Sept : Vacances

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Matthias.

Quand j'étais dans l'armée, le manque de sommeil ne me pesait pas autant qu'aujourd'hui

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Quand j'étais dans l'armée, le manque de sommeil ne me pesait pas autant qu'aujourd'hui. Depuis que je suis le garde du corps de la fille Hernandez, en plus de m'en faire voir de toutes les couleurs, mes horaires ne sont pas comptés. Je ne dors pas assez, c'est certain et quand je me retrouve seul dans mon appartement, j'essaie de m'entretenir pour garder la forme, de me détendre comme je peux et je finis par m'endormir devant un film sans jamais connaître la fin.

Je ne vois même plus mes amis, je n'ai pas rendu visite à ma mère depuis plus d'un mois. Quand je veux appeler le centre, il est trop tard et ils sont fermés. À force de la laisser sans nouvelles de ma part, elle finira par ne plus réussir à se souvenir de moi, même avec des photos. Je deviendrai un parfait inconnu pour celle qui m'a mis au monde. Je ne suis pas non plus retourné sur la tombe de mon père. Mon deuil n'est pas fait, mais je n'ai aucune larme à verser pour l'homme qui a fait de mon enfance un enfer, ce même homme qui, lorsque j'ai eu besoin de lui, s'est endetté au lieu de se soucier du syndrome post-traumatique de son fils.


Je suis réveillé en sursaut lorsqu'on tambourine à ma porte. Je me redresse brusquement dans mon lit, mon téléphone affiche quatre heures du matin, je suis couché depuis à peine trois heures. Je me lève, traîne des pieds tout en me grattant les cheveux puis ouvre la porte.

Julia me regarde, vêtue d'un legging moulant, un pull laissant entrevoir son épaule, les cheveux tressés. Elle louche d'abord sur mon torse nu avant de relever ses yeux vers moi.

— Habille-toi, Garde du Corps, on a de la route à faire.

Je plisse les paupières, déjà que j'ai du mal à les ouvrir complètement.

— Quoi... ?

— On part en vacances ! Enfin... je pars en vacances et toi, tu me suis. Quoi ? T'es pas content ? Je pense à toi pour une fois !

— Il est quatre heures du matin...

— Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, Matthias. Je te laisse dix minutes, tu feras gaffe, t'as une bosse dans le slip.

Elle part et me laisse ainsi devant la porte, bien que je porte ma main à mon boxer, quelque peu gêné. Je ferme la porte, me frotte le visage frénétiquement et je traîne des pieds jusqu'à la douche. Je m'efforce de ne pas y rester trop longtemps, mais me réveiller aussi brusquement, c'est clairement une torture.

Je m'habille d'un simple jean et d'un t-shirt, enfile ma veste, enfourne des vêtements dans mon sac et je quitte l'appartement, frustré d'avoir si peu dormi.

Julia m'attend dans le couloir, avec deux valises à roulettes qu'elle me tend.

— Tiens, tu porteras mes bagages. 

Je mets mon sac sur mon dos, pousse un profond soupir puis tire ses valises qui pèsent une tonne chacune. Nous passons l'ascenseur, dans un silence glaçant. Elle ne me connaît pas, je suis de très mauvaise humeur lorsqu'on me prive de sommeil.

— Oh et, tu conduiras. Ça va ? Tu n'es pas trop fatigué, j'espère ?

Je lui lance un regard en coin puis quitte l'ascenseur lorsque les portes s'ouvrent sur le parking souterrain. Je mets les bagages dans le coffre, monte derrière le volant et démarre la voiture pendant qu'elle entre la destination sur le GPS.

— L'aéroport ? On va où exactement ? m'étonné-je.

— Aux caraïbes ! J'ai réservé ça ce weekend, t'en fais pas, c'est compris dans ton contrat. Cassy sera là aussi, d'ailleurs elle doit nous attendre à l'aéroport alors dépêche toi.

Je n'ai voyagé qu'en tant que militaire, mais dans des pays moins idylliques que les Caraïbes même si certains paysages étaient à couper le souffle.

