Là où tout a basculé (3)

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-...rien...arrive souvent...personnes comme ça...

Tout était noir au début, puis les sons se mirent à la guider vers la lumière.

-...heureusement...jeune homme...là...

Un éclat blanc lui obstruait la vue à mesure qu'elle clignait des paupières. Tout était trouble, les images comme les sons. Comme si elle se trouvait au fond d'une piscine.

- Ah elle se réveille.

Encore quelques secondes et elle vit enfin le plafond de la salle d'hôpital, puis le visage masqué qui se pencha brusquement au dessus d'elle.

- De retour parmi nous.

Le docteur s'éloigna et disparut de sa vue quelques secondes pendant lesquelles elle l'entendit souffler :

- C'est une amie de mon fils je m'en occupe.

Une porte se referma, le silence revint. Elle eut la force de tourner la tête pour voir le médecin tirer une chaise roulante vers elle. Au moment où il baissa son masque, elle reconnut le chirurgien. Docteur Leuvis, aussi directeur de l'hôpital d'Algore, et père biologique de Matthieu. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle eut pendant un court instant l'impression qu'il était là pour l'aider.

- Les anesthésiants vont encore faire effet pendant un moment, soupira-t-il alors que Torielle avait la nette impression que cela l'arrangeait.

Les muscles de son visage se detendirent et elle sentit quelque chose contre son front. L'aspect d'un gros bandage collé contre sa peau. La douleur irradiait, son œil droit en pleurait tout seul.

Le docteur se pencha vers elle sur sa chaise roulante et détailla le côté droit de son front.

- Vous avez mal ?

Elle eut à peine la force de secouer la tête. Elle voulait sortir d'ici au plus vite.

- Tant mieux.

A peine eut-il conclut cela qu'une vive décharge de douleur lui déchira la tête. Elle ferma les yeux, le temps que cela passe.

- Vous avez eu de la chance, avec ce genre d'accident on peut vite perdre un œil.

Même froncer les sourcils coûta beaucoup à la jeune fille. Quel accident ? Elle n'avait même pas la force de lui parler pour lui expliquer de quoi elle se souvenait. Matthieu lui avait explosé cette bouteille sur le crâne, cela relevait difficilement de l'accident. Le jeune homme avait dû enjoliver la réalité auprès de son père.

Elle avait vite compris au cours des semaines suivantes que non. Le docteur Leuvis était bien dans la confidence.

Le jour où elle eut le courage d'aller déposer sa plainte au commissariat, l'affaire n'eut aucune suite. Or Torielle n'était pas résignée à abandonner. La deuxième fois fut plus difficile. Le matin, elle examina encore les points de suture qui couvraient son front, la plaie sanguilonante et la chair boursoufflée et violette autour. Penchée sur son miroir, elle essaya de l'effleurer avec sa main et se résigna instantanément. La douleur la lançait sans qu'elle ait besoin de toucher. Elle poussa un long soupir.

Depuis son séjour à l'hôpital, elle n'avait plus aucun nouvelle de Matthieu. Il devait sans doute se faire discret après s'être fait remarquer par son père. La chance lui souriait pour enfin porter plainte. Sa plaie allait sans doute se remettre à saigner, mais elle refusait de remettre un pansement. Elle préférait la couvrir avec ses cheveux plutôt que de l'afficher avec un énorme bandage blanc. Elle n'avait pas envie que la police ne remarque que ça.

Elle refit sa déposition, en précisant qu'elle revenait déjà pour la deuxième fois. Étrangement, elle fut convoquée au bout de trois jours.

Le lieu de rendez vous se trouvait dans ce qu'Alogre appelait le "Palais de justice". Or très peu de justice était rendue dans cet endroit, puisque le crime n'existait pas à Algore. Torielle ne savait pas vraiment ce qu'elle attendait en s'y rendant. Peut être à ce que justice soit faite ? Ou qu'au moins Matthieu disparaisse de sa vie. Car la justice, elle n'y croyait plus.

L'anti-hôte [Partie 3]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant