Assise face au plan de travail de la cuisine qui donne vue sur le salon et la salle à manger, j'examine Alex manger sa pizza du coin de l'œil. Ce mec agit tout à fait normalement alors qu'il m'a trouvée avec son frère dans les bras, dans une pièce remplie de photos de victimes. Des meurtres, des putains de meurtres. Des centaines de photos affreuses ... qui servent de décorations aux murs. Fuck, c'est pire que ce que je pensais.
— Mange, ça va refroidir, m'intime Ezio qui n'a presque pas touché à sa pizza.
C'est la première fois qu'il daigne me jeter un œil depuis qu'il est descendu.
Lorsqu'Alex nous a trouvé, il a trainé son frère vers le salon et l'a déposé sur le fauteuil où il lui a roulé un joint et tendu un verre de rhum. Il m'a demandé de quitter la pièce pour ne pas être incommodée par la fumée et a mis un fond de piano dans le loft, que Sirius a détesté, d'ailleurs. Je les ai entendu parler, sans pour autant comprendre de quoi ils conversaient et ai attendu patiemment dans ma chambre comme une enfant punie. Une fois cela fait, sa phase existentielle était terminée et l'homme froid auquel je m'habitue depuis deux jours avait repris sa place.
Face à ses sourcils froncés, je coupe mon repas et dépose un minuscule morceau de pizza sur ma langue, la pâte froide a durci et mon coeur se retrouve brisé une fois de plus par ce manque de réconfort. Une envie soudaine de me goinfrer de pâte à tartiner ou de glace me monte dans la gorge, la sensation s'accentue au fur et à mesure que ma culpabilité m'inonde et je commence à saliver. Je hais cette sensation qui me donne l'impression de me noyer dans mon propre corps, sous une marrée d'envies vouées à remplir le trou béant dans ma poitrine.
Alex termine sa pizza, jette le carton et s'installe devant la télévision, où il lance un film qui parle d'une loi qui impose un enfant unique, tandis que les autres sont tués pour limiter la surpopulation.
Ezio en est à son quatrième verre d'alcool, du moins de ce que j'en ai vu mais il faut absolument que je lui parle. Porte tes ovaires, Rachelle.
— Hum... je dois parler à mon meilleur ami, la police m'a dit qu'il les harcelait car il se faisait du souci pour moi.
Comme s'il savait déjà toute l'histoire (ce qui est probablement le cas avec Alex), il plante son regard dans le mien et sort mon téléphone de sa poche.
— Si tu l'utilises pour me trahir, je te tue.
Je déglutis mais continue de le fixer comme si je n'en avais pas peur. Non, cet homme ne peut pas avoir de pouvoir sur moi, pas à ce point. Qu'importe ses menaces. Je l'ai vu, il a une part d'humanité... peut-être minuscule, c'est vrai mais une part quand même et ça me pousse à prendre confiance.
— Je dois aussi voir ma mère.
— Hors de question.
Je sens mon espoir s'envoler mais je persiste, bien décidée à avoir le dernier mot.
— Elle est malade et est à l'hôpital et ...
— Ce n'est pas négociable, me coupe Ezio.
La colère prend possession de moi, la rage gronde comme un tonnerre dans ma poitrine et mes oreilles commencent à devenir chaudes : signe que je suis gagnée par la haine. Ma mère est littéralement tout ce qu'il me reste, si elle venait à partir sans que j'ai pu la voire une dernière fois, je m'en voudrais toute ma vie. Je lui en voudrais toute ma vie.
— Si elle meurt et que je n'ai pas été la voire, je te jure devant tout ce qui existe que c'est moi qui te tue, connard.
J'entends Alex s'étrangler dans le salon. Sur ses mots, je me lève en ignorant le regard assassin d'Ezio et me dirige vers la salle de bain pour prendre une douche.
L'eau qui coule sur mon corps me semble glacée tant mon corps est chaud, bouillonnant de rage. Seules les blessures de mon escapade me brûlent et me rappellent mes faiblesses. Je coupe l'eau de la douche, en sors et me dirige vers ma chambre puis compose le numéro de Noah. Au bout de deux sonneries à peine, l'intéressé décroche :
— PUTAIN RACHELLE !
Je ris et éclate en sanglot en entendant sa voix, son inquiétude, son amour. Purée, qu'est-ce qu'il m'avait manqué.
— Pardon, j'ai été... prise.
Une seconde, mon coeur hésite. Et si je lui racontais tout, il pourrait me sortir de là non ? Mais si je lui raconte tout, je prends le risque de mourir et ... de faire tuer tous mes proches. Lui y compris.
— Avec qui tu es, Rachelle ?
Noah sait quand quelque chose cloche, il est la personne qui me connaît le mieux sur Terre avec ma mère. Je m'apprête à lui réponde honnêtement lorsque la silhouette d'Ezio apparaît dans l'encadrement de la porte. Sa carrure prend presque l'entièreté de celui-ci, son regard s'est adoucit mais je comprends que quelque chose le contrarie à la façon dont sa mâchoire se contracte. Il ne dit rien et s'installe sur le lit, je ramène mes jambes vers moi et l'observe. Il ne parle pas et plante son regard sur le téléphone mit en haut-parleur.
— Rachelle ? me relance Noah qui vient de parler sans recevoir de réponse.
— Euh, oui, pardon. Tu disais ? Je fins un air détendu comme j'en ai l'habitude.
— Avec qui es-tu ?
— Avec moi, réponds le grand gaillard installé sur le lit avec moi. Enchanté, je m'appelle Ez.
Je reste figée. Mais à quoi il joue putain ? Sa voix grave résonne dans la pièce.
