Chapitre 16 - Rachelle

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Ezio. Son prénom tourne dans ma tête comme l'air d'une chanson entendue à la radio. Il m'obsède, sans que je comprenne pourquoi, quelque chose m'intrigue. Ezio. Ezio. Ezio. Au fond de mes tripes, je suis animée par une étrange sensation. Je l'observe, tiraillée par la culpabilité. Il déblattaire son mensonge avec une telle simplicité que je me rends compte qu'il me sera impossible de lui faire confiance un jour... pourtant, je ne l'ai pas vendu. J'ai menti, à la police qui plus est. J'ai répondu au policier que nous nous étions rejoins chez moi après mon travail, que j'avais terminé plus tôt que prévu car monsieur Soon attendait de la visite.
Le policier hoche la tête en écoutant le discours d'Ezio, nous remercie poliment et rejoint son équipe avec qui il discute une dernière fois avant de prendre congé. Je ne sais pas pourquoi je n'ai rien raconté. J'aimerais dire que je suis animée par la peur, par l'inquiétude de ce qu'il pourrait me faire à moi ou mes proches puisque je l'ai vu à l'œuvre... mais la vérité, c'est que quelque chose chez lui m'intrigue depuis qu'il a posé mon assiette de nourriture dans la chambre. Comme s'il avait compris la difficulté que j'éprouvais à manger devant les gens, à manger tout court...  Ou est-ce la façon dont une lueur s'est allumée dans ses yeux lorsqu'il s'est occupé de Sirius ? Ou peut-être à l'instant, lorsque j'ai appris son prénom. J'ai l'art d'être intriguée par les cons de toute façon et s'ils ont un côté psychopathe c'est encore mieux, non ? Bingo, le dingo c'est pour bibi. Je l'observe du coin de l'œil, ses yeux bruns sont concentrés sur madame Miller. Pourquoi on est ici ? Ça ne doit pas être pour me vendre aux Miller. Non, il ne ferait pas ça ? Si ? Il m'a sauvé la vie, finalement, en me kidnappant.
Tu te rends compte à quel point il te manque une plume ? M'envoie en pleine face ma conscience;
— Vous rentrez boire un verre, les enfants ?
J'accepte, poliment, suivie par un garçon qui parait tout à fait inoffensif.
— Ça a été, hier, ma petite ?
Monsieur Miller est absent, je me demande bien où il peut être.
— Parfaitement, je n'ai pas croisé monsieur Soon finalement. Sa maison est vraiment belle.
Madame Miller rigole en déposant des biscuits et des cafés fraîchement préparés sur la table du salon, face à nous. Ezio fronce les sourcils, la lèvre légèrement retroussée.
— Monsieur Soon est quelqu'un de très fortuné, je ne serais pas étonnée que les policiers aient raisons.
— Raison à propos de quoi ? S'intéresse Ezio.
Qu'est-ce qu'il y a, tu as peur d'être cramé, connard ? Il boit une gorgée de café, qu'il garde plusieurs secondes avant de réussir à l'avaler. La gorgée lui arrache une grimace de dégoût, je dois réprimer un fou rire tant il a l'air d'un gosse face à des choux de Bruxelles. On aime pas le café, Ezio ?
— Il a probablement été tué par un voleur, il y a des traces d'effraction et plusieurs objets lui ont été volés.
— Hum, je vois, semble s'intéresser le pseudo-gentil à mes côtés. Avec sa gueule d'ange, son sourire radieux et son corps encore vierge de tatouages, il a l'air plus inoffensif que moi. Un monstre dans le corps d'un ange. Je les écoute parler de la pluie et du beau temps, plongée dans mes songes. Qu'est-ce qu'on fait ici ? Et mieux encore, où allons nous samedi ? Quel sera mon rôle ? Et après ça, je serai vraiment libre ? Est-ce que j'aurai vraiment envie de l'être ? Parce que, bon, si je suis mêlée à une histoire de meurtre ce n'est pas très faulichon.
— Ça va ? M'interroge madame Miller, l'œil suspicieux.
Je ne peux pas m'empêcher de bouillir intérieurement, cette vieille folle m'a vendue comme un vulgaire objet d'occasion à son ami le pédophile.
— Elle n'a pas bien dormi, on a été agité cette nuit, si vous voyez ce que je veux dire, réponds Ezio avec un clin d'œil.
Je suis d'abord tentée de le gifler pour le remettre à sa place mais lorsque j'aperçois la mine de madame Miller se décomposer, je le remercie intérieurement de l'avoir fait taire. Elle n'osera plus poser de questions indiscrètes avant un bon moment.
— Encore du café ? Me propose la dame, j'accepte et celle-ci part à la cuisine me faire couler un énième café.
— Laisse tomber ton portefeuille sous le fauteuil, m'ordonne Ezio en chuchotant.
Il a reprit le visage impassible d'un homme dénué d'âme, au ton de sa voix je comprends qu'il mijote quelque chose de mal et j'hésite un instant.
— Quoi ? Pourquoi ?
— Fais ce que je te dis, dépêche-toi.
Je le regarde en clignant des yeux, sans bouger. Mon portefeuille sous le fauteuil ? Pourquoi faire ?
Tout à coup, il me saisit le menton et me tire à quelques centimètres de son visage, le regard démoniaque. Il me crache :
— Fais ce que je te dis, putain, t'as pas encore compris l'Imprévu ?
Sur l'entre-fait, madame Miller apparaît dans le salon avec ma tasse à la main et Ezio pose furtivement ses lèvres sur les miennes. Le rouge me monte aux joues et je sens mon ventre se tordre. Signe de stress et pas d'amour, contrairement à ce que tout le monde pense. Mais qu'est-ce qu'il fout ?
— Oh, pardon, je vous dérange ! J'arrive, j'ai oublié le sucre, rigole la vieille dame désarçonnée par mon comportement et celui de mon pseudo copain. Jamais je n'aurais agis comme ça, je suis étonnée qu'elle n'y voit que du feu.
— Mets ton portefeuille là-dessous, recommence-t-il plus doux cette fois.
Je m'exécute, les sourcils froncés. Le portefeuille dépasse légèrement, Ezio le repousse avec son pieds et reprends place le plus naturellement du monde dans le fauteuil en me cherchant du regard.
— Désolé pour...euh...le baiser forcé, je ne voulais pas qu'elle nous voit comme ça, se justifie-t-il.
Je lève les yeux au ciel, les sourcils relevés.
— Tu avais peur qu'elle voit le véritable connard que tu représentes ? Lui lancé-je, pleine de rancoeur.
Son regard coupable s'estompe et laisse place à la froideur habituelle avec laquelle il me regarde d'ordinaire. Sa capacité à jouer la comédie et contrôler ses émotions avec une telle facilité me fait peur... et me donne envie, aussi.
Lorsque la vieille folle revient dans la pièce, Ezio prétexte notre départ à cause d'une urgence. Madame Miller à l'air de le croire et nous raccompagne poliment à l'entrée, Ezio avance et s'installe sur la moto qui nous a conduit jusqu'ici tandis que madame Mille me retient par le bras.
— Et bien, ma petite, je suis étonnée que tu ramènes un si joli garçon. J'avoue qu'avec tous tes tatouages, je pensais que tu trouverais une racaille ! Mais je suis heureuse de te voir en bonne compagnie, qu'est-ce qu'il est gentil en plus !
La vielle dame me sourit de toutes ses fausses dents, je la remercie d'un sourire aussi faux que mes ongles et m'éloigne en vitesse de cette deuxième maison de torture.
Je m'installe sur l'arrière de la moto, en faisant attention de ne pas me bruler au pot d'échappement qui gronde sous mes pieds. Il y a des années que je n'ai pas fait de moto, la dernière fois était avec maman et sa meilleure amie. Le vent fouette mes mains qui se congèlent, je ressers ma prise autour de la taille du connard devant moi en espérant ne pas lâcher. Je l'entends rire et sa voix résonne dans mon casque :
— Tu as peur, l'Imprévu ?
— Autant que tu as peur de te faire prendre par la police, l'Abruti.
Son corps se crispe, ses épaules se tendent et nous dévions légèrement de la route.
— Oh mais putain, regarde où tu vas ! Mon cri est plus une supplication qu'une menace mais ça le ramène à la réalité et il redresse le guidon de la moto.
— Tu me menaces, Rachelle ?
Dans sa bouche, mon nom parait être une menace non-dite. Je déglutis, paniquée. J'ai dis quelque chose de mal ? Enfin, à part lui rappeler qu'il risque la prison... ce qui n'est pas un mensonge, en soit.
— N...non, Ezio.
Je l'entends souffler, fort et il vire à droite vers sa propriété. Je ne m'en étais pas rendu compte mais nous sommes à une rue du centre ville, je ne savais pas qu'il y avait un domaine pareil ici ! Dire qu'un fou furieux comme lui vit à peine à 10 minutes de chez moi... je ne sais pas si je dois rire ou pleurer. Il ouvre la barrière avec une télécommande et longe la forêt qui le coupe du monde puis arrive devant le garage sur lequel repose le loft tout entier. Je ne sais pas si je dois appeler ça un garage ou un hangar, vu la taille, et je suis surprise qu'il ait eu la place d'aménager un truc pareil en gardant une place pareille pour ses véhicules.
— Descends, m'ordonne-t-il, j'ai des choses à faire. Monte, Alex t'attend en haut.
A peine ai-je le pieds sur le sol qu'il fait demi-tour et s'en va, me laissant seule dans sa prison. J'enlève le casque qui me comprime le crâne, en me demandant à qui pouvait appartenir ce casque de femme, puis je monte rejoindre son frère.
— Hey, tu es enfin rentrée !
Il gigote comme un enfant, je me demande s'il est adulte vu son corps et son comportement.
— Oui, ton frère est parti.
— Ohhhhh, ça veut dire qu'on peut jouer aux jeux de société ! Ca te dit ?
Face à sa voix d'enfant, je ne peux pas refuser. Il s'installe sur le sol, autour de la table du salon après avoir sorti une pile impressionnante de jeux de société. Sirius ronfle tellement, posé dans le fauteuil, qu'il ne m'entend même pas rentré.
