CHAPITRE 21 - ALICE

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Cela me rend folle de savoir que Romain a réservé une table dans le dernier restaurant à la mode de Nantes. Moi tout ce que je veux c'est discuter, mettre les choses au clair, l'affronter, hurler ma colère et me décharger de ce poids sur mes épaules : son absence dans notre famille.

Je bous à l'intérieur de moi mais je me contiens.

Je respire profondément pour reprendre mon calme. S'énerver ne sert à rien.

Puis la nostalgie me prend par surprise. Quand je vois l'habitacle de cette voiture, je repense à tous les bons moments passés avec Romain dans cette vieille bagnole ...

Lui qui a toujours voulu s'émanciper de ses parents, s'est acheté cette voiture, quand il a commencé à partir en reportage. Juste pour énerver ses parents, leur faire comprendre que sans leur soutien, ni leur argent, il poursuivrait quand même ses rêves.

La première fois que je suis montée dans ce tas de ferraille, c'était à notre retour de notre reportage au Maroc.

On avait convenu de se revoir sur Nantes un week-end pour voir si l'attraction que nous avions vécu était toujours là après le retour à nos vies, loin du soleil oriental.

Il était venu me chercher à l'aéroport, le regard plein de promesses.

Quand nous sommes arrivés sur le parking pour prendre sa voiture, je me suis prise d'un énorme fou rire. Je ne l'avais pas imaginé une seule seconde, en vieille Volvo break. Il m'a regardé me foutre de lui en rigolant aussi :

"Au moins je suis sûre que tu ne t'intéresses pas à ma fortune familiale. J'ai peut être le profil d'un fils à papa, mais pas la bourse. Mais t'inquiète, elle est solide, et peut t'emmener au bout du monde tant que tu lui dis des mots doux"

"Et toi, as-tu le même profil que ta voiture ? un peu cabossé, mais prêt à m'emmener au bout du monde si je te dis des mots doux ?"

J'ai vu un sourire communicatif sur son visage et des yeux m'invitant à vivre mille et uns bonheurs avec lui.

Ces souvenirs resteront à jamais gravés dans ma mémoire.

Le trajet se fait dans le silence le plus complet. Romain n'ose pas prendre la parole, ni quoi dire. De mon côté, je m'oblige à garder mes lèvres soudées de peur d'exploser.

Le dîner est d'un ennui mortel. On échange sur des banalités, de peur de mettre les pieds dans le plat.

"On m'a dit que tu avais repris les tournages. Je suis contente pour toi."

Romain regarde son assiette, mal à l'aise. Il n'ose pas me regarder dans les yeux.

Il est bien loin cet homme sûr de lui, à la réplique facile et désarmante.

Je ne le reconnais plus. Je ne nous reconnais plus.

Et là je sens le sang qui bout en moi, qui me monte à la tête...1....2...3 et j'explose...

"En fait non, je ne suis pas contente pour toi. Je vais te dire la vérité : j'enrage que tu es repris ton quotidien, ton travail, tes amis, sans penser que derrière toi, il y a ta femme et ton enfant que tu as lâchement abandonnés ! Il me semble qu'il y a plus d'un an, quand on s'est marié, tu m'as promis pour le meilleur et pour le pire. Tu t'es bien servi sur le meilleur, mais quant est'il pour le pire ? Quand est'il de ton soutien dans les moments difficiles ? Non, toi au premier obstacle, tu te barres ! Eden on l'a voulu à deux, on l'a conçu à deux, et maintenant je suis seule à porter "la famille" à bout de bras !"

"Je suis désolé, je regrette tellement mon comportement, mes réactions .... Mes mots n'auront jamais assez d'impact pour te demander, pour vous demander pardon à toi et à Eden. je sais que j'ai merder ..."

"Merder ? Pardon ? Merder c'est quand on arrive pas à faire quelque chose, quand on a mal fait son travail, quand on a râté le dîner, pas quand on abandonne son fils ! Car oui, c'est un abandon. Mais putain, Eden porte ton nom, c'est ta chair, ton sang. Tu devrais te battre pour lui ! Faire l'impossible, lui décrocher les étoiles !"

"J'ai pris peur... peur de ne pas savoir l'aimer, peur de ne pas savoir m'y prendre, peur de ne pas accepter sa différence .... J'ai eu tellement de mal à me frayer un chemin entre vous deux. Votre relation est fusionnelle dès sa venue au monde.... Et c'est toujours le cas."

"Oui, elle est fusionnelle. Car en l'absence de père, j'ai dû l'aimer pour deux. Pour combler ton absence et ta lâcheté !"

"Je veux prendre mon rôle de père. Faire partie de la vie d'Eden ... Et de la tienne aussi."

"Ton fils a bientôt un an. Tu n'as pas le droit de te ramener toi et ta belle gueule après plusieurs mois, pour demander pardon et renouer avec ton fils. Tu me demandes l'impossible là."

Ces yeux sont brillants. Une larme solitaire roule sur sa joue gauche.

En quatre ans de relation, je ne l'ai jamais vu versé une seule larme ....

Prise d'une empathie soudaine, je me penche au-dessus de la table et intercepte cette larme avec mes doigts.

Cette larme dit tellement de choses : de la peine, une demande de pardon, un homme vulnérable, un homme conscient de ses erreurs.

"Partons d'ici. Je n'ai pas envie que tout le monde tende l'oreille sur nos problèmes. Je suis descendu à l'hôtel juste à côté pour quelques jours. Je n'avais pas envie d'aller chez mes parents, pour avoir une fois de plus leur jugement sur ma vie. Viens avec moi, nous pourrons discuter calmement."

Il me tend sa main et je la saisis. Pourquoi je le suis ? Je ne le sais même pas moi même. Je sais très bien où cela va nous mener....

Es ce que j'ai encore de l'affection pour cet homme ? C'est difficile à accepter, mais oui. Il a été mon mari, mon amant, mon repère, mon avenir pendant plus de quatre ans.

Finalement je sens que la page que j'essaie de tourner depuis plusieurs mois, n'est pas encore acquise. Pire même, nous semblons relire les chapitres précédents.

Nous sortons du restaurant main dans la main.

ONCE AGAINOù les histoires vivent. Découvrez maintenant