— Pourquoi me torturer comme ça ? soufflé-je en regardant ma route.

— Tu trouves que ça c'est de la torture ? Matthias... t'es loin du compte. Tu veux garder ton poste, pas vrai ? T'as besoin d'argent, c'est ça ?

— Je veux garder mon poste, affirmé-je.

— Eh bien moi, je veux que tu quittes ton poste. Jamais je ne donnerai raison à mon père. J'ai vingt sept ans, je sais me débrouiller seule. Si je veux un garde du corps, je prends un garde du corps. Si je n'en veux pas, je n'en prends pas, c'est pourtant simple.

— Estimez-vous heureuse qu'il se soucie de vous.

Je la vois du coin de l'œil, qui secoue la tête, l'air exaspérée.

— Ne parle pas sans connaître ma famille.

Je me gare sur le parking de l'aéroport, coupe le contact, mon bras sur le siège, je me tourne vers Julia et plonge mon regard dans le sien.

— Vous voulez jouer avec moi ?

Elle affiche un rictus malicieux. Cette femme est démoniaque.

— Très bien, reprends-je. Je vais jouer moi aussi.  Et croyez-moi, je déteste perdre.

Après avoir de dit cela, ce qui efface aussitôt son air amusé, je sors de la voiture pour récupérer les bagages. Nous rentrons dans l'aéroport, là où elle rejoint sa meilleure amie et toutes les deux, bras dessus, bras dessous, se racontent leurs folles histoires d'un soir. Durant deux longues heures, je reste assis à attendre que le temps passe. Je lutte contre mon sommeil, j'essaie de supporter les caprices de Julia.

Elle a soif, je dois aller lui chercher à boire. Elle a faim, je dois lui trouver quelque chose sans gluten pour sa ligne. Elle veut aller aux toilettes, je dois lui tenir la porte.

Elle joue, elle prend plaisir à me torturer mais je me suis déjà fixé un objectif : ne jamais la laisser gagner.

Je suis de nature persévérant, ses provocations ne me font pas peur et je suis très tolérant. J'ai vécu pire torture, alors je ne lui laisserai pas le plaisir d'avoir ce qu'elle veut. Elle a toujours tout eue, tout cuit dans la bouche. Je pense que s'attaquer à plus fort qu'elle ne lui fera pas de mal, bien au contraire.

Je peux néanmoins comprendre son point de vue, mais moi, je ne suis qu'un pion qu'on a posé là et je ne veux me mêler d'aucune histoire. Les miennes sont déjà bien chargées, avec cette épée au dessus de ma tête. À tout moment, quelqu'un me tombe dessus et me réclame la dette plus tôt. Un mois et demi est déjà passé et je n'ai pas vu la couleur de mon argent. Je reste patient. J'ai confiance en Hernandez, ça viendra.


Une fois dans l'avion, Cassy et Julia sont installées ensembles et moi, je suis sur la rangée d'à côté, près de l'allée. Je vois Julia qui me lance un regard empreint de défi avant qu'une femme ne me cache la vue et n'essaye de passer. Je me lève, afin qu'elle puisse s'asseoir à côté de moi.

— Excusez-moi... souffle-t-elle. Et... voilà.

Elle s'assoit et m'adresse un chaleureux sourire. C'est une jolie rousse, très charmante.

— Vous voyagez seul ? me demande-t-elle en posant son sac à ses pieds.

— Non, mais les personnes avec qui je voyage sont plus loin.

Je tourne la tête vers Julia qui nous toise, nous surveille même.

— Ne t'avises surtout pas de...

Je ne l'entends pas, mais je lis sur ses lèvres. Je lui adresse un sourire courtois, puis détourne mon regard et tends ma main à la jolie rousse à côté de moi.

— Je m'appelle Matthias, et vous ?

Elle la serre, de sa main délicate.

— Erika.

J'ai quelques dès à jeter, histoire de remettre les compteurs à zéro.

C'est les vacances après tout.

Mon Garde du CorpsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant