L'ennemi masqué

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-Pourquoi ? fis-je d'une voix que je trouvais terriblement monocorde. Pourquoi ?

         J'attrapai le bras de Nathan et le forçai à me regarder.

         -Petite chose, murmura la voix de l'Entité derrière moi.

         Je fis volte-face et la fixai avec toute la rage dont j'étais capable.

         -C'est vous. Vous l'avez obligé à faire ça.

         -Non, Evalina Lightsword. Au fond de toi, tu sais déjà, tu t'en es toujours douté.

         -Taisez-vous !  

         Je criai tellement que l'attention de toutes les personnes présentes se dirigea vers nous.

         -Depuis le début, votre ennemi se trouvait parmi vous, continua cruellement l'Entité. C'est Nathan qui a assassiné les deux âmes sœurs au Jardin des Temps, c'est lui qui a permis à Arock de pénétrer dans le Temple et de tuer la jeune Marina. Je n'ai pas de corps, petite Elevide, il m'est impossible de vous faire le moindre mal, physiquement, du moins. La seule manière que j'ai de vous tourmenter est de vous attaquer l'esprit, comme je l'ai fait avec Azaran Darkhane ou Eden Lightsword. Nathan était ma meilleure arme contre vous, il n'a jamais été de votre côté, il a toujours été du mien, du nôtre.

         -Vous mentez, lâchai-je avec hargne.       

         -Ah oui ? fit l'Entité en souriant doucement. Regarde-le, petite chose, et dis-moi qu'il est toujours celui que tu as aimé.

         Je tournai les yeux vers Nathan qui ne m'avait pas lâché du regard. Son indifférence et ses yeux sombres me transpercèrent de part en part.

         L'Entité disait vrai. Je le savais.

         -Nathan existe toujours.

         -Non, petite. La vie qu'il a eue à vos côtés n'était qu'un sursis avant qu'il ne m'appartienne à nouveau. Nathan Lightsword n'est plus, tout comme Eden.

         Nathan rejoignit sans un mot l'Entité et se posta à sa gauche.

         -Nathan... Je t'en prie...

         Il posa les yeux sur moi et je me sentis craquer.

         Oh comme j'aurais aimé revoir l'ambre de ses yeux.

         -Aide-moi, aide-nous... gémis-je. Je... je ne peux pas continuer sans toi.

         -Tu es toujours son âme sœur, petite chose, me dit l'Entité d'une voix doucoureuse. Mais il est comme moi, comme mon peuple, incapable du moindre amour. Voilà ce qu'a engendré ton ancêtre. Ton fardeau sera de mourir en sachant que celui qui t'est le plus cher aura connu le même sort funeste que ta famille, ton propre sang, a fait aux miens.

         -Ev... murmura soudain une voix près de moi.

         C'était mon frère. La dévastation que je le lisais sur son visage fit échos à la propre douleur que j'essayais tant bien que mal de refouler.

         -C'est maman... elle ... elle va bientôt mourir.

         Lorsque je tournai les yeux vers ma mère je sentis la barrière que je venais de créer autour de mes émotions voler en éclat.

         C'était plus que ce que je pouvais supporter.

         Ma mère était allongée sur le sol dans les bras de mon père qui ne semblait pas pouvoir la lâcher. Il ne pleurait plus. Il restait simplement là, à la regarder, lui parler, lui caresser les cheveux, indifférent à tout ce qui pouvait bien se passer autour d'eux. Mon père ne survivrait pas à la mort de ma mère, je le savais, et mon frère aussi. Si notre mère mourait aujourd'hui, nous perdrions également notre père.

         De toute manière, nous serions probablement tous morts dans les heures qui viennent. Pour l'instant, l'Entité et ses Créatures attendaient patiemment pour nous achever, se délectant de nos larmes et de notre désespoir. Ils savaient pertinemment que sans Sara Lightsword, les Elevides n'auraient plus la force de se battre.

         Les vêtements de ma mère étaient imbibés de son sang, et ses longs cheveux noirs en étaient trempés. Elle respirait laborieusement, et toute couleur avait déjà déserté son visage. Ses yeux bleus, qui avaient perdu de leur éclat, se posèrent sur mon frère et moi.

         Elle tenta d'ébaucher un faible sourire, mais toute la chaleur de son amour pour nous passa dans son regard.

         -Maman.

         Ma voix se bloqua dans ma gorge.

         Je m'agenouillais à côté d'elle et lui pris la main.       

         J'avais mal. Je n'avais jamais eu autant mal de toute ma vie.

         Je me souvenais de ses mains douces lorsqu'elle me tenait la main, enfant. Je me souvenais de son odeur ensoleillée, de ses sourires rares et précieux, de ses regards vifs et malicieux, de son rire qui résonnait dans notre appartement. Je la voyais encore, lorsque je ne voulais pas dormir les soirs de grande chaleur, habillée d'une robe légère, m'emmener avec elle nager dans l'océan en pleine nuit. Je la vis danser avec mon père au beau milieu de la nuit, lorsqu'ils pensaient que personne ne les voyait.  Je me souvenais de sa voix chaude et calme lorsqu'elle m'avait emmené pour la première fois au Jardin des Temps et qu'elle m'avait parlé des merveilles que recelait notre monde. Elle savait raconter des histoires, et personne ne l'égalait lorsqu'il était question de conter les légendes d'antan.

         En cet instant, elle avait le même regard que le jour où elle m'avait donné le collier des Lightsword, ce regard qui disait que rien n'était éternel. Ce regard qui disait qu'elle était fière de nous.

         -Tu savais, n'est-ce pas ? lui demandai-je, les larmes aux yeux.

         Je serrai le collier des Lightsword – qui était devenu étonnement froid - dans ma main.

         Elle ne me répondit pas. Mais je vis la réponse dans ses yeux.

         -Ne pars pas, maman. Ne nous laisse pas...

         -Je regrette, Evalina, pour tout, fit-elle d'une toute petite voix. Pardonne-moi de t'avoir blessé. Tu es une femme extraordinaire, brillante et juste. Je n'ai pas été à la hauteur... Et toi, Jérémie, j'ai désiré ta naissance pendant des années, et lorsqu'enfin tu es né, j'ai été pleinement heureuse. Perdre un enfant est la pire des choses, j'aurais voulu pouvoir sauver Juliette. J'espère... j'espère que ton cœur guérira un jour de sa perte.

         -Maman, non, je t'en prie, la supplia-t-il.

         -Evalina, dit-elle alors que ses yeux papillonnaient de manières inquiétantes. Cherche le cœur, ma chérie. N'oublie pas. Ce qui est ne peut être détruit. La mort n'est que le début de la vie... Rien n'est éternel. Tout change.

         -Dis-moi, maman, dis-moi quoi faire... Il doit bien y avoir un moyen pour vaincre l'Entité.

         Rassemblant ces dernières forces, elle me prit le bras et planta ses yeux dans miens. La lucidité qui y brillait me donna envie de pleurer. Elle ne pouvait pas mourir.

         -Diana. Trouve Diana, et tu trouveras la réponse à toutes tes questions.

L'Appel de l'Ancien Monde - Tome 4 : La révolte des damnésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant