Qui a dit que les hommes étaient plus forts que les femmes ?
Baptiste
Sur la ligne, la tension monte. Coup de sifflet, plus qu'une minute avant le premier départ.
Le vent souffle de plus en plus fort, mais ce n'est pas un problème pour moi. Plus concentré que jamais, je m'approche à tribord — main droite la plus proche du mât — du bateau comité sans pour autant le toucher, près à partir quand le dernier gong retentira.
En équilibre permanent entre avancer et reculer pour faire du sur place, mes jambes tremblent légèrement sur ma petite planche qui s'enfonce un peu dans l'eau sous mon poids. Les autres concurrents viennent se placer au fur et à mesure autour de moi sans me toucher, mais en me pressant quand même.
- Y a plus de place ! Je grogne quand certains n'arrivent pas à bien gérer leur gréement.
Quelle idée ils ont eu de faire un départ tous en même temps, hormis les minimes qui sont partis quelques minutes avant nous pour leur propre course ? Certes, nous ne sommes pas cinquante, mais entre les espoirs, les techno-plus comme nous et les garçons/filles, ça commence à faire beaucoup de catégories mélangées.
Je jette un coup d'œil à ma droite, où une personne se faufile avec brio entre moi et le comité, sans me gêner, ni risquer une pénalité si elle touche le bateau. Ses cheveux roses sont ramenés en arrière dans une petite queue de cheval, sa mine sévère par la concentration, ses bras qui tremblent à cause de la grande voile.
Je l'observe quelques secondes mais elle ne me jette même pas un regard. Pas parce qu'elle ne le veut pas, mais je sens qu'elle est plus déterminée que jamais.
Quelques secondes nous séparent du départ, et tout se presse autour de nous. J'entends quelques planchistes tomber dans l'eau, entraînant d'autres dans leur chute. J'entends des protestations, jamais d'insultes, même si tout est lourd de sens.
- Bonne chance, je déclare à Amélie qui ne daigne pas m'observer.
- Garde ta salive et concentre-toi, elle réplique aussitôt ce qui me fait ricaner.
J'entends les hommes sur le bateau comité se remuer en posant la bière qu'ils sirotaient — pas sûr qu'ils en aient le droit — puis se préparent avec le drapeau qu'ils hisseront rapidement pour le départ, ainsi que l'homme qui sifflera le début de la course.
Je jette un coup d'œil rapide à la montre accrochée sur mon gilet de sauvetage, m'indiquant qu'il ne reste plus que 10 petites secondes avant le coup de sifflet.
Anticipant le vent que me fera Amélie et la possibilité qu'elle me fasse tomber, je me recule sur ma planche, et commence à avancer dangereusement vers la limite de la ligne.
5 secondes.
Proche des coachs, j'entends tout le monde dire à voix basse le compte à rebours.
4 secondes.
Les voiles commencent à se remuer dans un boucan d'enfer qui surpasse celui du vent.
3 secondes.
Je commence à remuer ma voile comme eux, pompant pour prendre de l'élan et ne pas faire de faux départ.
2 secondes.
Le sang qui palpite dans mes veines.
1 seconde.
Amélie qui n'est pas très loin, nos planches se touchant presque.
Le coup de siffler retentit, et je ne réfléchis plus. Je pompe de toutes mes forces, créant du vent dans ma voile pour m'élancer à travers la ligne. La masse nous suit, tous proches les uns des autres, même si au fur et à mesure de la course, tout le monde s'éloignera.
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Contre vent et marées
RomanceAmélie Marceau n'a jamais été adepte de compétition. Si elle est brillante dans sa discipline, les courses ne sont qu'un passe temps qu'elle nourrit pour sa propre satisfaction. Pour une dernière année de sport intense, elle a un objectif : accéder...