Chapitre 5 - Rachelle

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Sirius est tellement impatient que je mets une éternité à lui enfiler son harnais. Sa vessie doit lui bruler à force de s'être retenu et je peux m'empêcher de me maudire intérieurement pour l'avoir laissé seul. Nous montons dans la voiture, je l'attache et je démarre en direction du parc à quelques kilomètres de là. Le trajet me semble durer une éternité parce que Sirius le passe à aboyer, encore et encore et à hûler comme un loup. J'ai beau l'aimer de tout mon coeur, il fait naître des pulsions meurtrières au fin fond de mon être quand il fait ça.
— Deux minutes, on arrive bientôt !
Je souffle et fini par me garer à la première place que je trouve dans l'espoir qu'il se taise. Nous sortons et lorsque je me suis assurée qu'il n'y a personne autour de nous, je retire sa longe et le laisse gambader à son aise.
Le calme de la nuit et les étoiles qui décorent le ciel m'apaisent un peu, pour la première fois depuis des jours je souffle réellement sans pensées parasites pour me gâcher le moral. Je frappe dans un caillou, qui vole et tombe dans le lac situé au milieu du parc. Les oiseaux qui étaient posés là s'envolent, submergé par la peur et je souris légèrement. Moi aussi, j'aimerais pouvoir m'envoler lorsque j'ai peur.
Je sors mon téléphone de ma poche pour allumer ma lampe torche et me rends compte que Florent ne m'a pas encore répondu. Je déteste quand il me fait ça, ça à l'art de me foutre en rogne pour des jours. Machinalement, je me pince la peau des cuisses en marchant et m'arrête lorsque j'en prends conscience. Il faut vraiment que j'arrête ces foutus tics de stresse.
Le bruit de mon estomac me rappelle que je n'ai toujours rien mangé depuis l'hôpital, il faudra que je regarde pour préparer quelque chose avec le fond des tiroirs de la maison tout à l'heure. J'enfile mes écouteurs et marche, la tête en l'air vers le ciel. La première musique de ma playlist est toujours la même depuis une dizaine d'années : Magic - Rude.
Moi aussi, j'aimerais que l'on m'aime suffisamment pour me demander en mariage à mon père... mais puisque je n'ai ni père, ni copain véritablement amoureux, ce n'est pas demain la veille que ça va arriver. Je regarde ma montre, 21h15. Il est temps pour moi de m'en aller, avant que les toxicomanes ne soient de sortie.
— Sirius, pieds !
Mon chien revient vers moi, les oreilles poussées en arrière par le vent qui presse contre lui. Il mâchouille un bâton deux fois plus grand que lui, que je récupère malgré tout difficilement. Nous remontons dans le véhicule et je démarre dans l'espoir de retrouver mon lit, je suis si fatiguée.
Tout à coup, un piéton traverse sans prévenir et je piétine la pédale de frein pour ne pas l'écraser.
— Fuck, j'ai eu peur putain !
— Pardon, meuf, je t'avais pas vu ! Hurle-t-il a mon intention. Sortie de mes pensées, je remarque que la rue est bondée de voitures.
— Une fête doit avoir lieu, c'est pas possiblement autrement, amour de ma vie.
Pour seule réponse, Sirius m'offre un soufflement de fatigue qui indique nous allons probablement dormir dans le fauteuil en rentrant. Avant de redémarrer, mon regard est attiré par les lumières d'un bâtiment au loin. Quelque chose me pousse à y aller et bien que la fatigue me gagne, je tourne le volant pour rejoindre la maison d'où se déroule la fête. Lorsque j'arrive devant, je stationne en double-file sur la rue et enclenche mes quatre clignotants. A plusieurs reprises, je me fais insulter de tous les noms. Insultes auxquelles je réponds par un doigt d'honneur pointé vers le haut. Je ne sais pas ce que je fais ici mais je balaie la foule de jeune agglutinés sur la pelouse malgré le froid hivernal. Je suis à plusieurs mètres d'eux mais je peux sentir l'odeur de bière et de vomi qui se dégage de l'endroit. A l'intérieur de la voiture, Sirius aboie encore et toujours et je me décide enfin à faire demi-tour jusqu'à ce que...
— Fuck.
Bien sûr que je sais ce que je fou ici, c'est juste que je ne voulais pas me l'avouer. Au loin, je remarque Florent collé à la bouche d'une nana que j'ai déjà aperçue dans les rues de la ville estudiantine.
— Le connard, putain !
Désemparée, je fais quelques pas en avant puis quelques pas en arrière. Je ne peux pas aller le voir, si ? Mais je ne peux pas non plus laisser Sirius dans la voiture... Sans réfléchir, j'avance d'un pas déterminé vers les deux personnes. Tout le monde me regarde de travers : en plus de ne pas être jolie, je suis toujours habillée comme une merde car je n'ai pas pris la peine de me changer après le boulot. Je l'attrape par l'épaule, le tourne vers moi et lui flanque mon poing dans le nez.
— Mais ça va pas, ou quoi ?! Hurle-t-il, le visage entre les mains.
La fille s'éloigne. Elle sait parfaitement qui je suis. T'as raison chérie, barre-toi avant que je te fasse le même.
— JE suis malade ?! Tu te fou de ma gueule, espèce de blaireau !
— Faut toujours que tu casses les couilles, putain, Rachelle !
Florent tape du pieds sur le sol, en colère. Ses jointures blanchissent sous la pression de ses poings fermés et il m'observe le regard noir. Si nous n'étions pas entouré de monde, je suis persuadée qu'il m'en aurait mis une. Ou plusieurs.
— T'inquiète pas, je te casserai plus les couilles parce que t'iras te les vider ailleurs !
Je m'éloigne, furieuse.
— Fais pas trop la maligne, Valentini. Rappelle-toi que j'ai des vidéos de toi entrain de racler le fond de ta gorge avec ma bite, salope.
Mon sang se glace. Putain, ces vidéos. L'enfoiré, je l'avais surpris entrain de me filmer sous la couette... je lui avais fait supprimer mais à l'entendre parler, je comprends que ce n'est pas le cas. Je reviens vers lui et je le saisis par le col de son pull :
— Fais ça, fils de pute et je t'arrache les yeux. Ou la carotide, avec les dents.
Ses yeux s'écarquillent, il balbutie des mots incompréhensibles. Les gens autour de nous sont surpris mais je vois à leurs regards que leurs moqueries s'adressent plus au garçon qui vient de se faire remettre à sa place par une fille qu'à moi qui lui ai fait plaisir sous la couette.
— Les gens ont raison, t'es une grosse vache, Rachelle. Personne ne voudra plus jamais te baiser.
Je l'ignore et m'éloigne, les yeux remplis de larmes de rage. Je monte dans la voiture, direction vers chez moi. Il faudra que je pense à faire changer le barillet, je ne veux pas qu'il revienne.
Alors que je suis au même feu rouge que la veille, une moto se plante à côté de moi. L'homme installé dessus me regarde, des pattes d'oie se forment au coin de ses yeux comme s'ils souriaient sous son casque mais le seul indice que j'obtiens sur son identité est la couleur de ses yeux. Tu veux quoi, clochard ? Je tourne ma tête pour fixer la route. Il mets un peu les gazes et me fait signe de la main, comme pour m'inciter à le suivre. Il veut faire la course ou quoi ?
— J'ai autre chose à faire, clochard.
Lorsque le feu passe vert, il démarre en trombe et me dépasse en me faisant un doigt d'honneur. J'hallucine.
J'effectue le reste du chemin dans le silence le plus total. Une partie de moi est morte avec les dernières paroles de Florent. Je retire ce que j'ai dis, c'était bien une journée de merde.

L'effet miroir Où les histoires vivent. Découvrez maintenant