Chapitre 18 - Rachelle

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Comme si nous n'existons pas, Ezio passe dans le salon et rejoint l'escalier qui mène à l'étage.
— Ne me regarde pas comme ça, l'Imprévu ou je te fais pareil. Compris ?
Je tourne vivement la tête et déglutis avec peine. Il n'est pas sérieux, si ? Je cherche désespérément Alex du regard en espérant qu'il fasse une blague pour détendre l'atmosphère ou qu'il me rassure mais lui aussi fuit la pièce du regard. Non, ce fou furieux ne rigole pas...
Sirius se redresse et rejoint le psychopathe qui nous toise de l'escalier, j'ai envie de lui hurler de revenir près de moi mais je ne sais pas comment réagir face à son humeur glaciale. J'ai l'intime conviction qu'il est à deux doigts de m'arracher la tête, ou celle de n'importe qui si on le provoque un peu trop. Mon esprit rebelle ferme sa gueule et se taire comme un rat dans un fond de ma personnalité. Il caresse la tête de Sirius et continue son chemin vers la salle de bain d'où il nous lance :
— Va chercher des pizzas, Alex. Et prends l'Imprévu avec toi, sinon je risque de la tuer si elle me regarde encore comme si j'étais un monstre.
Parce que ce n'est pas un monstre, peut-être ? C'est un véritable démon, oui ! Il est lunatique et mauvais. Il a des pulsions de violence, il m'a kidnappée... Rien ne va chez ce type ! A qui appartenait ce sang ? Le mien se glace, il est bien trop calme pour être normal. 
Il claque la porte et Alex m'invite à le suivre d'un signe de tête, nous rejoignons le garage et montons dans une voiture dont je ne reconnais pas la marque. Au bruit du moteur, je comprends qu'elle doit couter aussi chère que l'Audi dans laquelle j'ai posé mes fesses. Nous nous dirigeons vers la sortie du domaine lorsque le silence est brisé par la sonnerie du téléphone d'Alex. Sur le tableau de bord, le nom d'Ezio s'affiche et lorsqu'Alex met le son sur haut parleur la voix rauque du fou furieux retentit dans l'habitacle :
— Si elle s'enfuit, je vous bute tous les deux.
Sur ces mots, il raccroche et nous laisse dans un malaise palpable. Inconsciemment, je me pince la peau de la cuisse et m'arrache les peaux des lèvres jusqu'à ce qu'un goût de sang familier imprègne ma langue. Cette sensation ferreuse est mon signal d'arrêt mais je poursuis, trop rongée par ce qui m'arrive depuis deux jours. Deux jours, seulement... et j'ai l'impression d'avoir vécu milles vies. Nous arrivons devant la pizzeria où tout le monde nous regarde, c'est peu commun des gens dans une voiture pareille qui viennent chercher une simple pizza. Au fond de moi, une voix me crie d'en parler à quelqu'un, que le gens vont m'aider à me sauver si j'explique la situation... mais une autre voix me calme et me rappelle la menace du fou furieux, alors je me tais et me planque la queue entre les jambes comme la chienne que je suis. Grosse vache et chienne, c'est quoi le prochain animal sur la liste ? T'es pathétique ma pauvre fille, ajoute ma conscience.
— Bonjour, puis-je prendre votre commande ?
Alex se tourne vers moi afin de me demander silencieusement ce que je désire, question à laquelle je réponds :
— Une pizza végétarienne, s'il vous plait.
Alex commande deux pizzas au jambon et s'installe dans le fond du restaurant où il passe en revues les dernières nouvelles sur les réseaux sociaux. Je suis plongée dans une sorte de bulle, en pleine dissociation lorsque l'uniforme de deux personnes qui entrent me retourne l'estomac. La police ! L'un des deux policiers, qui a le double de la carrure d'Alex et des cheveux blonds qui lui tombent légèrement sur le front me zieute de haut en bas les sourcils froncés. Mes mains deviennent moites et mon coeur bat si fort dans ma poitrine que je n'entends plus que le bruit de ses battements.  Le flic parle à son collègue, qui se tourne vers nous et approuve quelque chose d'un hochement de tête. Ensuite, ils s'avancent prudemment vers nous la main sur leur arme. Alerté par les pas lourds des deux hommes, Alex redresse la tête et je suis impressionnée par le self-contrôle dont il fait preuve.
— Tout va bien, mademoiselle ? M'interroge l'homme en uniforme.
— Tout va bien, répond Alex à ma place.
— C'est à elle que je parlais, jeune homme.
BALANCE TOUT, FUIS, TU ES SAUVÉE, hurle ma conscience.
L'air se charge d'une tension que je pourrais presque toucher, tout le monde s'examine sans vergogne à la recherche du moindre signe d'agressivité. Je suis heureuse d'être avec Alex, l'autre fou furieux m'aurait amené à la case prison en un claquement de doigt avec ses réactions disproportionnées.
— Mademoiselle ?
— O...oui, tout va bien, merci.
L'homme n'y croit pas une seule seconde, il fusille Alex du regard et me saisit par le coude.
— Pourrais-je vous parler une seconde, seul à seul ?
Il formule une question mais c'est en réalité un ordre, je hoche la tête et le suis vers l'extérieur laissant un Alex paniqué qui ne montre pourtant aucune émotion. Le seul indice qu'il sème concernant son embarras est le bref coup d'œil qu'il m'adresse en même temps qu'un sourire hypocrite à l'autre flic. Finalement, il ressemble plus à son frère qu'il en a l'air.
— Mademoiselle Valentini, je ne vais pas y aller par quatre chemin, m'adresse le policier.
Il connaît mon nom, merde, merde, merde... ça doit être en lien avec monsieur Soon !
— Oui ?
— Un jeune homme est venu nous signaler votre disparition soudaine, il avait l'air inquiet car vous n'étiez pas chez vous et vous ne répondez pas à ses appels. On lui a dit de ne pas s'alarmer mais tant que je vous croise... j'aimerais m'assurer que vous êtes en sécurité.
Mon esprit quitte mon corps, l'air s'amenuise dans mes poumons et des points gris brouillent ma vue. Bordel de merde, je vais pouvoir partir ! Ou peut-être que non ? Le fou furieux me retrouverait... et Sirius est avec lui... et personne ne pourrait vraiment me protéger de ce taré. Je devrais changer de nom ? De ville ? De pays ? Comme toujours, l'illusion qu'un choix m'est offert n'est pas réelle. Non, je n'ai pas le choix.
— Qui est venu vous dire ça ?
— Un certain Noah, votre meilleur ami selon lui.
Je souris, attendrie par l'inquiétude de mon meilleur ami. Il me manque et pas qu'un peu...
— Je... je vais bien, j'ai rencontré quelqu'un et... cela fait deux jours que je suis chez lui.
— Pourquoi ne répondez-vous pas au téléphone, dans ce cas ?
Je ne peux pas inventer une panne de batterie ou un téléphone cassé, ça n'a ni queue ni tête dans le monde actuel... Vite, vite, vite...
— Euh... nous étions occupés, si vous voyez ce que je veux dire...
Le rouge monte aux joues de l'homme en uniforme, qui me regarde les yeux ronds et la bouche pincée. Quoi de mieux que d'inventer des ébats sexuels torrides pour être tranquille avec n'importe qui ? La société, pourtant dépravée, fait un scandale de tout ce qui comporte des allusions au mot cul.
— Ah, je vois. L'homme se gratte derrière la tête avant de conclure : pensez à téléphoner à votre ami, avant qu'il ne vienne encore nous harceler au commissariat.
Sur ce conseil, il s'éloigne et je le suis pour rejoindre Alex. Les policiers s'éloignent pour prendre leur propre commande lorsque le serveur nous tend nos trois boites de pizza en nous prévenant de faire attention, elles sont très chaudes. Nous remontons dans la voiture sans un mot, Alex me passe les pizzas que je pose sur mes jambes. La chaleur me réconforte, la pincette que cela me procure m'aide à penser à autre chose.
— Pourquoi tu ne leurs à rien dit ? Me questionne le jeune homme.
Comment répondre à une question dont on ne connaît pas tout à fait la réponse ?
— Je... je ne sais pas, j'ai l'impression que je n'ai pas le choix. Quoiqu'il arrive, Ezio me retrouvera et me le fera payer si je le dénonce... Alors, je dois juste subir en silence, comme toujours.
Je pense que ma réponse lui suffit car Alex fixe la route et ne me répond rien durant plusieurs minutes jusqu'à ce qu'il finisse par lâcher :
— Aujourd'hui, tu as pris la décision de ne rien dire. Alors, ne vois pas ça comme si tu subissais... Tu ne dois pas subir, jamais. Parfois, il faut s'accommoder des mauvaises choses et faire avec, mais jamais les subir.
Sa réponse me foudroie le coeur, je réalise qu'il n'a pas tout à fait tord... Il n'y a qu'à le voir pour réaliser qu'après avoir tout perdu, on peut réussir à tout retrouver.
Non, je ne tuerai pas. Je ferai ce qu'il veut pour pouvoir reprendre ma vie normale mais je ne tuerai personne, jamais.

L'effet miroir Où les histoires vivent. Découvrez maintenant