- 5 - Le Voyage

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Le trajet s'étira, long et monotone, tandis que les jours défilaient, tous identiques. Bringuebalés des heures d'affilée dans les carrosses, les voyageurs s'ennuyaient ferme. L'inconfort des cahots, combiné au désœuvrement, poussa Jaspe à se lancer dans la réalisation d'une carte des routes du royaume et de leur besoin en rénovation. La tâche était malaisée, toutefois, en gardant les genoux et les coudes bien serrés autour de son écritoire, il put écrire d'une façon à peu près lisible tout en limitant les taches d'encre au minimum.

Lorsqu'il ne dressait pas de listes, le prince Jaspe tentait de lire, mais l'entreprise était tout aussi ardue. Comme Béryl l'avait anticipé, le cousin Pyrite monopolisait la parole dans le petit habitacle du véhicule. Il énuméra longuement ses exploits à la frontière, avant de détailler ceux de sa mère quand il n'eut plus rien à dire sur sa personne.

— Et vous, Jaspe, n'avez-vous aucune anecdote à nous conter du temps passé à la frontière ? demanda-t-il soudain lorsqu'il ne fut plus capable d'alimenter seul la conversation.

Pour la vingtième fois ce jour-là, Jaspe referma son livre Incursions en terres crépusculaires : Comment j'ai failli mourir dix fois, non sans en avoir soigneusement marqué la page.

— J'y suis resté bien moins longtemps que vous, cher cousin, et les affrontements ont été rares. Je crains bien de n'avoir rien de très intéressant à vous narrer. En outre, il me parait assez mal venu de pavoiser sur nos exploits guerriers alors que nous portons la responsabilité de la paix sur nos épaules.

— Ah, mon cher Jaspe, vous êtes bien trop sérieux... se désola Pyrite.

Béryl sembla alors sortir d'une longue période de contemplation.

— Sommes-nous encore loin de la frontière ? interrogea-t-elle, fort à propos pour faire changer le sujet.

La jeune princesse avait passé l'essentiel du voyage le nez contre la vitre, échangeant de temps à autre des remarques à voix basses avec sa demoiselle d'honneur, lorsqu'elle ne ponctuait pas les discours de leur cousin de monosyllabes polis.

— Nous la franchirons demain, répondit Jaspe. Certainement dans l'après-midi.

— Verrons-nous la Chute ? interrogea-t-elle avec espoir.

— Je crains bien que non, la route que nous empruntons passe à plusieurs lieues de la région.

— Oh, laissa échapper Béryl avec une moue déçue. J'aurais tant aimé la voir enfin.

— Je vous comprends, ma chère, intervint alors le cousin Pyrite. Il est fort dommage que vous n'ayez jamais eu l'occasion d'admirer sa splendeur. Peut-être qu'une légère révision de notre itinéraire lors de notre voyage retour pourrait combler cette lacune. Qu'en pensez-vous, Jaspe ?

Le prince acquiesça distraitement. Le voyage retour était bien, à l'heure actuelle, le cadet de ses soucis.

Comme Jaspe l'avait annoncé, la délégation franchit la frontière le jour suivant. Dès lors, subtilement, le paysage se modifia. Les montagnes, rassurant décor de toute une vie, déjà lointaine à l'horizon, s'effacèrent complètement. La végétation changea, les sapins laissèrent place à des essences inconnues. La route traversa des prairies de fleurs à perte de vue et leur parfum entêtant ravit les voyageurs. L'herbe était plus rase, moins verte et les arbres plus petits. À l'approche des villages, les champs d'oliviers et les vignobles se multipliaient. Béryl ne décollait plus son nez de la fenêtre. De plus en plus souvent, Jaspe grimpait au côté de la cochère pour profiter du paysage et échapper tant à la promiscuité de l'habitacle qu'au bavardage incessant du cousin Pyrite.

Conte de l'Aube et du CrépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant