L'Appel de l'Ancien Monde - Tome 4 : La révolte des damnés

L'Élue et le fils de la nuit - Partie I

La réunion dura des heures. Je n'avais pas beaucoup parlé, seulement lorsqu'on me posait des questions sur ce que j'avais vu. Je préférais garder le silence, trop occupée à m'inquiéter et à imaginer des situations plus cauchemardesques les unes que les autres. Moi qui avais toujours été quelqu'un de confiant, j'en perdais aujourd'hui la douce saveur.

L'heure où mes parents s'en iraient pour traquer ces créatures approchait, mais avant de les voir partir, je devais régler une chose.

Cela faisait quelques minutes déjà que j'attendais bêtement devant la porte de leur chambre. J'hésitais. Deux ans avaient passé, j'avais grandi, pourtant je redevenais une enfant face à cette lourde porte dorée qui me séparait de mes parents. Si mon frère et ma sœur n'avaient jamais eu de problèmes relationnels avec mes parents, je ne pouvais pas en dire autant. Oh, je ne pouvais pas me plaindre, ma vie et mon enfance avaient été un rêve. Mes parents toujours présents, aimants, forts, et patients. Mais le problème venait de moi, je ne me sentais pas digne d'être leur fille. Je n'aurais pas été étonnée d'apprendre que l'on m'avait adoptée.

Évidemment, tout ceci était derrière moi, cela faisait partie de mon passé. À présent, j'étais une autre personne. Si je ne savais pas exactement encore qui j'étais, je savais à qui je ne voudrais surtout pas ressembler comme je savais qui étaient mes modèles. Ils se trouvaient justement derrière cette porte.

Allons Evalina, me dis-je soudain, tu n'es plus une petite fille !

J'entrebâillai lentement la porte, étonnée de constater que mes parents n'avaient toujours pas remarqué ma présence.

Ma mère était debout face à un grand miroir serti de coquillages, habillée de pied en cape d'une tenue de combat noir. Elle fermait les yeux, la tête posée sur la poitrine de mon père qui l'enlaçait.

Elle riait. Ils riaient. Ils étaient si concentrés sur eux deux qu'ils n'avaient même pas senti ma présence.

Mon père, en tenue de combat sombre lui aussi, la tenait serrée contre lui, les mains passées autour de sa taille, la tête baissée vers son cou. Les longs cheveux de ma mère étaient lâchés sur ses épaules et venaient fouetter sa taille parfaite.

Mon père lui murmura quelque chose à l'oreille et elle éclata de rire. Son visage rayonna et elle sembla soudain encore plus jeune, innocente et vulnérable. Ses joues étaient argentées de bonheur.

J'avais pensé qu'ils seraient désespérés après les récents évènements, j'avais pensé qu'ils auraient peur, qu'ils arboreraient cette mine grave qu'ils avaient constamment en public. Il n'en était rien. En cet instant, je compris que je ne connaissais pas mes parents aussi bien que je le pensais. D'ailleurs, je doutais que quelqu'un les connaissait réellement, ils se connaissaient l'un l'autre et ça leur suffisait.

L'amour les rendait fort. Indestructibles. Et il ne semblait pas avoir pris une ride.

C'était étrange et grisant en même temps, de se dire que j'étais le fruit d'un amour aussi aveuglant, aussi fort.

Je pensais à ma propre âme sœur, à l'amour que j'éprouvais pour lui, à la blessure déchirante lorsque nous étions séparés, à la facilité avec laquelle je pouvais me confier à lui, à l'étrange alchimie de nos regards. Je ne pouvais dire si le même amour nous attendait, tout simplement parce que chaque amour était unique, différent, propre à chaque âme sœur. Mais je pouvais dire sans douter que je garderai toujours ce même regard lorsque je verrai Nathan : un regard d'amour profond, aussi inexplicable que la magie qui coulait dans mes veines, mais aussi un regard de respect, de confiance, et de sacrifice.

J'allais refermer la porte lorsque le regard argenté de mon père croisa le mien dans le miroir. Il se figea d'abord, puis déposa un dernier baiser dans le cou de ma mère, avant de s'éloigner. Ma mère se retourna et posa sur moi ses yeux de saphir. Elle souriait toujours, ivre d'amour.