Nouvelle alliance (2)

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Judith avait toujours vécu dans la dissimulation. Deuxième fille d'une famille d'opposant, elle avait appris à cacher son identité, cacher ses intentions, cacher ses véritables pensées. A l'école, avec ses amis, même en marchant dans la rue elle jouait un rôle. 

Son père était un opposant discret. Jamais il ne s'était fait attrapé, et les fois où il avait été pourchassé par des hommes de Domoto ne manquaient pas. Sa mère était morte, quand elle était gamine, à cause de l'insalubrité de leur logement, elle avait attrapé une maladie. Et même à cette époque, les sans-âmes n'étaient pas prioritaires à l'hôpital. Si Judith avait repris l'héritage familial, Emma sa grande sœur, avait préféré rester plutôt passive face à la situation, choisissant de s'occuper de leur père Alzheimer alors que Judith s'engageait dans la police. Elle était désormais la dernière de la famille à pouvoir agir. 

Lorsqu'elle rendait visite à Emma et à son père, il la regardait toujours avec la même lueur vide dans le regard en répétant : 

"Et alors, quand est ce que j'aurais des petits enfants ?"

Il n'avait pas oublié son passé de résistant. Mais il oubliait souvent que Judith l'était aussi, et qu'elle n'aurait pas d'enfants. Cependant, elle évitait de lui refaire la longue tirade de sa sexualité à chaque fois qu'elle lui rendait visite. 

"Demande à Emma", disait-elle alors avec un regard insistant pour sa sœur. 

Cette dernière ne manquait pas de la fusiller du regard. A force d'être sans relâche avec leur père, elle en avait oublié de vivre pleinement sa vie. 

Judith s'en voulait aussi des les avoir abandonnés tous les deux. 

Le jour où Torielle l'avait surprise en train de fouiller dans les affaires du président, alors que la nuit tombait au Service de Protection, elle avait failli s'effondrer. Adieu la vie de résistante, adieu la liberté, adieu la victoire, elle allait se retrouver au fin fond d'une prison secrète et personne ne viendrait l'en sortir. Torielle s'était avancée, lui avait mis la main sur l'épaule avant de souffler : 

"Ne t'inquiète pas, moi aussi il faut que je te parle de quelque chose". 

Judith se maudissait tout de même de s'être faite avoir, alors que son père lui avait tout appris depuis des années. Appris à se faire discrète, à dissimuler, mentir mais seulement en cas d'extrême nécessité, reconnaitre les sons, courir vite. Et elle s'était faite prendre par la nouvelle recrue. Nouvelle recrue qui ne la laissait pas indifférente pour autant. Elle avait même trouvé cela excitant de s'être faite surprendre par Torielle, et qu'elles se retrouvent le soir même chez elle pour discuter. 

Elle lui avait tout raconté, sa grand mère puis ses parents assassinés par Domoto, sa vengeance. Elle n'avait pas peur de mettre Judith dans la confidence maintenant qu'elle l'avait surprise elle aussi. Et les deux étaient amies, depuis que Judith l'avait raccompagnée du tribunal, amenée à la pharmacie, qu'elle lui avait sauvé la vie et qu'elle était venue à l'accouchement. Mais Torielle ne s'était jamais autant ouverte à elle. Au contraire, elle l'avait souvent remerciée du bout des lèvres, l'air absent. Mais ce jour là, elle avait dû trouver un véritable intérêt à leur amitié. Judith était restée, stoïque, troublée par cet afflux de révélations. Elle aurait pu tout lui dire elle aussi, d'où elle venait, ce qu'elle projetait exactement de faire, ses pistes et ses soupçons. Or elle avait articulé : 

"Moi aussi, j'aimerais débarrasser l'île de ce type". 

Et elle s'étaient associées. Torielle s'était mise à lui cacher des choses, et Judith continuait de faire de même. Or, à force de voir Torielle toquer le soir chez elle, complètement alcoolisée, du sang encore dans les phalanges, elle avait compris. Torielle ne s'était pas simplement rapprochée de Domoto, elle travaillait pour lui. Et ses affaires personnelles. Elle espérait seulement qu'il ne se servait pas trop d'elle. 

L'anti-hôte [Partie 3]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant