Matthias.
J'ai beau me trouver devant le cercueil de mon père à regarder les croquemorts le descendre dans le caveau, mes pensées restent figées sur ma soirée de la veille. Je sortais du bar, là où j'avais passé deux ou trois heures avec un ami à boire de la bière et à refaire le monde, j'ai pris une ruelle comme raccourci, là où des malfrats m'attendaient pour me rouer de coups.J'aurais bien aimé me défendre mais ils m'ont pris par surprise et la première droite que je me suis prise en pleine figure m'a tellement assommé que je me suis laissé faire. Ce qui résonne dans ma tête comme un écho, c'est ce que m'a craché le plus féroce des cinq :
— T'as 365 jours pour nous filer les 80 000 euros que ton père nous doit, sinon, toi et ta petite maman, vous êtes morts !
Il m'a craché un énorme mollard dessus puis ils sont partis et moi, je suis rentré, défroqué, sonné et bourré.
Maintenant je me tiens devant un trou dans lequel le corps de mon père reposera, les mains jointes devant mon bassin, un œil au beurre noir et une certaine rancœur envers lui. Il pleut, et alors que les personnes présentes commencent à rentrer chez elle, moi je demeure immobile au bord du caveau.
Je n'étais pas nécessairement proche de mon père, il était accro aux jeux d'argent et il traînait avec les mauvaises personnes. Sa dépendance a commencé quand ma mère est tombée malade et qu'elle a dû être prise en charge dans une maison médicalisée.
— Pourquoi tu m'as fait ça... marmonné-je entre mes dents.
Je pousse un profond soupir, enfonce mes mains dans les poches de mon pantalon.
— Tu me laisse avec une dette énorme et une épée de Damoclès au dessus de la tête. Un an... putain... un an seulement pour rassembler autant d'argent.
Je sens une main dans mon dos, une caresse rassurante et réconfortante. Je tourne la tête, ma tante se tient à côté de moi, un parapluie qu'elle s'efforce de tenir au dessus de nous.
— Ca va aller Matthias ? Est-ce que tu veux venir à la maison pour ce soir ?
— Non, c'est bon... je te remercie.
— La vie est parfois injuste, ton père n'aurait pas dû se donner la mort, sans rien laisser derrière lui pour comprendre cet acte, il t'as abandonné, c'est égoïste. Je n'aime pas te savoir seul, tu sais que la porte est grande ouverte, pas vrai ?
Je lui adresse un sourire puis la prend dans mes bras. Je peux voir qu'elle retient ses sanglots, pour ne pas se montrer trop atteinte par sa mort, sûrement pour ne pas me blesser davantage.
Après le cimetière, je rentre chez moi et reste de longues minutes sous le jet d'eau chaude, jusqu'à ce que le cumulus soit vide en réalité. Une fois en jogging, je me vautre sur le canapé, j'essaie de regarder la télé, mais je n'arrive pas à me concentrer. Alors j'essaie plutôt un porno, c'est pire. Je ferme mon PC d'un geste brusque puis m'appuie contre le dossier du canapé en regardant le vide.
80 000 euros, ça ne représente même pas mon salaire sur une année et mes parents ne roulent pas sur l'or, alors en réalité, je ne vois pas où trouver cet argent si ce n'est en volant, en dealant ou...
Mon portable vibre juste à côté de moi, ce qui me tire de mes pensées. Je l'attrape. Numéro inconnu.
— Allô ? marmonné-je en décrochant.
— Monsieur Roberts ?
Pourquoi les gens ne prononcent jamais le s ? Ils sont si nuls en anglais ? Mon père était anglais, mais est venu vivre en France très jeune, et d'aussi loin que je me souvienne, Robert et Roberts, ça se prononce différemment.
— Oui, c'est moi.
Encore une pub.
— Nous avons trouvé vos coordonnées sur la base de données militaire, votre dossier intéresse beaucoup notre client.
Je me redresse, fronce les sourcils. Les données des militaires sont ultra sécurisé, comment ont-ils pu mettre la main dessus ?
