chambre

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jeff, maman ne me reconnaît pas
elle dit que je ne range plus ma chambre
que je suis toujours en colère
que je n'ai jamais été comme ça

mon père est du même avis
il me regarde d'un œil désapprobateur
chaque fois que je marche dans la pièce
il refuse d'accepter que je suis celle d'avant
juste un peu plus révoltée
il parle à une inconnue
qu'il hait de toute son âme
il attend qu'elle parte
avec l'espoir de voir revenir un jour
une enfant qui n'ose pas parler

ma mère, je crois qu'elle m'aime encore
mais j'ai mal
j'aimerais qu'ils continuent de m'aimer sans regret
et j'espère que tu m'aimerais aussi, maintenant

mais jeff, ils sont tous en deuil d'une Héloïse de huit ans
sage et autonome
qui réussit bien à l'école
qui ne répond pas à ses parents
et qui se contente de pleurer dans son lit
quand le monde est endormi

moi je l'ai vue, la petite fille
cachée derrière la haie de la cour de récré
je l'ai vue se recroqueviller
jusqu'à disparaître
je porte en moi ses cendres
ses vêtements roses et ses barrettes bleues
parfois elle vient me porter compagnie
elle pose sa main sur mon épaule
et elle me demande
pourquoi j'ai cessé d'en porter
alors nous pleurons ensemble
personne pour voir,
personne pour comprendre

ils aiment son calme
sa discrétion
sa maturité
mais ils ne se sont jamais demandé pourquoi elle était adulte
avant même d'être née

ils ne se sont jamais demandé
qui était cette petite fille
ou si elle n'avait pas l'air un peu cassée
à regarder partout
à tout observer
ils lui ont dit qu'elle était bizarre
qu'elle devait changer

alors maintenant elle prend sa revanche
elle fait ce qu'ils n'aiment pas
s'arrêter et observer
tout écrire et tout photographier
elle prend son repos maintenant
faute d'avoir grandi trop vite

de toute façon ils ne l'ont jamais connue
comment peuvent-ils la regretter ?
comment peuvent-ils lui reprocher d'être effrayée
alors qu'ils ne l'ont jamais rassurée ?
ils n'ont lu que sa belle écriture
qui faisait des exercices
pas les poèmes qu'elle écrivait cachée
car le soir, elle se dévoile
elle dit à qui veut l'entendre
je suis Héloïse
je suis mes propres cendres et ma propre destinée
je suis les fleurs fanées et celles à venir
je suis ce que j'écris
je suis mes yeux bleus
mais vous ne les lirez qu'à travers ma poésie
si vous voulez me connaître, faites donc
la porte est ouverte

les fleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant