À la différence de la plupart des miens qui avait vu leur pouvoir et leur magie diminuer drastiquement ces derniers mois, et de manière encore plus brutale ces trois derniers jours, j'avais toujours bonne mine. Je n'avais pas leur teint un peu plus pâle qu'à l'accoutumé ni les débuts de cerne insolites sous leurs yeux ni leur besoin soudain de sommeil.
Mon teint était aussi frais qu'une rose, mes yeux aussi brillants que le firmament, et mes cheveux avaient retrouvé le lustre de mon enfance. Depuis que mes pouvoirs m'avaient été rendus, j'embellissais de jour en jour.
Je me regardai dans le miroir de mon ancienne chambre, dans l'appartement de mes parents au Temple, et je me trouvais jolie. Oh, pas autant que ma mère, qu'Adel, Cara ou que les autres Elevides, mais tout de même, je pouvais faire concurrence à quelques-unes. Que ces pensées me semblaient futiles tout d'un coup. Nous approchions d'une guerre terrible, et je ramenais à nouveau tout vers moi. Des gens étaient morts, d'autres mourront dans les prochaines heures, et j'arrivais encore à me plaindre.
Une petite soirée conviviale avait été organisée ce soir, demain nous serions probablement tous morts, alors autant profiter des derniers instants qui nous restaient tous ensemble. Peut-être survivrons nous, et alors la paix sera sans doute maitresse sur Solaria pendant quelques millénaires. Mais peut-être aussi que nous échouerons. Tout se jouera demain. Tout pourrait prendre fin demain.
Tout le monde avait besoin de cette dernière soirée, personne n'avait envie de la passer seul
Je baissai les yeux sur mon ensemble rosé, un haut vaporeux et transparent qui laissait voir mon ventre et une longue jupe dans le même tissu léger. Léger, oui, c'était une tenue légère, nous avions déjà trop de poids sur nous, dans nos cœurs, pas besoin de nous rajouter un fardeau supplémentaire. Peut-être était-ce futile ou stupide de fêter avant une bataille, avant la guerre, mais pour une nuit, nous oublierons ce qui nous attendait au petit matin. Je ne demandais que ça.
Pourtant, je ne pouvais m'enlever le visage d'Eden de mon esprit. Je fermai les yeux, mais elle était toujours là. À me regarder de ces yeux vert foncé, ces yeux perçants, qui autrefois me regardaient avec amitiés, étaient maintenant emplis d'une haine brulante, brutale et sans concession. Tout ça pour quoi ? Pour une simple jalousie enfantine, pour une amourette. Une partie de moi comprenait un peu mieux Eliora et la destruction qu'elle avait vu dans les yeux de ses frères et sœurs lorsque de tels sentiments avaient commencé à se faire sentir entre eux. La jalousie et l'envie pouvaient mener au pire, j'en étais maintenant certaine.
Eden. Ma petite cousine. Mon amie. Ma tendre et chère amie.
Tu me manques, Eden, tout en toi me manque, même tes remarques acerbes et ironiques, même tes regards dédaigneux à mon égard.
Me souvenant soudain de quelque chose, je me relevai comme un ressort et ouvris les tiroirs de mon bureau et fouillai avec empressement son contenu. Je la trouvais rapidement, j'avais toujours pris un grand soin à conserver mes dessins.
Depuis longtemps déjà j'avais entrepris de croquer les membres de ma famille et de mes amis. Celui d'Eden était un de mes préférés. Elle posait sur le lit d'Adel, couchée sur le ventre, les jambes croisées à la verticale derrière elle, les coudes sur la couette, elle me fixait avec une intensité déconcertante. À l'époque, je m'étais félicitée d'avoir su capturer le regard si imprévisible de ma petite cousine, un regard qui me fascinait autant qu'il m'effrayait. À présent, je me félicitais tout simplement d'avoir eu le temps de la dessiner, pour ne pas oublier son visage fin, son nez mutin, ses taches de rousseur, ses cheveux blond vénitien, autrefois longs et lisses. Elle serrait toujours un peu les lèvres et un pli soucieux barrait son front, comme si elle était constamment agacée par quelque chose, à ce moment-là, cela devait être moi, sans aucun doute.
Adel m'avait appris qu'Eden m'avait jalousé toute notre vie, que pendant que je me dénigrais, elle m'enviait en silence. Je ne l'avais jamais compris, je n'avais pas su voir. Je n'avais jamais eu une relation facile avec ma petite cousine, contrairement à Adel que je considérais comme ma meilleure amie. Mais je l'aimais, et à une époque, je l'avais appelée « amie » sans douter un seul instant. Il m'était difficile d'accepter qu'à présent elle était devenue mon ennemie. Je n'étais pas prête à faire une croix sur ma petite cousine, elle était mon sang, après tout. Elle était une Lightsword.
Les larmes se mirent à couler d'elle-même, et avant que je ne m'en rende compte, des gouttes d'or tombèrent sur le portrait, nimbant les taches de rousseur d'Eden d'éclats étincelants.
J'aurais dû la convaincre de rester, j'aurais dû l'aller lui parler plus tôt, m'excuser s'il le fallait, j'aurais dû faire quelque chose pour l'empêcher de faire une chose pareille...
Je serrai le portrait contre mon cœur en sanglotant doucement.
-Eden... soufflai-je, oh Eden, pardonne-moi, je t'en prie, reviens...
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L'Appel de l'Ancien Monde - Tome 4 : La révolte des damnés
ParanormalAprès des siècles à tourmenter inlassablement les Elevides et à fomenter leur chute, l'Entité est revenue, prête à détruire une bonne fois pour toutes le peuple d'Evalina. La jeune fille, autrefois dans l'ombre de ses pairs, rayonne à présent d'un...