J'ai été dans les forces spéciales, pas assez longtemps pour être considéré comme un vétéran, je me suis pris une balle, je suis rentré en France et après ça, j'ai continué le sport et j'ai travaillé dans un magasin d'audio visuel.
— Allô ? Monsieur Roberts ?
— C'est Robertssss, avec un s à la fin, grommelé-je.
— Notre client souhaiterait vous rencontrer, nous avons un poste à vous proposer.
— Si c'est encore pour le fric que je vous dois, laissez-moi du...
— Un poste de Garde du Corps rapproché, pour un particulier. La paie sera à négocier, nous avons quelques candidats en liste mais notre client souhaite tout de même vous rencontrer. Votre profil est intéressant, arts martiaux, forces spéciales, discrétion...
Je me frotte le visage frénétiquement puis me gratte le menton, les quelques poils de barbe qui poussent piquent sous la main.
— Si notre proposition vous intéresse, rendez-vous demain soir à vingt deux heures à l'adresse que je vous enverrai par message. Bonne fin de journée, Monsieur Roberts.
Il raccroche et me laisse dans le silence pesant, malgré les questions bruyantes dans ma tête. Je me laisse tomber en arrière, fixe le plafond. Je ne suis pas croyant, mais est-ce que c'est l'univers qui m'envoie un signe ? Si c'est le cas, j'ai une putain de chance.
Je me lève, attrape ma veste, affronte la pluie déferlante et je passe rendre visite à ma mère au centre. J'aimerais lui dire : "tout ira bien maman, tu verras. J'ai peut-être une chance de nous tirer d'affaire". Mais elle ne comprendrait rien.
Je connais le chemin jusqu'à sa chambre et pendant que j'avance dans le couloir, je jette un coup d'œil à mon téléphone. Je viens de recevoir l'adresse. Je le range dans la poche de mon jogging - j'ai pas pris le temps de m'habiller correctement, un sweat faisait l'affaire".
Je frappe à la porte puis entre. Ma mère est assise sur son fauteuil face à la fenêtre contre laquelle des gouttes d'eau coulent lentement.
— Salut maman, soufflé-je en tirant une chaise et m'asseyant à côté d'elle.
Elle tourne la tête vers moi, un sourire absent sur son visage légèrement ridé. Ses cheveux sont bruns, attachés en une queue basse et sa teinture passée, quelques cheveux blancs font leur apparition. Je prends sa main, elle se laisse faire.
— Tu sais, papa aurait aimé que tu sois à son enterrement aujourd'hui. Tu sais, ton mari.
— Mon mari ? demande-t-elle.
— Il s'est donné la mort y'a une semaine. Je te l'avais dit, j'étais venu te voir.
Elle regarde de nouveau dehors.
— Ah... oui...
Un court silence plane. Je déglutis, ravale ce que je ressens et observe ma mère.
— Vous êtes qui déjà ?
Elle me jette un regard incertain. Je l'aime. Même si elle ne se souvient pas de moi, même si elle ne se souvient pas de mon père. En réalité, au moins, elle ne souffre pas de sa perte, puisqu'elle ne sait plus qui il est.
— Je suis ton fils, tu veux que je te montre des photos ?
Elle hoche la tête, souriante.
Je passe le reste de la soirée à lui montrer des photos que je range dans une boite que j'ai laissé dans sa chambre. Elle m'écoute, me pose des questions et je ravive sa mémoire même si c'est éphémère, j'en ai l'habitude à présent.
Je sais que si je veux la préserver, il faut que je me présente au rendez-vous mystère de demain soir. C'est ma seule échappatoire.
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Mon Garde du Corps
RomanceLorsque que le père de Julia Hernandez, un Baron du Crime, engage un Garde du Corps pour la protéger, cette dernière est bien décidée à lui faire savoir qu'elle n'est pas d'accord avec cette décision. Pour cela, Julia s'efforce de faire flancher Mat...