Chapitre 12 - Ezio

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J'observe Alex descendre les escaliers avec le poids du monde sur les épaules. Je tire une taffe du joins qui me soulage enfin de sa brûlure et lorsque mon crâne commence un peu à flotter, je me détends légèrement. Déjà qu'elle ruine mes plans et me force à devoir tout revoir depuis le début, elle est asthmatique et m'empêche de me défoncer, cette conne.
— Ça a été ?
Mon petit frère s'affale dans le fauteuil à côté de moi et se sert un verre de rhum. Je le fusille du regard mais il me le rend et boit cul-sec son verre avant de tirer une gueule jusque par terre.
— Aussi bien qu'une meuf traumatisée. On va aller chercher son chien, termine ton joins.
Je souffle en faisant mine de ne pas être d'accord mais c'était déjà dans mes plans, je suis heureux qu'Alex y participe.
— Elle n'a pas mangé... me fait remarquer Alex.
— Laisse son assiette sur le plan de travail, elle viendra probablement manger quand nous serons partis.
Il m'interroge du regard, je lève les épaules en guise de réponse. Ce n'est pas compliqué de comprendre qu'elle a un problème avec la bouffe. Son angoisse et ses lèvres arrachées additionné à son t-shirt trop grand, sa main qui cache son ventre et la façon dont elle triturait la nourriture alors qu'elle salivait et que son ventre criait famine... Cette fille doit être boulimique ou un truc du genre. Comme ma princesse.
— Je ne t'ai jamais vu relooker une fille comme ça, je pensais même que t'étais pour les hommes... Pas que ce soit un souci hein mais... genre, ça m'étonne.
Je lui flanque une tape derrière la tête, en riant.
— En dehors de toi, je n'entretiens pas de relation. Tu le sais.
Un instant, je vois la peine traverser son visage mais il se ressaisit.
— Tu la connais, pas vrai ?
Perspicace, le petit frère. Je tire une nouvelle taffe du joins en regrettant ne pas l'avoir chargé davantage. Je souffle ma fumée derrière moi, dans l'espoir qu'elle soit emportée par la fenêtre entrouverte. Avant que l'autre folle n'étouffe encore. Alex se lève et se dirige vers la porte qui mène au garage.
— Tu vas où ?
— Chercher son chien, t'es toujours plus bavard en voiture.
Sans attendre ma réponse, il descend et je le rejoins, contraint de plier. Je ferme à clé les portes et m'assure qu'elle n'a aucun moyen de s'enfuir puis descend également. Je regrette d'avoir appris à Alex à récupérer du poil de la bête, ce petit con va bientôt être plus difficile à gérer que moi. Je monte dans l'Audi que je démarre, les portes du garage s'ouvrent pour nous laisser sortir et se referment dans un bruit sourd alors que je suis déjà à plusieurs mètres entre les arbres. Au fur et à mesure que j'avance, l'ancien hangar aménagé devient aussi petit qu'une fourmille jusqu'à ne plus être visible. J'appuie sur la télécommande qui ouvre l'énorme barrière de la propriété et m'engouffre dans la circulation où je sélectionne Mon adresse sur le téléphone de Rachelle. Rachelle... ma mère connaissait une Rachelle.
— Bon, du coup, tu la connais de où ?
Je rigole.
— T'en démords pas hein ?
— Je te connais, Ez.
Je pianote sur le volant de la voiture comme s'il s'agissait de mon piano et j'avance jusqu'au feu rouge qui est vert, aujourd'hui.
— Tu te souviens de la fille à qui j'ai fait un fuck hier ? Celle qui avait l'air de pleurer dans sa voiture ?
Je n'ai pas besoin d'en dire plus, les gens ne captent jamais mon attention en temps normal. Je n'en ai rien à foutre des autres, à part d'Alex et pourtant... je lui avais parlé de cette fille en rentrant, sans trop savoir pourquoi. Je ne sais pas si ce sont ses yeux émeraudes, sa confiance, son air rebelle... ou l'âme brisée qu'elle incarnait dans sa vieille voiture mais cette fille m'avait marqué.
— C'était elle, fini-je par dire.
— Tu...tu...tu... tu le savais, quand tu l'as ramenée ?
— Non, j'étais trop chamboulé par la situation et elle était méconnaissable dans son état.
Je fronce les sourcils, contrarié par le son de serpent exagéré que j'ai émis sur le mot situation. Mon zozottement  ressort quand je suis fatigué... ou défoncé.
— Méconnaissable à cause du sang du mec que t'as tué, tu veux dire ?
— C'est ça...
— Comment tu vas faire pour ne pas qu'on te trouve ? Ou qu'on la trouve, plutôt ? Les Miller savaient qu'elle était chez eux...
— Je ne sais pas... je suppose que je vais devoir les tuer.
— Mais, Ez, ils ne respectent pas les critères ! Tu enfreindrais tes propres règles !
Je ne réponds pas, décidé à faire taire la voix qui hurle en moi. Ai-je vraiment le choix ? Les règles sont faites pour être enfreindre, parfois.

J'ouvre la porte miteuse de son kot miteux dans ce bâtiment miteux. Si je ne l'avais pas vue, j'aurais jurer entrer dans un lieu de regroupement pour junkies. Je cligne des yeux pour tenter de m'habituer à la noirceur du lieu, seule la lumière de la télévision me permet de distinguer le salon sur la gauche et la cuisine sur la droite. Le chien me saute directement dessus, sa gentillesse me frappe alors qu'il me fait la fête sans me connaître.
— Pas très bon comme chien de garde, dit-donc, lui dis-je en m'accroupissant pour le caresser.
— Va chercher ses affaires, je reste avec le chien, m'ordonne Alex en s'asseyant sur le fauteuil du salon.
— C'est moi qui donne les ordres, Al...
— Mec, elle joue à GTA V ! S'enthousiasme mon frère qui saisit la manette pour reprendre la part qu'elle a laissé tourner.
On ne lui a jamais appris que laisser les trucs allumés consomment de l'énergie ? Et en plus, ça pourrait prendre feu... pas douée pour une meuf qui a un cleps.
Je m'avance vers la troisième pièce, probablement sa chambre, en dépassant la cuisine sur ma droite pour retrouver cette pièce derrière le salon sur la gauche. J'ouvre la porte, mes baskets martèlent le sol et lorsque je pose ma main sur le mur pour trouver l'interrupteur... c'est un vêtement que je touche. Qu'est-ce que...
Quelqu'un me pousse violemment en arrière, je perds l'équilibre mais me rattrape très vite. Je repousse l'individu qui me menace d'un couteau, que je saisis à pleine paume en saisissant l'homme devant moi par la gorge.
— Putain de fumier, je me suis coupé par ta faute grogné-je.
La lumière clignote un peu et se stabilise, dévoilant une chambre rangée impeccablement et un abruti qui respire la peur à des kilomètres. Plus petit que moi, les cheveux noirs et les yeux bleus, il m'examine les yeux exorbités.
— T'es qui, toi ? L'interroge Alex en le contournant.
Je sers ma prise face à son refus de répondre, ce qui le fait changer de couleur. Il tire sur mes mains et tentent de se débattre en me frappant mais je ne bouge pas d'un poil. Intérieurement, je jubile de voir à quel point il est vulnérable. On dirait un cafard pris au piège.
— Je vais te relâcher, tu vas répondre à nos questions et si tu fais de la merde, je te bute ? Compris, l'enfoiré ?
L'homme approuve d'un léger hochement de tête, je le repousse avec violence et il s'écrase sur le lit derrière lui. A bout de souffle, il masse sa gorge où la trace de ma main forme une marque rosée.
— Je...je...je suis le petit ami de Rachelle, Florent.
Je ne peux pas m'en empêcher et... j'éclate de rire. Cet abruti ne doit pas se douter que j'ai vu ses messages sur le téléphone de Rachelle. Comment un gars comme lui, qui a l'air d'un abruti, peut se taper une meuf aussi belle que la folle enfermée chez moi ?
— Son ex, tu veux dire ?
L'homme redresse les épaules d'un air de défi. Pauvre minable, comme si tu faisais le poids face à moi.
— Son copain, et toi t'es qui ? Enfin, vous êtes qui plutôt ?
Alex, comme s'il se réveillait d'un coup, lui assène un coup de poing dans la pommette sans prévenir. L'homme tombe du lit en frottant le côté de son visage qui commence instantanément à gonfler. Quel uppercut, mon frère, on voit qu'il a commencé la boxe depuis quelques temps...
— Ça, c'est pour le fait que tu penses la mériter après l'avoir trompée, connard, crache Alex avec une rage que je ne lui connais pas.
— Je repasserai demain vérifier si tu es encore là et si c'est le cas, je te refais le portrait, vermine, conclué-je.
Je prends les affaires de Rachelle à la hâte et sors de l'appartement avec son chien qui tire plus en laisse qu'un homme qui s'accroche à la vie. Alex ne parle plus, je perçois le flot de pensées qui inondent ses pensées à travers ses yeux qui se gorgent de larmes. Nous sortons, le froid de l'hiver me fouette le nez et le chien urine presque sur ma chaussure.
— Fait chier, putain.
Je le fais monter dans le coffre de la voiture en regrettant déjà ma décision : ça va être l'enfer avec ses poils.
Je démarre la voiture et nous prenons la route vers le loft.
— Je suis étonné de ce que tu lui as fait, fais-je remarquer à Alex qui est contre la violence en général.
— Elle a l'air gentille... un petit oiseau en cage, entourée de chats. Et... j'aime pas les chats, lâche-t-il. Je n'ai pas besoin d'en savoir plus pour comprendre qu'il repense à sa vie d'avant. A sa vie avant moi.

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