Moussaillon [BxB]

5: Cartes sur table

Mon jeu est terrible. Terriblement mauvais.
Évidemment, je ne laisse rien paraître.
Un premier tour passe, personne ne se couche. Certains me jettent des regards qui couvent des intentions répugnantes, mais je reste concentré.
Deuxième tour, mon "ami" du pont jette ses cartes en se laissant retomber contre le dossier de sa chaise.

"Je me couche."

Il lève les yeux sur moi, j'ai presque l'impression qu'il me soutient, allez savoir pourquoi. C'est bien le seul.
Après longue réflexion, il est temps de jouer cartes sur table.
Je suis confiant, mais tout dépendra du jeu des autres.
Je jure que si je perds je saute par dessus bord.

"Messieurs, dévoilez vos cartes."

L'un après l'autre nous retournons nos cartes, certains grognent, mauvais d'avoir perdu. Viens mon tour, personne ne réagit.
Je suis sûr de gagner.

"C'est un bon jeu que tu as là."

Un marin avec encore ses cartes en main me lance un sourire provoquant.
Il les poses et savoure ma réaction.
Ce chien nous a sortit une quinte flush.
Je dois tirer une tête de déterré, car les autres éclatent de rire et célèbrent sa victoire, certains me donnent une tape, un peu trop forte, dans le dos.
Le sort s'acharne sur moi...la chance n'a jamais été de mon côté, mais pour une fois j'espérai que les choses tournent en ma faveur. Rien qu'une fois.

"J'en connais un qui va passer une sale nuit !"

Bon dieu...j'essaye de me faire petit, mais il semblerait que depuis que j'ai mit les pieds sur ce navire je me retrouve toujours au centre de l'attention.
Pendant que tout le monde est occupé à trinquer, une main m'attrape par le bras et me tire en arrière.
Je me lève illico et me retourne.

"Suis moi si tu veux y échapper."

C'est encore lui. L'homme qui m'a appelé sur le pont.
Sa proposition est la meilleure qu'on m'ait faite depuis un bail.
Je hoche la tête et il m'entraîne à sa suite. Nous arrivons à filer discrètement, dans cette situation mon petit gabarit me sert grandement.
On grimpe les quelques marches qui mènent au pont.

L'air marin fouette mon visage et je respire à plein poumon une grosse bouffée d'air frais. J'en oubli l'odeur pestilentielle de la cale qui sent le fauve et l'alcool.
Grâce au ciel dégagé cette nuit nous y voyons suffisamment pour que je puisse détailler mon sauveur.
Il n'a pas l'air aussi vieux et sale que les autres, mais les nombreuses cicatrices à son visage et ses mains ne laissent aucun doute. C'est un pirate aguerri. Un détail en particulier attire mon attention, sous ses cheveux mal coupé je me rend compte qu'il lui manque une oreille, à la place il n'y a qu'une horrible balafre.

"Ne restons pas là, viens."

Il grimpe sur la rambarde d'un bond et je me précipite pour le rattraper.

"Attention !"

Il se retient à une corde et me fait signe de le suivre. Cet idiot m'a fait peur...
Il grimpe avec agilité sur un ensemble de cordages formant un filet.
Je m'accroche à la rambarde, mais rien qu'à la vue de l'eau j'ai déjà le vertige. Il est fou s'il croit que je vais le suivre.
Je lève la tête vers lui, il est déjà bien trop haut pour m'entendre.
Mais je ne peux pas non plus rester ici, les autres ne vont pas tarder à se rendre compte que j'ai filé en douce et me retrouverons en un rien de temps.
J'y vais. J'arrête de réfléchir et je m'élance à sa suite. Mes membres tremblent tellement, j'ai l'impression qu'ils vont me lâcher. Mais je m'accroche.
Je commence à grimper aux cordages, un pied après l'autre, sans regarder en bas.
Matthew, par pitié ne regarde pas en bas. Ne regarde pas en-
Je manque de perdre l'équilibre quand mes yeux cherchent le sol. Le bateau tangue dans de las va et viens, à ça vient s'ajouter la hauteur qui me retourne l'estomac. Je m'accroche aux cordes comme à ma vie. J'ai peur de lâcher.