Chapitre 3 - Rachelle

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Cela fait plus d'une heure de souffrance à écouter la prof parler de l'importance de la neutralité dans le métier de prof. Quelle hypocrisie, personne ne peut être totalement neutre. La moitié de mes futurs collègues risquent probablement d'être de vieux aigris peu ouverts d'esprits qui critiqueront tout ce qui bouge. Enfin, je suppose, vu mes antécédents lors de mes stages. Alors qu'elle passe à la diapositive suivante pour se contenter de la lire machinalement, je prends discrètement une photo et me replonge dans la lecture de mon livre en ligne. Ça, c'est intéressant. Lorsque je passe à la page suivante, quelque chose de dure et de petit percute mon crâne.
— Putain, c'est quoi cette merde ?! Chuchoté-je.
— Des commentaires, mademoiselle Valentini ?
Je secoue la tête pour infirmer et cherche sur le sol ce qui vient de me percuter de plein fouet, aucune trace. Alors que je tourne la tête, quelque chose tire sur mes cheveux. Je passe mes doigts dans mes boucles et découvre un chewing-gum encore mouillé. Putain mais c'est une blague ?
Alors que je saisis la chique entre mes doigts, des rires éclatent en provenance des bancs derrière moi. Instantanément, la honte me paralyse et les larmes me montent aux yeux. J'ai la sensation d'étouffer, que l'air décide de ne plus passer pour remplir mes poumons, des points apparaissent devant mes yeux et le bout de mes doigts s'endorment. Je vais faire une crise d'angoisse, c'est sûr. Je dois sortir. Je ferme l'écran de mon ordinateur, remballe à la hâte mes affaires et sors du local à toute vitesse pour fuir le bâtiment. Lorsque je franchis le couloir, j'entends les cons de ma classe rire et lancer à la volée :
— T'as un truc dans les cheveux, grosse vache !
— En plus, elle se laisse faire comme une chienne, cette pute !
J'accélère le pas, j'ai besoin d'air. Voilà pourquoi je sais que l'enfer ne sera pas terminé lorsque je travaillerai, il sera juste différent. Si des gens comme eux sont diplômés, des connards sans nom seront enseignants. Ça me donne la nausée, putain.
Une fois hors du bâtiment, le vent froid du mois de février pique mes joues. J'avance à vives allures pour rejoindre ma voiture garée à quelques pas de là. J'allume le moteur et me dirige dans l'endroit qui apaise un peu mon coeur. La musique qui remplit la voiture ne m'aide pas, tous les mots qu'ils m'ont lancés tournent en boucle dans mon esprit. Ceux que j'entends depuis des années, parce que je ne rentre pas dans les standards de la société. Parce que je suis trop moche. Parce que je suis trop grosse. Parce que je ne suis pas assez intelligente, assez riche... pas assez, tout court, tout le temps.
Au bout d'une vingtaines de minutes, je me gare devant l'immense bâtiment jaune qui va m'accueillir les prochaines heures. J'inspire et souffle pour contrôler les larmes qui rougissent le blanc de mes yeux. Elle ne doit pas me voir comme ça... Elle ne te verra pas, de toute façon.
Je passe le tourniquet de l'entrée, en veillant à ne pas marcher trop près de la paroi vitrée au risque de bloquer cette merde. Les dames de l'accueil me saluent poliment, elles me connaissent depuis le temps. J'emprunte l'Escalator et me dirige vers le deuxième étage de l'hôpital, chambre 7. Je frappe à la porte pour vérifier qu'aucun soignant n'est occupé et pénètre dans la chambre encore plongée dans le noir.
— Bonjour maman, comment vas-tu aujourd'hui ? C'est pas vrai, ils n'ont pas encore ouvert tes tentures ? Attends, je le fais, je sais à quel point tu aimes sentir la chaleur des rayons sur ton visage.
Évidemment, je n'ai aucune réponse. Je saisis les grandes tentures bordeaux et les ouvre pour laisser la lumière de l'extérieur pénétrer dans la chambre qu'elle occupe depuis une année complète. Je m'assieds sur la chaise posée à côté de son lit et prends sa main dans la mienne, que je caresse doucement du pouce.
— Fuck, maman, tu as les mains glacées ! Attends, je vais te les masser.
Je me lève et me dirige vers l'armoire où sont stockés ses vêtements et ses savons.
— Si tu pouvais bouger, tu m'arracherais la langue pour mon langage, pas vrai ? Je te vois déjà bien me dire : « Rachelle, je ne t'ai pas élevée comme ça ».
Je presse le tube pour poser une noisette de crème que j'étale avec des mouvements de va et vient dans l'espoir de faire circuler le sang de ma mère. A force d'être allongée comme ça dans le coma, son corps commence à lâcher... Cette pensée me tord les tripes et je maîtrise de justesse un sanglot. Certains disent que les malades nous entendent lorsqu'ils sont dans le coma, cette pensée me permet de garder espoir mais me rappelle que je ne peux pas trop lui montrer ma peine. Elle ne doit surtout pas culpabiliser, ce n'est pas sa faute.
— Je suis partie plus tôt, aujourd'hui mais j'y retournerai demain. Je fais tout pour réussir mon année, comme je te l'avais promis, maman.
J'embrasse sa main qui sent le savon et découvre son corps pour m'affairer au même procédé sur ses jambes glacées.
— Ils se sont encore moqués de moi, aujourd'hui. Ça devient compliqué à gérer... Si tu savais comme je me déteste... j'aimerais tellement que tu sois là, enfin, que tu puisses me prendre dans tes bras je veux dire. Ou que tu m'aides à les tuer, ce serait utile, aussi.
Je ris, je sais qu'elle rirait aussi si ma mère m'entendait. On avait toujours dit que s'il fallait enterrer un cadavre, on s'appellerait l'une l'autre car il n'y avait personne d'autre sur qui compter. Elle enterrerait ce secret dans sa tombe et moi dans la mienne, mais finalement, on a jamais eu à enterrer quoique ce soit.
Je saisis la brosse à cheveux et commence à démêler ses cheveux blonds foncés, comme les miens. Leur texture crêpée, m'arrache une grimace de peine. La chevelure de ma mère était ce qu'elle préférait quand elle était encore consciente mais les infirmières ne savent pas rincer le shampoing correctement lorsqu'ils effectuent sa toilette. Je ne les blâme pas, c'est compliqué mais je refuse qu'on lui coupe par facilité. Ils me l'ont déjà proposé plusieurs fois mais je préfère lui laisser le choix, lorsqu'elle se réveillera. Si elle se réveille... Elle se réveillera, elle n'a pas le choix. J'ai besoin de toi, maman.
— Heureusement que tu n'as pas les cheveux bouclés, tu serais vraiment dans la merde ! Rigolé-je, seule avec pour unique compagnie le bruit des battements de son coeur sur l'appareil qui la maintient en vie.
Les cheveux bouclés, je les tiens de mon père apparemment mais je ne sais rien de lui. Ma mère refusait catégoriquement de m'en parler et si elle vient à s'éteindre, ce sera un manque de plus qui ne sera jamais comblé.
— J'ai envie de quitter Florent mais je n'en ai pas le courage. S'il sort de ma vie, je n'aurai plus personne à part Sirius. Enfin, Sirius et toi évidemment mais... enfin, tu te doutes, c'est pas le même.
J'arrête ma sérénade, les joues baignées de larmes. Je renifle frénétiquement et essuie mon nez avec un papier essuie-tout posé sur la table de nuit. Quelqu'un frappe à la porte, me tirant de mes lamentations.
— Mademoiselle Valentini ? On va procéder aux soins de votre mère, voulez-vous bien sortir s'il vous plaît ?
J'approuve et me lève pour rejoindre le couloir sans vie. J'avance jusqu'aux distributeurs où je prends une gaufre au chocolat, une barre chocolatée et une soupe. Je m'assieds sur les siège en métal froid de la salle d'attente et patiente en consultant mes messages.

L'effet miroir Où les histoires vivent. Découvrez maintenant