— Ça te va si on joue à Mysterium ? Me propose l'intéressé.
J'approuve et lui explique que je connais le jeu, il ne faudra pas me l'expliquer.
— J'espère que tu seras une bonne médium, parce que je suis un hyper bon fantôme, me lance-t-il en se frottant les mains l'une contre l'autre comme s'il allumait du feu. Nous commençons la partie, que nous terminons en à peine une heure puisque nous ne sommes que deux. On s'affale dans le fauteuil avec un bol de nouilles instantané que je triture avec peu d'appétit. La vérité, c'est que je meurs de faim mais que je n'ai pas le courage de mener devant Alex.
— Ezio m'a dit que tu avais un problème avec la bouffe, c'est vrai ?
Je redresse la tête, la bouche grande ouverte.
— Je...je... Mais euh...
— Il l'a tout de suite remarqué, il s'y connaît beaucoup là-dedans. Tu préfères que je te tourne le dos ? Tu sais, si ça peut te rassurer, je ne vais pas te juger. Regard-moi, avec mon gabarit d'enfant alors que j'ai vingt ans et quelque.
Le jeune homme traine ses fesses sur le tapis du salon e me tourne le dos, son bol déposé sur le fauteuil face à lui. Comment Ezio a compris mes troubles alimentaires ? Je n'ai rien montré... c'est pour ca qu'il m'a apporté mon repas dans ma chambre.
— Vingt ans et quelque ? Interrogé-je Alex pour changer de sujet.
— Oui, de là où je viens on habite loin des villes donc les parents attendent d'avoir plusieurs enfants pour nous déclarer à la commune. Ça veut dire que j'ai entre 1 et 5 ans de plus que sur ma carte d'identité, les médecins m'ont dit que j'avais certainement le début de la vingtaine. Ca me suffit.
— Vous n'êtes pas vraiment frère Ezio et toi ?
— Oh, il t'a dit son prénom ? Quelques secondes planent entre nous, sans que je réponde. Il ne me l'a pas vraiment dit, je l'ai juste entendu. Mais du coup, vous n'êtes pas frères ?
Alex a la gentillesse de ne pas relever ma remarque, il se contente de répondre le regard perdu dans ses souvenirs :
— Non, Ez m'a trouvé dans la rue. Je vivais dans un village éloigné du Sénégal, mes parents travaillaient beaucoup jusqu'à ce que mon père reçoive une offre d'emploi par ici... Nous avons fait le voyage avec mes frères et sœurs mais ce n'était qu'une arnaque... On s'est retrouvé SDF et sans papiers. Quelques jours après notre arrivée, un voiture a percuté notre tente de fortune sous un pont. Il ne restait que ma mère...
Chacune de ses phrases sont ponctuées d'une pause, je peux lire sur son visage la peine qui comprime toujours son coeur. Je l'écoute, assise en boule sur le sol. Je dois retenir mes larmes face à son récit. Comment peut-on profiter de familles désespérée ?  Je pense qu'il ne continuera pas son histoire lorsqu'il souffle un bon coup et termine d'une traite :
— Bref, on a tout fait pour survivre mais ma mère a fini par décéder d'une pneumonie. Elle n'a pas supporté le changement climatique... Je me suis retrouvé seul, personne ne me regardait jusqu'à ce que... je sauve Ez et qu'il m'aide.
Il a sauvé Ez ? J'incline la tête sur le côté, l'air interrogateur et Sirius vient se poser sur mon genou. Sa chaleur me réconforte et je culpabilise que cela ne soit pas le cas pour Alex.
— Tu... de quoi tu as sauvé Ez ?
Il écarquille les yeux, pris sur le fait. Je comprends qu'il divulgue des informations que je ne devrais pas connaître.
— Euh... n'en parle pas s'il te plait mais... enfaite, Ez était saoule. Il a un problème d'addiction mais c'était pire avant et il est tombé dans le fleuve qui longeait le pont sous lequel j'étais abrité. Je l'ai repêché et de là on a discuté et me voilà dans une famille qui n'est pas de mon sang.
Je lui souris, touchée par la fin de son récit. Peut-être son récit tout court, d'ailleurs. Je réalise pourquoi il a encore le gabarit d'un enfant, qu'il s'émerveille devant des choses anodines et qu'il réagit parfois comme un gamin. Cet homme a vécu plus encore que moi et il est encore en vie... Tout à coup, je me sens illégitime avec mes blessures et mes phrases dépressives où j'aimerais mourir. Une mère malade et plongée dans le coma ainsi qu'un père absent n'est rien en comparaison de ce qu'à vécu Alex. Comme s'il m'avait entendu penser, le jeune homme conclut :
— On a tous nos blessures, celles-là sont les miennes. Ez a les siennes et toi aussi, chacun le vit différemment c'est tout... mais tu as vraiment l'air d'une chouette fille, ne te laisse pas envahir par ta peine.
Quelques larmes s'échappent de mes yeux et ruissellent jusqu'au tissu de mon vêtement lorsqu'Ezio entre dans le loft... recouvert de sang et que tout mon corps se pétrifie.

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