9.1: HAYDEN

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La regarder.

De loin.

Sans jamais l'approcher.

Sans vraiment qu'elle ait conscience que je sois là.

Mais sans qu'elle l'ignore complètement.

Mais jamais m'approcher.

C'était ça mon intention au début.

Puis, je la voyais. Elle me cherchait. Mais je n'avais toujours pas le droit d'être près d'elle.

Elle me manquait. Toujours.

Je la désirais. Toujours. Comme si ces onze ans qui nous séparaient étaient rien, comme si rien ne s'était arrêté, comme si son corps m'appartenait, m'avait toujours appartenu et que rien qu'hier, elle était sous mes bras.

Je la désirais mais je n'avais pas le droit parce que, peu importe, on ne pouvait pas ignorer ces onze ans, nos blessures, les trahisons et la haine qui s'en est suivi.

Alors j'ai choisi la méthode la plus simple: l'espionner.

De loin. Sans jamais l'approcher.

Parce que je croyais, je voulais me convaincre que je pouvais me contenter de la regarder.

Alors oui, je l'ai espionné. À chaque temps de libre que je trouvais, j'accourais chez elle, errait dans sa chambre pour humer son parfum et m'en remplir les poumons, pour parcourir sa garde robe et me l'imaginer dans chaque tenue, chaque lingerie, sentir sa salle de bain et m'y offrir toutes sortes de fantasmes…

Et quand elle était là, chez elle, je la regardais. Dormir, manger, se laver, nager, danser, courir, regarder un documentaire, une série, lire un bouquin…

Elle fait toujours du Yoga.

Mais elle n'est plus la fille joyeuse, timide mais si audacieuse que j'ai connu il y a une éternité il me semble.

L'Iris d'aujourd'hui n'est plus une jolie perle qui brille pour attirer par son reflet. Elle est fatale mais plus gaie.

Est-ce de ma faute?je me suis demandé.

Parce que ça pouvait bien être moi.

Je l'ai brisé, je sais.

Mais ça ne pouvait pas être que moi.
Qu'a-t-elle vécu à l'étranger? Qu'est ce qui a pu la changer ainsi?

Si c'était de ma faute, n'était-il pas aussi de mon devoir de la réparer?

Je sais que je peux le faire.

Je peux lui redonner vie et ramener cette lueur arrogante et défiante qui la rendait si majestueuse, si unique et si précieuse.

Alors, je l'ai approchée. Par un défi. Parce que je savais que l'Iris que j'avais connu ne tournerait jamais le dos à un défi.

Mais quand elle a refusé de le relever, j'ai su. J'ai su qu'elle n'était plus la même et j'ai voulu la reconquérir.

Par le seul langage dans lequel j'étais sûr que nous pourrions nous comprendre.

Après tout, c'est moi qui ai créé cette faim en elle que je sais être le seul à pouvoir satisfaire. C'est moi qui ai créé la bête sexuelle en elle et je savais que peu importe combien elle aurait pu changer, je pouvais retrouver ma perle sur ce terrain.

Et je l'ai retrouvé.

Mais j'ai encore oublié, que la femme de vingt cinq ans d'âge d'aujourd'hui était différente de la docile Iris qui voulait apprendre le désir charnel avec moi. Rien qu'avec moi.

Elle s'est rebellée et voilà où nous en sommes.

Son amant mort et elle, évanouie sur son tapis, dépassée par la punition que je lui ai réservé.

En ai-je trop fait?je ne peux m'empêcher de me demander en regardant son corps épuisé, étendu sur le sol.

Je me penche et accueille son corps entre mes bras et la conduis dans sa chambre pour l'allonger dans le lit.

Je ne la couvre pas.

Je m'offre le plaisir de contempler ses jambes nues que je caresse légèrement, prenant conscience combien sa peau sous mes doigts m'a manqué.

_ Ne t'ai-je pas manqué, princesse?je murmure contre ses lèvres raides.

Je sais que je ne devrais pas la désirer. Mais il y a longtemps que mon corps lui appartient et ne peut prendre vie qu'avec elle.

Je m'en veux de la désirer quand mes actions ne peuvent que la mettre en danger.

Mais l'humain n'est qu'égoïste de nature.

J'entends le bip de la porte qui s'ouvre et je comprends que son manager doit être arrivé.

Aussi rapidement que je peux, je me glisse hors de la pièce et le  regarde à travers les vitres du balcon, la secoue doucement et vérifie son poul. Il pousse un soupir soulagé et je me dit que c'est le moment de m'éclipser.

Quand j'arrive à la voiture que j'ai laissé assez loin de la villa, je vérifie mon téléphone pour le boulot par réflexe et bien heureusement que je l'ai fait car un message de Grandpa m'attend.

GrandPa.

Je crève de poisson. Et justement, j'en ai une à pêcher. Prépare toi. Je t'attends à 9h en face du Soldat Inconnu depuis le Nord.

Un frisson d'adrénaline me traverse l'échine.

Si GrandPa a décidé de se mêler de la pêche, cette mission doit être spéciale.

Je me hâte de répondre à son appel et me gare vers le Nord. Mes yeux errent distraitement vers 9h et je vois une voiture de police, facilement repérable partout.

Je sors de ma voiture et m'avance vers la bagnole de police mais elle est vide.

Je tape rapidement sur mon écran.

Moi.

Où es-tu?

GrandPa.

À 9h j'ai dit. Qui pêche à une heure pareille?

Un sourire détend mes lèvres en lisant le message. Un autre le succède.

GrandPa.

À 9h!!! Dois-je préciser que c'est du matin??

C'est là que je comprends. Ce n'était pas à 9h depuis ma voiture mais plutôt depuis la sienne qui fixe le monument du Soldat Inconnu comme s'il le défiait.

Je me retourne à ma gauche et spotte tout de suite un immeuble en rénovation. Je m'avance rapidement et envoie balader le signe qui dit "Accès interdit sauf au personnel".

Je mets mes mains dans les poches de mon pantalon et lentement, je me dirige vers l'endroit le plus improbable pour torturer une âme.

Je trouve GrandPa debout au milieu du chantier, un homme qui n'est  inconnu près de lui, étrangement sans une trace de sang où de torture sur son corps.

Je fronce les sourcils.

_ Qui est-ce; je demandé.

_ Aurais-tu péché, mon fils?dit-il en retour et un frisson de peur me traverse.

Son ton de prêtre, calme et incandescent me glace l'échine.

Quand GrandPa s'enveloppe dans son corps d'homme de Dieu qui très longtemps dans le passé il fut, ce n'est jamais bien et j'ai la dalle parce que c'est avec moi qu'il a pris ce ton.

_ Je ne crois pas, non; dois-je essayer de garder mon ton aussi détaché que je peux.

_ Cet homme, debout près de moi atteste le contraire.

CravingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant