Vingt Six : Prisonnier

445 42 1
                                    

Matthias.

Je reste allongé sur le dos, le bras derrière la tête et l'autre dans une écharpe, à observer les micros fissures qui déforment le plafond, à écouter mon voisin de chambrée ronfler grossièrement

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.


Je reste allongé sur le dos, le bras derrière la tête et l'autre dans une écharpe, à observer les micros fissures qui déforment le plafond, à écouter mon voisin de chambrée ronfler grossièrement. Je suis en colère, je suis triste, je suis fatigué. Je suis inquiet aussi. Comment va ma mère ? Est-ce que j'ai tout gâché ?

Mais je ne peux m'empêcher de me blâmer. Comment ai-je pu être aussi aveugle ? J'ai laissé un type comme Hernandez me manipuler autant qu'il a manipulé mon père. Son message était clair : c'était lui, le type à qui je devais quatre vingt milles euros. Ma dette n'était pas celle de lui ramener de l'argent mais c'était de lui permettre une ouverture dans un autre pays, en tuant pour lui, en me salissant les mains pour lui, en prenant perpétuité pour lui. Peut-être que je m'emballe, mais je sais que mon procès ne sera pas indulgent, pourquoi le serait-il d'ailleurs ? J'ai tué.

Je suis en détention provisoire depuis quelques jours mais je ne préfère pas compter, ni même savoir quel jour on est. J'essaie de me faire à l'idée, d'accepter que ma liberté se limitera à quelques heures de sortie dans une cour surveillée et ce, quelques jours par semaine.

La porte s'ouvre, je relève seulement la tête. Un garde me fait signe.

— Roberts, suis-moi, ordonne-t-il.

Je me lève de mon lit nonchalamment et je le suis en enfonçant ma main valide dans la poche de mon jogging. Je le suis dans les couloirs étroits de la prison, là où nous devons passer je ne sais combien de portes de sécurité, ouvertes manuellement par d'autres gardiens pénitenciers. Qui aurait pu croire que je finirais là-dedans ? Moi, un ex soldat.

Il me fait entrer dans un bureau décoré sobrement et principalement composés de meubles remplis de dossiers, puis il referme la porte derrière lui. Je me tourne vers l'homme assis derrière, le directeur je suppose, plutôt jeune pour son poste, il est accompagné de deux gendarmes et avance de quelques pas.

— Je vous en prie, asseyez-vous, dit-il en désignant la chaise devant lui.

Je m'exécute, docile. Je m'assois, reste silencieux.

— Je vous présente Frank et Anthony, tout deux font parties de la BAC et travaillent en parallèle avec le GIGN. Ils ont une proposition à vous faire.

Je les regarde, l'un semble plus vieux que l'autre. C'est le fameux Frank le plus vieux, homme d'une quarantaine d'années, les épaules carrées, les mains sur sa ceinture, les cheveux grisonnants...

— Je sais que vous n'avez pas fait ça par pur hasard, Monsieur Roberts, commence Frank. Mon collègue et moi-même sommes sur une affaire qui date de dix ans au moins. On cherche à mettre la main sur un certain Hernandez.

Je relève aussitôt la tête vers lui.

— Je vois que ça vous parle.

Je déglutis, sans un mot. Il s'approche du bureau, pose ses mains à plat dessus et rapproche son visage du mien.

— Je vais vous la faire courte : si vous voulez éviter la prison et vivre une vie bien rangée avec un bracelet électronique à la cheville, alors vous me livrez Hernandez. Si vous préférez finir vos jours en prison... c'est votre choix.

Il se redresse, croise ses bras. Son collègue reste silencieux, il m'observe simplement. J'ai le choix entre rester en cage ou avoir une laisse mais rester chez moi. Dans les deux cas, je suis prisonnier.

— Le temps en prison, c'est très long, surtout si vous n'avez pas accès à internet, et tout ce qui va avec... le luxe, ça se négocie, insiste le directeur.

Je baisse la tête un instant, me mordille les lèvres. J'ai peur de me faire avoir, encore une fois.

— Je ne veux plus avoir affaire à ce type... marmonné-je.

— Une dernière fois. On sera avec vous, vous ne risquerez rien.

— Mais qu'est-ce que je vais lui dire ? grogné-je en lui dardant un regard. Il est loin d'être con, votre homme. Croyez-moi... il est même très malin.

— Je n'en doute pas. Il est pire qu'un gourou, ses hommes se butent quand on arrive à en choper un.

Je fronce les sourcils.

— On a eu quelques suicides au cours des dix dernières années d'enquête, explique le directeur.

Je ferme les yeux, m'appuie sur mes jambes et pousse un profond soupir. J'ai peur. C'est rare mais c'est réel. J'ai peur d'Hernandez. Et de sa fille plus que tout... Mais je n'ai pas envie d'abandonner ma mère non plus.

— Comment je peux savoir que c'est vrai et que je finirai pas mes jours en prison ?

— Il faut nous faire confiance, déclare Anthony.

Je rigole, mais c'est nerveux.

— Putain... je vais encore me faire manipuler...

— Tu préfères savoir ce type encore en liberté, à étendre son cartel, à continuer à faire du mal ? On le coince, et on l'enferme pour le restant de ses jours, c'est ça le deal, reprend Frank.

— OK mais... sa famille ?

— Si aucune preuve ne les incombe, alors ils seront libres.

— Non, je crois que vous n'avez pas compris. Il a une fille, Julia Hernandez, elle n'est pas impliquée dans son trafic. Alors je vous le demande, elle doit être protégée, elle... elle doit rester en dehors de tout ça.

— On fera ce qu'on peut, à notre niveau, Monsieur Roberts.

Je hoche la tête. De toute façon, je n'ai plus trop le choix. Je préfère vivre avec un bracelet électronique à la cheville plutôt que partager ma cellule avec le moteur d'un tracteur en guise de colocataire pour le reste de ma vie.

— OK... Dites-moi ce que je dois faire.

Le plan, selon eux, est simple : Je sors, tout en restant sous leur surveillance. Si j'essaie de leur mettre à l'envers, ils me descendent. Je dois contacter Hernandez par le moyen que je veux, lui donner rendez-vous à Versailles, pour, je cite : « discuter de ce qu'il s'est passé » et lui faire croire qu'on m'a relâché pour faute de preuves. Je devrais être convaincant, sûr de moi et surtout, lui lécher le cul. Hernandez n'est pas idiot, il va me poser des questions et je doute qu'il vienne seul. D'ailleurs, je doute qu'il accepte de me rencontrer à un endroit que j'aurais choisi.

Quand j'ai soumis cette hypothèse à Frank, son collègue a su me répondre que ce n'était pas grave, j'irai là où il me dira. Ils me fileront une oreillette hyper sophistiquée, il faudrait vraiment me regarder de près pour s'en apercevoir et j'aurais aussi un micro sur moi. Ainsi, ils sauront quand intervenir.

Soit ça passe, et j'ai une chance de ne pas finir derrière les barreaux. Soit ça casse et Hernandez me tue.

J'ai une chance sur un million de m'en sortir vivant. Mais j'ai appris, à l'armée, à toujours me tirer des situations les plus complexes.

Hernandez va payer pour ce qu'il a fait à ma famille.

Mon Garde du CorpsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant