S'abandonner

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- Tu aurais vraiment sauté ?

Voilà la question à laquelle il aurait voulu ne jamais donner de réponse. Il voyait dans ses yeux qu'elle lui en voulait sans vraiment lui en vouloir. Qu'elle l'accusait silencieusement pour se blâmer elle même. Elle attendait une réponse, et il détourna le regard.

A vrai dire, il ne savait pas non plus s'il aurait sauté. A ce moment là, il ne réfléchissait plus totalement. Cette femme avait le don de vous faire perdre la raison. Il s'était avancé vers le précipice, pensant bien faire, pensant les sauver, pensant les sauver toutes les deux. En fait non, il ne pensait plus. Seules ses jambes avançaient contre sa volonté vers la mort. A quoi aurait servi sa mort ? Matthieu aurait quand même fait souffrir Torielle, Maïsie en aurait subi les conséquences, et lui, il serait mort sans vraiment avoir réussi à les protéger.

Qu'est ce qu'il voulait lui prouver ? Qu'il était prêt à se sacrifier pour elle ? Que contrairement à Judith, il lui aurait donné sa vie pour la sauver ?

La main de Torielle lui saisit le menton, et il fut contraint de croiser son regard noir.

- Je t'interdit de refaire une chose pareille.

Il hocha la tête. Quoique cette femme lui ordonnerait, il obéirait. Depuis trois ans que Marie Ange était partie, il n'avait jamais rien éprouvé d'aussi fort pour une femme. Avec ses cheveux noirs comme le charbon, ses pupilles tout aussi intenses et ses lèvres foncées, oui, elle lui faisait penser à son ex-femme de temps en temps. Mais pourrait-il un jour vraiment cesser de les comparer ?

Il replongeait dans les mêmes sensations qui l'avaient tant transportées à l'époque. Celles de s'abandonner complètement, quitte à en souffrir, de se donner corps et âme pour une relation finalement vouée à l'échec.

Torielle représentait tout ce qu'il désirait. Mais il savait, après le retour de Judith, qu'il ne pouvait pas faire le poids face à l'amour des deux femmes. Alors il s'était renfermé, se sentant étranger, de trop dans la situation. Il sentait que sa présence finirait par faire souffrir Torielle au long terme. Alors il avait préféré s'effacer, sans pour autant cesser de l'aimer. Et ses sentiments s'en étaient presque retrouvés décuplés, à les voir si complices, il en devenait inconsciemment jaloux et remarquait absolument tous leurs moments de désaccord. Il s'en abreuvait, alimentait en lui l'espoir que leur relation ne pouvait pas durer.

Mais il s'en était voulu de penser cela. Alors, c'était peut être ce sentiment d'être de trop qui l'avait poussé à se rapprocher de la falaise, de plus en plus...

- C'est clair ?

Il voyait qu'elle tendait de nouveau ses lèvres sombres, n'osant pas refaire le premier pas. Il avait tant désiré et attendu ce moment qu'il ne tarda pas à combler l'espace entre eux. Leurs lèvres s'entrechoquèrent avec force, mais le baiser se mua en une caresse douce et passionnée. Il y avait quelque chose de grisant à désirer Torielle et être désiré par cette femme. La tenir entre ses bras donnait l'impression de détenir un objet fascinant et dangereux à la fois. Sentir sa peau moite frémir sous ses doigts, et entendre son souffle près de son oreille, lui donnait la sensation d'avoir en sa possession un bien précieux, mais éphémère. Sa peau halée, son corps lisse, ses formes étroites, ses cheveux rebelles, le son de sa voix, la douceur de ses gestes... parfois il avait plaisir à voir qu'elle devenait vulnérable lorsqu'elle était avec lui. Même si elle ne manquait pas de retrouver sa froideur éternelle une fois le jour revenu.

Il ne savait pas pourquoi il se laissait s'abandonner à elle encore une fois. Il ne savait pas où les mènerait cette relation. Mais cette petite victoire personnelle sur ses rivaux, il la savoura, surtout lorsqu'elle effleura la peau de sa gorge avec ses lèvres.

- Torielle, tu es sûre, tu...

- Oui. Je te veux toi...rien que toi...soupira-t-elle en faisant descendre le bout de ses doigts pulpeux le long de son dos.

Alors il essaya d'oublier Judith, s'accrochant à l'espoir que Torielle l'avait choisi lui, et pas elle.

"Je te veux toi"

Stéphane ne savait pas si elle utilisait Matthieu, ou Judith comme moyen de comparaison, ou toutes les autres personnes qu'elle avait pu rencontrer. Il espérait qu'elle ne se livrait pas à lui seulement pour oublier les anciennes sensations qu'avaient provoquées chez elle le retour de son ex petit ami.

- Je t'aime, lui murmura-t-elle timidement à l'oreille.

La surprise fut telle pour le médecin qu'il en oublia de respirer. Elle ne lui avait jamais dit. Jamais elle n'avait prononcé ces mots, en sa présence, avec tant de sincérité.

Or il ne pouvait pas oublier l'émotion qu'avait suscité le retour de Judith. Il savait que de son côté, si Marie Ange venait à réapparaitre, il ferait peut être aussi des choix qu'il était certain de regretter. Alors à défaut de contrôler l'amour, il laissa l'amour le contrôler et plongea ses doigts dans la chevelure douce de la jeune femme.

L'anti-hôte [Partie 3]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant