Dix huit : Dîner

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JULIA.

Dans mon bain moussant, j'écoute une musique relaxante, les cheveux relevés, la tête posée sur un petit coussin imperméable

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Dans mon bain moussant, j'écoute une musique relaxante, les cheveux relevés, la tête posée sur un petit coussin imperméable. Je garde les yeux fermés, relaxée. J'ai peint une bonne partie de la journée, ça m'a tellement détendue que je crois que rien ne pourrait m'énerver. Depuis le nouvel an, Matthias est aux abonnés absents. Du moins, il est là quand je sors mais je le vois, il est pensif. Je ne sais pas si c'est ce qu'il s'est passé entre lui et moi, ou si ça vient de Cassy ou même de l'entretien avec mon père.

J'essaie de me détacher de tout ça, de ne pas trop me poser de questions. On a couché ensemble, c'était bien mais ça en reste là. Comme on se l'est dit : rien d'officiel. J'admets cependant que j'aimerais recommencer, dans une autre position, dans un autre contexte et parce qu'il m'a donné ce que je n'avais pas eu depuis bien longtemps : un orgasme.

Mais ma fierté me pousse à rester distante, et de toute façon, il n'a pas l'air dans son assiette. Contrairement à lui, je n'ai rien oublié de notre soirée du nouvel an, néanmoins j'ai peut-être plus l'habitude de prendre de la drogue que lui. Je n'étais pas forcément moi-même mais je planais tellement que je me fichais de tout. Cassy et moi, on l'avait déjà fait ça... ce fameux plan à trois. Ça nous était arrivé une fois en Italie et j'en garde de bons souvenirs.

Avec Matthias, c'était agréable aussi. Ça m'a excitée que de le voir toucher ma meilleure amie, l'embrasser, lui faire l'amour. Sous drogue, aucune jalousie, aucun complexe, je me fichais bien qu'il la prenne en levrette puis m'embrasse ensuite. Je m'amusais, j'étais dans un autre monde en réalité. Il a su me faire grimper aux rideaux juste après, à croire que la drogue l'a rendu surhomme.

Une semaine plus tard, la soirée qui s'annonce sera bien moins mouvementée et torride puisque je dois dîner avec mon père. La psy m'avait dit de lui parler en terrain neutre, de lui dire ce que je pensais. Je ne sais pas si ce soir sera le bon moment parce que je ne sais pas non plus pourquoi il veut qu'on dîne ensemble.

Je m'habille d'un pantalon serré noir et d'un pull aux épaules dénudées rouge. J'y ajoute des boucles d'oreille, un peu de mascara, du rouge à lèvre, des bottines à talons et me voilà prête. Alors que j'enfile mon manteau, j'entends frapper à la porte de l'appartement. Je passe mes cheveux par-dessus le col puis l'ouvre sur Matthias qui croise ses mains devant son bassin.

— Est-ce que tu es prête ? me demande-t-il.

Je hausse les sourcils.

— J'ai l'air d'être en pyjama ?

— Eh bien, puisque tu en parles...

Je réprime un rire puis le bouscule pour rejoindre l'ascenseur. Il ferme ma porte à clé, nous rejoignons la voiture et suivons le GPS jusqu'à l'adresse que mon père lui a envoyé. Matthias est bien silencieux, les deux mains posées sur le volant, les yeux fixés sur la route. Je le regarde de temps en temps, je pensais que coucher avec lui ferait partir ces fantasmes mais en réalité, ça m'en a créé de nouveaux. Quand on apprécie quelque chose, on en veut toujours plus. Ce qu'il m'a fait ce soir-là, j'ai envie qu'il recommence.

— Tu ne te souviens toujours pas de la soirée ? demandé-je.

— Ça dépend de quelle partie tu parles. Si tu veux parler de l'épisode de la salle de bain... ouais, je m'en souviens. Si tu parles de ce qu'il s'est passé après... c'est encore un peu flou.

— Tu as baisé ma meilleure amie.

Matthias hausse les sourcils puis freine brusquement au feu rouge, manquant de le griller. Il pousse un profond soupir, humecte ses lèvres puis me darde un regard.

— Il faudrait que tout ça reste entre nous et surtout, qu'on n'en reparle plus jamais, déclare-t-il.

— Je voulais que tu le saches. Parce que... ce sera peut-être bizarre quand vous vous reverrez.

— Ah bon ? Elle s'en souvient ?

— Je pense que oui.

— Mais... pourquoi on était tous les trois dans le lit alors ?

— Parce que moi aussi, tu m'as...

— OK, j'ai compris, m'interrompt-il.

— Mais c'était bien, renchéris-je. J'ai beaucoup aimé et je pense que Cassy aussi.

— Tant mieux, je suppose... souffle-t-il.

Il me regarde, la balafre sur sa lèvre inférieure commence à cicatriser, bientôt ce ne sera plus qu'un mauvais souvenir. Ses yeux verts parcourent mon corps, pensifs et profonds. Je ne sais pas à quoi il pense, mais c'est comme s'il transperçait mon âme ou qu'il savait voir au travers de mes vêtements.

— C'est vert, Matthias.

Il se concentre à nouveau sur la route. Je souris légèrement puis observe le paysage défiler devant moi. Nous laissons la voiture à un voiturier devant le restaurant quatre étoiles puis entrons à l'intérieur. Là, un serveur nous amène à table. Mon père y est déjà installé accompagné d'un beau métisse, élancé et entretenu. Ils se lèvent tous les deux, mon père me prend dans ses bras puis me présente son associé.

— Julia, je te présente Alessandro, il vient de Sicile et devrait travailler avec moi d'ici peu.

Je lui tends la main mais au lieu de la serrer, il la saisit délicatement et dépose un baiser sur le dos de ma paume.

— Ravi de faire votre connaissance, mia cara, votre père m'a beaucoup parlé de vous.

Je lui souris alors que mon père se penche vers Matthias. Je ne sais pas ce qu'il lui murmure mais juste après, il lui montre une table où son garde du corps et celui d'Alessandro sont assis. Leur table donne sur la nôtre, pour qu'ils nous gardent à l'œil. Je lui darde un regard qu'il me rend avant d'aller s'asseoir avec ses collègues. Alessandro me tire une chaise, je m'y installe tout en le remerciant puis prends la carte, histoire de faire mon choix rapidement. J'espère que cette soirée prendra fin le plus tôt possible.

— Comment s'est passé ton réveillon du nouvel an, Julia ? demande mon père.

— Très bien, je te remercie. Et le tiens ?

— Nous sommes restés à la maison avec Anna, j'avais des affaires à régler.

— Hm. Et vous, Alessandro ?

— J'ai voyagé à New York, je suis rentré hier soir.

— Oh, je vois. Vous faites les choses en grand.

— Alessandro est un grand investisseur et sa famille est fortunée, comme la nôtre.

Je pose le menu, ma main à plat sur celui-ci et observe mon père, les paupières plissées. C'est un traquenard, il essaie de me caser. Non pas qu'Alessandro soit repoussant, au contraire, il est très charismatique, propre sur lui mais... je ne veux pas d'une relation sérieuse. Je ne suis pas prête.

— OK, super. Pourquoi tu voulais qu'on dîne ensemble, papa ?

— Parce que j'aime dîner avec mes enfants pour la nouvelle année et j'avais envie de te présenter Alessandro. Il est célibataire, il a trente ans et...

— Alessandro, excusez mon père, il est parfois maladroit, interromps-je mon paternel en me tournant vers le concerné. Vous êtes bel homme et je suppose que vous choisissez les femmes que vous voulez.

— Bien-sûr mais j'admets que votre père a minimisé votre beauté.

Je lève les yeux au ciel et suis sauvée par le serveur qui vient prendre notre commande. Mon père demande une bouteille du meilleur vin qu'ils ont, je commande un tartare de thon et espère me noyer bien rapidement dans le vin.

— La tradition de ma famille veut qu'à trente ans, nous soyons mariés.

— J'ai vingt-huit ans et je n'ai pas envie de me marier, Alessandro. Je suis désolée.

— Julia, grommelle mon père.

— Si tu m'as invitée ici pour me caser avec ton associé, c'est raté. J'espère que vous n'avez rien signé Alessandro.

— Alessandro, voulez-vous bien demander à changer ma commande s'il vous plaît ? demande mon père. Je préfèrerai manger un risotto à la truffe d'été.

Il hoche la tête, pose sa serviette, me sourit puis part vers le bar, il a très bien compris que mon père souhaitait s'entretenir seul avec moi. Il est richement vêtu, bel homme et respectueux mais j'ai déjà accepté le garde du corps, je n'accepterai pas un mariage arrangé.

— Julia, peux-tu apprendre à te tenir correctement ? peste mon père.

— J'ai accepté Matthias, et maintenant je dois accepter que tu me maries à un type que je ne connais pas ?

— Son affaire en Sicile est très répandue, il commence à avoir des contacts aux États Unis.

— Super pour lui, il fait quoi ? Il vend de la drogue ou fait du trafic d'organes ?

— Arrêtes tes âneries, ça ne me fait pas rire. Ton sarcasme me met hors de moi.

— J'espérais un dîner rien que toi et moi, pour pouvoir te dire ce que je ressens et finalement, je me retrouve dans un traquenard. Je ne peux pas te faire confiance, c'est dingue.

Le serveur revient, alors je croise les bras et m'appuie contre le dossier de ma chaise. Je l'observe nous servir notre verre de vin, il remplit également le verre d'Alessandro. Mon père le goûte, le valide et le serveur nous laisse donc la bouteille. J'attrape le pied du verre puis en bois une grosse gorgée.

— Je te loge, je te paye ta voiture, tes courses, tes vêtements... grâce à moi, tu vis.

— Et en contrepartie je dois te dire oui à tout, c'est ça ?

— En contrepartie, tu m'obéis, tu me respectes.

Je me réavance vers la table.

— Commence par me dire ce que tu fais réellement.

— Tu veux vraiment le savoir ?

— Oui, j'en ai assez d'être mise à l'écart. Je ne suis pas une petite poupée en porcelaine, fragile et précieuse.

— J'ai le monopole sur la France entière, l'Espagne, l'Allemagne la Suisse et également l'Algérie pour le trafic de drogue. Mon Cartel est implanté dans ces pays et s'étend d'années en années. L'Italie étant gardée par le superbe Cartel d'Alessandro dont il est le Jefe, j'espérais une alliance pour y vendre mes produits. Pour cela, Alessandro m'a fait une proposition ; il m'offre quelque chose qui lui est cher et moi, je lui offre également quelque chose qui m'est cher. Apparemment, il te suit sur les réseaux et il t'a toujours trouvé à son goût mais tu comprends bien que nous étions rivaux jusqu'à il y a quelques semaines. Alors il ne faisait que t'admirer.

J'ai envie de pleurer. Mon cœur martèle ma poitrine et ce ne sont pas les révélations de mon père qui me procurent cet effet. Je me doutais qu'il trempait dans des affaires pas nettes, je me doutais qu'il avait du pouvoir. Ce qui me blesse, c'est qu'il me traite comme un vulgaire objet de valeur, quelque chose qu'il peut échanger pour alimenter son business.

— Trouves toi un autre pays à coloniser, pesté-je en terminant mon verre de vin.

— Alessandro aurait pu être laid, repoussant et irrespectueux avec les femmes mais il est bien élevé. Cependant, je suppose que tu t'intéresses davantage à ton garde du corps.

Je relève les yeux vers lui, les lèvres pincées. Instinctivement, j'aimerais tourner la tête vers Matthias, mais je ne peux pas, pas maintenant.

— Tes petites vidéos sur les réseaux sociaux m'en ont beaucoup montré. Tu peux juger mon travail, mais ce que tu prends pour planer, c'est ce que je produis.

Je prends la bouteille de vin, me resserre un verre bien rempli et le bois à grosses goulées. J'essaie de retenir mes larmes, de contrôler mes émotions. Je regarde mon père, droit dans les yeux et je veux qu'il y lise ma déception, ma rancœur, ma peine.

— Mais le garde du corps, Julia, il m'appartient. L'argent que tu utilises pour te payer ta drogue et tes voyages de luxe, il m'appartient aussi. Donc, ta vie m'appartient. Si je veux, je peux tout te retirer.

Il s'adosse à sa chaise, croise les bras sur sa poitrine et m'adresse un sourire.

— Mais je ne le ferai pas. Je t'aime bien trop pour ça. Et je sais que nous trouverons un arrangement toi et moi. Entre père et fille.

Je hoche la tête alors qu'Alessandro s'assoit à nouveau à côté de moi. Je pose mon verre, me mordille les lèvres, ravale mes sanglots.

— Tout va bien ? demande le sicilien.

Mon père lui répond mais je n'écoute pas, je jette un bref regard en direction de Matthias qui sirote son cocktail tout en nous observant. Lorsque je croise son regard, je détourne rapidement le mien, j'inspire profondément par le nez, expire lentement par la bouche et j'affiche mon plus beau sourire à Alessandro.

— Alors, parlez-moi de vous, de la Sicile et de ce que vous aurez à m'offrir quand je vous rendrai visite !

Alessandro paraît ravi, alors qu'il commence son monologue, j'affronte le regard satisfait de mon diable de père. J'ai mal. Mais je survivrai. Son emprise est toujours moins terrible que les flammes qui ont dévoré ma mère et une partie de mon âme.

Mon Garde du CorpsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant