille, satisfait.

— Qu'est-ce que c'est ?! Qu'est-ce que vous m'avez fait ?

— Je me suis seulement assuré que tu ne puisse plus user de cette force dont tu es devenu indigne. Vois-tu, la magie n'est docile que lorsqu'elle traverse un corps sain et fort. Elle a besoin de stabilité pour être contrôlée, sans ça elle est imprévisible.

— Quoi ?! Mais...

— Il n'aurait suffit que d'un seul métacarpe intact pour tu puisse guérir tous les autres. Mais voilà ta punition, Loki. Tu sera rongé par la même énergie qui anime tes stupides duperies. Et tant que tu gardera le silence et refusera de me dire où elle se trouve, tes mains ne sauront guérir.

— Tu ne peut pas faire ça ! S'opposa Frigga.

-- Quand Asgard tombera par sa faute, prendra-tu encore sa défense ?! 

Après ces mots, Odin s'enferma sans sa rage et quitta immédiatement la pièce de peur de s'emporter sur sa femme. 

-- Loki... nous n'avons plus le choix... Murmura la reine, désormais assise auprès de son fils.

-- Je refuse ! Mère, s'il découvre où elle est, il n'aura aucune pitié...

-- Je vais lui parler... Dis-moi seulement...

-- Si vous aviez été en mesure le raisonner, je n'aurai pas eu à faire tout cela ! Hurla Loki, les yeux perçants. 

Frigga ne s'offusqua pas du ton brûlant de son fils. Elle savait qu'il avait raison. La reine effleura précautionneusement les mains enflées et tordues de Loki qui retenait son souffle. Même sa magie ne pouvait contrer le sortilège d'Odin. Toutefois elle pu lui apporter un peu de soulagement en posant une main sur sa tempe droite. Il soupira, la douleur s'apaisa instantanément. 

Les larmes continuaient à dévaler ses joues alors qu'il revoyait le visage de la petite Hedda le suppliant de ne pas la laisser. 

 Il s'en voulait. Il s'en voulait d'avoir dû l'abandonner. Et il s'en voulait de trouver si difficile le fait de ne pas tout avouer à son père pour s'épargner douleur et disgrâce. 

-- Je ne pourrai jamais assez te remercier, mon fils.

Leurs regards s'étreignirent. Il posa son front contre le sien et la nuit entière, ils partagèrent cette même souffrance. Pas la souffrance charnelle, celle bien plus terrible de la séparation et du secret. 

-- Es-tu certain qu'elle sera en sécurité ? Je veux dire, je sais que tu ne l'aurai pas confiée à n'importe qui mais... Il va se mettre à sa recherche, il va la traquer, il peut être tellement...

-- Obsessionnel ? Mère, vous pouvez me croire, personne, pas même Odin n'irait la chercher là-bas. Il ne peut pas se douter. Et s'il y a bien quelqu'un qui pouvait la protéger contre un dieu... C'était lui. 

Le matin suivant, Loki demeurait hanté par les dernières images de sa petite soeur, par ses cris et ses supplications, ses bras tendus vers lui. Il pouvait encore sentir son parfum, la douceur de ses cheveux mais chaque souvenir était comme un poignard ardent déchirant son coeur et ses entrailles. Si Thor n'avait jamais créé de lien très fort avec Hedda du fait de ses nombreuses sorties guerrières, Loki, qui demeurait plus souvent au palais avait développé une relation affective intense avec la petite. Ils passaient beaucoup de temps ensemble, il lui apprenait à lire et l'emmenait pratiquer la magie dans les jardins avec lui. Aujourd'hui tout ça lui semblait si lointain. 

La douleur le dégagea de ses songes. 

Ses mains déformées étaient incapables de réaliser la moindre tâche quotidienne. Il avait besoin d'aide pour presque tout. mais l'humiliation et la douleur n'étaient plus rien pour lui. Pour la première fois depuis longtemps, Loki avait mit son égo et sa fierté de côté. Tout cela passait au second plan. Il savait qu'il avait prit la bonne décision et il était prêt à encaisser la colère de son père et à accepter chacune des conséquences de ses actes. 

Il se fit ce matin-là la promesse de ne jamais dire à personne, pas même à sa mère, où se trouvait Hedda.