— Ah, euh, enchanté mec... Je suis Noah, le meilleur ami de Rachelle.
Je ne le vois pas mais je sais que Noah doit être entrain de faire les cents pas en se grattant l'arrière de la tête. Sa voix tremblante trahit sa nervosité et j'ai presque envie de rire. Fuck, c'est moi qui me suis faites enlever, connard.
— Rachelle, est-ce qu'on pourrait se voir s'il te plaît ? Je m'inquiète un peu, Dylan pète un câble et il tient un discours incohérent et...
— Passe demain, si tu veux. Rachelle t'enverra l'adresse, répond Ezio les sourcils froncés avant d'ajouter :
— On doit te laisser, on était... occupé.
Il raccroche et laisse la réponse de Noah dans le vent. Il ouvre les messages de mon meilleur ami et lui envoie l'adresse et l'heure du rendez-vous pour demain.
— A quoi tu joues, putain ?! craché-je.
Je suis exaspérée par ses sautes d'humeur. Lessivée, blasée, désemparée, exténuée, fatiguée... qu'importe le synonyme, le sentiment est là.
— J'évite de devoir tuer tout ceux qui t'entourent, l'Imprévu.
A peine a-t-il fini sa phrase que je comprends qu'il fait allusion aux Millers... comment ai-je pu croire qu'ils les avaient tués pour lui-même ? C'est moi qui les ai conduis vers la mort.
— Les Millers, tu...
Je porte la main vers ma bouche grande ouverte, la terreur doit se lire dans mon regard car un sourire sadique fend son visage.
— Oui, ma douce, je les ai tués parce que tu étais chez Soon au mauvais moment et qu'ils t'y avaient envoyée.
— C'est toi le fautif, je n'ai rien demandé ! m'insurgé-je en me redressant avec fougue.
— Parce que tu crois que j'apprécie ce que je fais, chérie ?
Il éclate de rire, un rire brisé, qui sonne faux et qui se répercute contre les murs de la chambre. Un frisson me parcours, il a les allures du Joker et bordel, comme ce personnage me fout les jetons !
— Arrête de te croire au-dessus de tout le monde, ma douce.
Il fait demi-tour vers la porte et ma colère prend le dessus pour sortir les mots que je réprime en moi depuis quelques minutes :
— C'est toi le putain de monstre dans l'histoire ! Que dis-je ?! Un démon ! Un putain de démon qui tue des gens, les torture et brise des vies pendant qu'il vit dans le luxe et se paie des pizzas quand bon lui semble !
Il se tourne et se dirige vers moi, en une fraction de seconde je me retrouve plaquée contre le matelas. De ses genoux, il bloque mes jambes et tient mes poignets avec ses mains bien plus grandes que les miennes.
— Parce que tu crois que je suis comme ça depuis toujours ?! Fait chier ! C'est eux les monstres, putain !
Je suis à deux doigts de faire une crise d'asthme mais la fierté prend le dessus, je ravale ma peine ainsi que mon angoisse et mon visage se change en une créature horrifiante. Je rêverais de me redresser pour l'étrangler, lui arracher les yeux ou la carotide avec les dents même ! Putain, que je prendrais plaisir à lui faire du mal. L'adrénaline coule dans mes veines, je tire la tête en arrière et la lance en avant pour lui porter un coup de tête dans le nez. Celui-ci se met instantanément à saigner de son appendice mais il ne cille pas une seconde et continue de me fixer, un sourire mauvais caché par le sang qui dégouline et tombe goutte par goutte sur mon visage. J'espère qu'il n'a pas d'IST, il ne manquerait plus que ça.
— Chérie, entre l'ange et le démon il n'y a pas grand monde de différence...
Il se redresse, essuie son nez du revers de la main et ajoute en sortant :
— Il n'y a qu'à te regarder pour le comprendre, puis sans ajouter un mot il sort de ma chambre.
Je reste plantée là, toujours allongée et figée par les émotions. Noah vient demain, il va le découvrir, il va me découvrir ici... jamais Ezio ne le laissera partir. Jamais, c'est son plan. J'en suis sûre. Je retire ce que j'ai dis : il n'a pas d'âme. Il ne peut pas en avoir en étant comme ça...
Je me lève à toute vitesse quand la pizza menace de sortir pour décorer le parquet, les toilettes m'accueillent et je me vide de tout ce qui me submerge depuis deux jours.
Non, il ne peut pas avoir d'âme.
Chérie, entre l'ange et le démon il n'y a pas grand monde de différence...
Sa phrase tourne en boucle dans mes pensées. Je repense à tout ce que j'ai pensé sur lui, à tout le mal que je voulais lui faire. À toutes ces fois où j'ai secrètement rêvé d'anéantir mes harceleurs. Toutes ces fois où ma colère a pris le dessus sur la raison, sur mes valeurs, sur ce qui est acceptable ou non. Je suis un raz-de-marée de colère, de sentiment d'injustice, de dégoût et d'inquiétude mélangé à la culpabilité qui tord mes tripes. Les Millers, fuck, les Millers sont morts par ma faute.
Tout se bouscule à l'intérieur de moi, jusqu'à ce que je trouve une conclusion. Peut-être que moi non plus, je n'ai pas d'âme. Peut-être que moi aussi, je sus un monstre. Que dis-je ? Je sus un démon.
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L'effet miroir
RomanceRachelle, 20 ans, travaille sans relâche pour payer ses frais de scolarité et les soins de santé de sa mère. Elle a tout d'une jeune femme détruite par la vie. Ezio, 23 ans, tue des gens appartenant à un réseau de trafic d'humain afin d'atteindre s...