CHAPITRE 7 - ALICE

70 2 0
                                    


Mon fils a aujourd'hui cinq mois. Cinq mois que je n'ai aucune nouvelle de Romain. Silence radio... J'ai dû apprendre à faire sans lui. A prendre soin de notre fils sans lui.

Comment ne peux t-on pas aimer Eden ? C'est un bébé tellement souriant, tellement doux. Dès que je le regarde, il m'apporte une bulle de sérénité. Il m'impose de me poser avec lui et de profiter des instants présents. C'est fou comme un si petit être peut prendre possession de tout votre cœur.

Au détours de conversations avec mes anciens collègues, j'ai appris que certains avaient participé au tournage en Egypte avec l'équipe de Romain. Ils sont restés plusieurs semaines là-bas, puis chacun est retourné à son quotidien. Quant à lui, je ne sais pas où il est. Je ne sais même pas s'il est en France ou non.

Je porte son nom de famille et pourtant c'est comme s'il était un inconnu. Comme si nous n'avions pas un passé, ni un présent et encore moins un futur en commun.

Il y a quelques semaines, j'ai entamé les démarches pour la demande de divorce. Mais comme Monsieur demeure introuvable, cela prend un peu plus de temps que prévu. J'ai donc engagé un avocat, qui prend en charge tout ce bordel. Je n'ai pas envie de perdre mon temps et mon énergie. Tout ce que je veux, c'est retrouver ma liberté.

Du côté de la santé d'Eden, le fait qu'il reste avec moi la journée, lui permet d'éviter la crèche et donc éviter au maximum les petits virus. Sa santé est fragile, je le préserve un maximum.

Les rendez-vous médicaux et sociaux s'enchaînent. A chaque nouveaux spécialistes rencontrés, je prends une claque en découvrant les nouveaux symptômes ou suivi qu'il pourrait avoir : malformation cardiaque, problèmes visuels, prises de sang à répétition, etc. La liste s'allonge encore un peu plus.

Un soir, j'ai tenté de comprendre cette pathologie. Je voulais anticiper les prochains mois. Alors j'ai tapé "trisomie 21 bébé" dans google. Plus jamais je ne ferais cette erreur.

Dans un premier temps, je suis tombé sur des articles informels et officiels. Puis en descendant plus bas dans la liste des résultats, les premiers forums sont arrivés.

Un premier témoignage ayant pour titre "j'ai découvert la trisomie de mon enfant le jour de sa naissance". Instantanément je me replonge cinq mois en arrière. Les larmes me montent aux yeux et menacent de couler. Je les retiens et les efface d'un revers de la main.

Et j'ai refermé d'un coup sec mon ordinateur portable.

********

Sur les conseils du pédiatre d'Eden, je dois mettre en place un suivi deux fois par semaine avec un kinésithérapeute pour prendre en charge son manque de tonus musculaire.

Il m'a recommandé celui qui s'est installé récemment dans le vieux centre de Nantes. C'est un de ses anciens camarades d'études. Il est spécialisé dans la prise en charge des pathologies des enfants. Encore un spécialiste de plus à voir. Encore un énième suivi médical. Encore des rendez-vous supplémentaires à gérer dans la semaine.

******

J'arrive devant le cabinet et m'installe dans la salle d'attente. J'ai entendu dire que faute de médecin, la ville met à disposition des locaux et appartement au dessus pour attirer les jeunes diplômés. Cela ce voit que ce kiné vient juste de s'installer : les murs sont blancs et dénués de décoration. ça sent le propre et la peinture fraîche.

Un couple de parents et leur enfant sortent de la salle de soin. Derrière eux, un jeune homme en blouse blanche les suit pour les raccompagner. Je suppose que c'est lui.

Je le suis volontiers du regard.

Il revient rapidement devant moi.

"Madame James ? C'est à vous"

Il s'appuie nonchalamment sur la chambranle, en croisant les bras. Cet homme aurait pu être sportif dans une autre vie. Sous sa veste, je perçois ses larges épaules. Lorsque je remonte les yeux plus hauts, je suis bloquée sur sa mâchoire carrée. Pourtant, son visage n'a rien d'un "gros dur". Il est souriant et avenant.. Un coup d'œil plus haut, et je me perds dans des pupilles couleur océan. Une mer calme aux multiples nuances de bleu. Une eau bleutée qui appelle à s'y baigner.

Un peu intimidé par le spécimen devant moi, je reprends mes esprits. Depuis quand suis-je en émoi devant un homme. Même pire devant un jeune homme.

Je prends la poussette avec Eden qui dort dedans, et passe devant lui.

Dans ce petit couloir, je sens un regard insistant dans mon dos.

Je rentre dans la salle de soins et il ferme la porte derrière nous.

******

"Vous pouvez laisser votre bébé se reposer quelques minutes de plus. Nous allons échanger sur certains points avant de démarrer la séance. Je me présente je m'appelle Matthieu. Le Dr Janier qui est un confrère, m'a transmis le dossier d'Eden.

Sa prise de parole n'arrange en rien le trouble que je ressens.

Il parle d'une voix douce. Son timbre est posé.

"Parfait."

Ma voix est un peu pâteuse. Je ne sais pas trop bien ce que je dois lui répondre, ni les choses qu'il a pu lire dans le dossier de mon fils. Est- ce que ce bout de papier fait aussi mention de ma situation personnelle ? Une mère en pleine incertitude, abandonnée du jour en lendemain par son soi-disant mari ?

Il comble le vide en reprenant la parole.

"Vous a t'on expliquer pourquoi il est nécessaire que votre fils participe à ces séances ?"

"Oui et non, son pédiatre m'a indiqué que maintenant qu'il avait cinq mois, il était temps de commencer les séances de kinésithérapie. Il voudrait que ses muscles soient stimulés pour l'aider à progresser dans ses mouvements."

"Oui tout à fait, l'hypotonie est quasi systématique sur ce type de pathologie. Mais je suis là pour faire travailler votre fils. Ne vous inquiétez pas, les exercices seront sous forme de jeux. Il prendra plaisir à les faire, pas de contrainte. Si je ressens de la fatigue ou qu'il ne veut pas, je n'impose pas et on arrête la séance. On va commencer le programme par deux séances par semaine. Si vous avez des questions, ou des interrogations sur les bienfaits des exercices, n'hésitez pas à m'interrompre."

"C'est clair pour moi"

Je vois bien qu'il m'observe du coin de l'œil. Il doit me prendre pour une débile avec mes réponses en monos syllabes.

"Alors c'est parti."

ONCE AGAINOù les histoires vivent. Découvrez maintenant