L'anti-hôte [Partie 3]

La révolte

Je n'avais jamais vu Torielle dans cet état. Judith elle même semblait contrariée par son attitude, bien que concentrée dans la préparation de leur plan avec Steve. J'avais retrouvé la jeune femme en me levant ce matin, assise sur un chaise de la cuisine, la tête appuyée sur sa paume, le regard perdu dans le vide. Elle même avait été incapable de dire où était parti Stéphane. Et avec notre seule voiture qui plus est.

- Il part au moment où nous avons le plus besoin de tout le monde ! s'emporta Bellamy.

Torielle ne réagit même pas, elle commençait presque à m'inquiéter. Je posais une main réconfortante sur son épaule :

- Tu veux que j'essaie de le localiser ?

- J'ai déjà essayé, il est parti vers l'Est, c'est tout ce que je sais.

Je fis la moue. En effet, les hôtes pouvaient se localiser entre eux mais n'indiquaient qu'une direction, et non un lieu précis. Je jetai un regard à Bellamy, debout lui aussi dans la cuisine, entourant le corps avachi de Torielle sur la table. Impuissants tous les deux, nous poussâmes un soupir commun.

Quelqu'un toqua alors prudemment contre la porte ouverte. Judith et Steve se tenaient dans l'embrasure. La jeune femme, vêtue de sa veste en cuir, de ses hautes bottes et d'un pantalon vert moulant, atteignait à peine l'épaule du corps vertigineux de Steve. Il avait de son côté, revêtu un pull noir à col roulé ainsi qu'un pantalon assorti. Les deux étaient apprêtés pour passer inaperçu parmis les entrepôts.

- Vous partez ? questionna tristement Bellamy.

Cette question fit machinalement relever la tête à Torielle.

- Bientôt. On voulait attendre le retour de Stéphane, couina timidement Judith.

J'hochai la tête alors que la policière a côté de moi se manifestait enfin :

- Non, partez sans l'attendre, grinça-t-elle en se relevant péniblement. On ne sait même pas s'il reviendra.

- Mais où a-t-il donc pu partir ? grogna Steve en croisant les bras.

Judith et Torielle se lancèrent un regard complice. Elles s'étaient comprises mutuellement, mais aucune des deux ne dirait rien sur l'endroit où avaient bien pu disparaître le médecin. J'admirais leur alchimie. Il m'arrivait aussi parfois avant de pouvoir communiquer tout ce que je ressentais avec Bellamy d'un simple coup d'œil.

Je voyais à quel point les lèvres de Judith tremblaient, au moment où elle s'apprêtait à faire ses adieux à sa meilleure amie. Torielle ne lui en laissa pas l'occasion et se jeta dans ses bras. Ainsi agrippées l'une à l'autre, elles ne laissèrent échapper aucune larme. Leur aura puissante me transperça la poitrine, et lorsqu'elles se détachèrent, je vis à quel point leurs yeux brillants se dévoraient.

- Bonne chance, souffla Torielle en lui caressant le dos de la main.

Judith en profita pour attraper sa main et la serrer avec force dans la sienne.

- Soyez prudents.

Elle tourna alors sa tête pour balayer l'assistance du regard.

- Tous.

Je lui souris avec conviction et Torielle reprit la parole.

- Revenez en vie, tous les deux.

La menace semblait s'adresser directement à Steve. En le regardant froidement dans les yeux, elle ajouta :

- Tu as compris ? Si vous ne revenez pas tous les deux, je te tue.

Judith ne put s'empêcher de sourire et Steve de chercher du regard un endroit où s'échapper. Cependant, comme pour soulager Torielle, il posa une main protectrice sur l'épaule de sa collègue qui ne sut plus où se mettre. La preuve était suffisante, car il n'était pas difficile de voir à quel point Steve aurait sacrifié sa vie pour la jeune femme.