BÉRYL - 1 - Les Écuries

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Les yeux dans le vague, Béryl regardait par la fenêtre. Derrière elle, Rochette, sa femme de chambre, brossait son abondante chevelure bonde.

— Vos cheveux sont plus secs, ici, fit-elle remarquer. Je devrais commencer à me renseigner sur les cosmétiques que les femmes crépusculaires utilisent. Je ne voudrais pas que le prince Saule m'accuse de négliger votre apparence.

— Ne t'inquiète pas, répondit distraitement Béryl. Il n'a pas l'air d'être du genre à accuser qui que ce soit.

— C'est vrai, il est toujours si aimable et si poli ! Comme hier après-midi, quand il est venu vous apporter lui-même cet énorme bouquet de fleurs. Vous en avez de la chance, Votre Altesse !

— Tu as raison. Quelle chance est la mienne et quel magnifique bouquet.

Béryl tourna machinalement la tête vers le bouquet exubérant qui embaumait sa chambre depuis la veille. Voilà déjà deux semaines qu'ils étaient au Royaume du Crépuscule et ce n'était que maintenant que son fiancé lui offrait des fleurs. Elle aurait pu parier que ce geste n'avait rien de spontané. C'était sans aucun doute une idée de Jaspe, voire même de la princesse Acacia. Elle soupira.

Rochette aligna plusieurs flacons sur la coiffeuse.

— Quel genre de parfum voudriez-vous porter aujourd'hui ? demanda-t-elle.

Béryl fit une moue.

— Quelque chose de frais et de léger, dit-elle. J'ignore quel est le programme de la journée.

— On m'a dit de vous préparer une tenue de cheval pour ce matin.

— Une tenue de cheval ? répéta Béryl alors que la couleur quittait ses joues. D'après Jaspe, la reine interdisait qu'on se rende aux écuries. Il en était d'ailleurs fort déçu.

Rochette haussa les épaules, elle n'en savait pas plus. À l'aide d'une pipette, elle préleva quelques gouttes dans deux flacons et les déposa dans une coupelle. Elle fit tournoyer le liquide sous son nez. Elle fronça les sourcils puis ajouta une goutte d'une troisième fiole. Lorsqu'elle fut satisfaite, elle tendit le mélange à Béryl. La princesse valida d'un hochement de tête.

— J'aime beaucoup les vêtements crépusculaires, commenta joyeusement Rochette en se dirigeant d'un pas léger vers la grande armoire. Cet ensemble aussi vous ira à merveille.

Elle se retourna en faisant virevolter ladite tenue. Béryl la détailla avec inquiétude. Le pantalon bouffant suggérait effectivement une activité équestre.

Une rumeur lointaine l'arracha à son examen. Intriguée, elle se leva pour s'approcher de la fenêtre et sortit sur le balcon. Des cris distincts venaient de l'entrée du palais. Une centaine de personnes était massée devant l'enceinte. Béryl ne comprit pas ce qu'ils scandaient, mais à leur ton, il ne s'agissait pas d'une démonstration de liesse. Elle avança jusqu'au bout du balcon et se pencha pour mieux voir. Elle crut entendre à plusieurs reprises les mots « étranger » et « dragon ». Quelqu'un tendit soudain le doigt vers elle. La clameur enfla aussitôt tandis que la foule se déplaçait le long des murs pour se rapprocher d'elle. Saisie de crainte, Béryl recula pour se mettre hors de vue.

Un fracas retentit dans sa chambre, ponctué d'un glapissement affolé de Rochette. Jaspe apparut sur le balcon. Il l'attrapa par le bras et l'entraîna avec lui.

— Ne reste pas là, dit-il d'une voix pressante. Il faut te mettre à l'abri.

Le front de son frère était barré de rides soucieuses. Les deux gardes à sa porte étaient rentrés en même temps que lui. L'un d'eux s'employait maladroitement à rassurer Rochette dans un crépusculaire dont celle-ci ne comprenait pas un seul mot.

Conte de l'Aube et du CrépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant