C'était à la même conclusion que tout le reste du château avait abouti le lendemain matin. Dès lors, arpenter le palais devint un véritable défi. À chaque instant, on pouvait se faire renverser par des valets ou des femmes de chambre qui couraient dans les couloirs, les bras chargés. Habituellement, un tel comportement n'était pas admis, mais au vu de la masse de préparatifs à faire, une certaine tolérance s'était installée. La cour bourdonnait de la même fébrilité. Les chevaux devaient être sélectionnés et bichonnés, les carrosses astiqués avec soin.
Même si personne n'attendait de lui qu'il participe, Jaspe se trouva lui aussi fort occupé. Chaque jour qui s'écoulait, il passait davantage de temps dans son bureau à traiter les demandes qui s'y accumulaient.
— Les gens s'inquiètent de votre départ prochain, lui avait dit le jeune noble qui lui servait de secrétaire.
Jaspe se rendit compte qu'il avait sous-estimé son influence. Depuis deux ans, il avait commencé à s'investir dans le bien-être de la population et ce n'est que maintenant qu'il comprenait à quel point son action importait.
La plupart du temps, il était interrompu au moins trois fois à chaque séance de travail par des valets venus lui apporter de nouveaux messages. Les requêtes se suivaient, mais ne se ressemblaient pas. Invitations à des bals de bienfaisance qu'il déclina à regret ; demande de subvention pour l'orphelinat de guerre dont il était le parrain ; sollicitation de rendez-vous de la part d'un ingénieur voulant lui présenter sa toute nouvelle et révolutionnaire invention... Toutes les activités du royaume défilaient sous ses yeux.
— Quand vous serez marié, vous devrez déléguer une partie de vos occupations présentes à votre épouse, où vous ne vous en sortirez jamais, remarqua un jour son secrétaire en remontant ses lunettes sur son nez. En tant qu'héritier, vos devoirs ne feront que s'alourdir.
— Nous verrons avec elle, je m'en voudrais de la charger avec des responsabilités qu'elle n'a pas choisies, répondit Jaspe avec une légèreté qu'il était loin de ressentir.
Il essaya d'imaginer la princesse Acacia, installée au bureau voisin, les sourcils froncés devant une pile de courrier. Ils deviseraient tous deux des affaires du royaume en grignotant des sablés. Peut-être même dresseraient-ils ensemble des listes de tâches à accomplir ? Un frisson le parcourut à cette image idyllique. Attention, danger ! lui souffla son esprit. C'était exactement ce contre quoi Mère les avait mis en garde.
Jaspe se sortit de sa rêverie et se hâta de terminer son travail. Il ne lui plaisait guère de constater son absence évidente de concentration.
La veille du départ arriva bien trop vite. Jaspe passa la journée à tourner comme un ours en cage dans sa chambre. La malle grande ouverte au milieu du tapis semblait particulièrement lui poser souci. Il compta plusieurs fois les paires de gants qui y avaient été chargées. Y en avait-il assez ? Pour monter à cheval, pour un bal formel ou pour une sortie plus détendue... il aurait été impensable d'utiliser les mêmes pour toutes les occasions.
Il sortit plusieurs de ses vestes pour vérifier si les boutons avaient été correctement astiqués avant de les ranger à nouveau.
— Son Altesse préfèrerait peut-être faire mon travail à ma place ? demanda dans son dos la voix pincée de son valet de chambre qui venait d'apparaître, chargé d'une pile de linge impeccablement plié.
Pris en flagrant délit, Jaspe se redressa et croisa les mains derrière lui.
— Pas du tout, Pierre, voyons, se récria-t-il. Votre service est parfait, je ne sais pas ce que je deviendrais sans vous. J'en oublierais sans doute la moitié.
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Conte de l'Aube et du Crépuscule
Fantasy"Il était une fois deux royaumes, en guerre depuis des siècles. Deux royaumes que tout opposait sinon les souffrances nées du conflit. Il était une fois un roi et une reine, las de la guerre. Un roi et une reine qui surent mettre de côté la rancœur...