Chapitre 32

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En apesanteur

Baptiste

Après avoir lancé un dernier clin d'œil à la future gagnante de cette compétition — pas de négociation possible — je l'ai regardé s'en aller, concentrée comme jamais, sérieuse et légèrement angoissée. Sa façon de remettre sa mèche de cheveux derrière son oreille à plusieurs reprises en quelques secondes ne laisse pas de doute : malgré ses airs sûre d'elle-même et son esprit de compétition qui refait surface, Amélie est belle et bien stressée de ne pas réussir. Je n'ai jamais pensé à lui demander pourquoi elle tient tant à aller aux championnats du monde, mais tout ce que je sais, c'est que ça compte pour elle.

Hier, lors des entraînements avec une grande partie des autres clubs, on a bien vu qu'elle pouvait gagner, que ses concurrentes ne sont pas toutes aussi fortes qu'elles ne le laissent penser ou alors que c'est Amélie, qui est assez forte pour être à leur hauteur. Parce qu'elle s'est entraînée, elle peut gagner.

-    Le départ est dans moins d'une minute, nous annonce Lissandre, une oreille sur sa VHF. Vous voyez Amélie entre toutes ces voiles ?

-    À tribord, collée au comité, lui montre Sacha. Regarde toutes les 7.8 oranges et là, bien à droite, les deux 8.5 jaunes. Je crois que la blonde du Pôle est près d'elle.

-    Et la brune est à bâbord, je complète en observant les deux femmes de loin.

Les coachs acquiescent en cœur avant d'entendre le décompte énoncé par un homme sur le comité. Tout le monde retient son souffle mais Sacha envoie les garçons se préparer pour leur départ qui va être lancé juste après celui-là. Les voiles des filles commencent à bouger en rythme jusqu'à ce que le coup de sifflet final soit lancé. Dans cette marée de toile, je ne vois pas de suite le départ d'Amélie mais je sais qu'elle l'a pris : aucune planche hormis une jeune fille que je n'ai jamais vue n'est tombée.

Quand la flotte se sépare un peu plus, je remarque bien les deux voiles jaunes côtes à côtes, prêtes à aller passer la première bouée. Le parcours est assez grand sur le lac, ce qui m'empêche de bien voir les planchistes au bout d'une certaine distance mais ce n'est pas grave. De loin, je vois quand même les filles passer la bouée et foncer vers la deuxième.

Le vent souffle de plus en plus fort ce qui m'inquiète un peu. On est qu'à la première manche et j'ai peur qu'ils n'en fassent cinq. Cinq longues manches qui vont être dures à finir si le vent reste à cette puissance.

-    C'est bon, elles se sont écartées de tous, dit tout bas le coach.

Je reporte mon attention sur elles et effectivement, trois voiles jaunes filent avec une autre un peu à la traine mais je pense qu'il s'agit de Noémie. Même si elle a été nulle sur les derniers entraînements, elle reste de loin une concurrente de taille qu'il ne faut pas enlever de l'équation. Au même moment, les minimes reviennent de leur course, certains épuisés qui viennent se plaindre auprès de Jocelyn, leur coach, non loin de nous. La pauvre semble au bord du gouffre.

Hier, j'ai eu l'occasion de parler un peu avec elle qui m'intrigue depuis que je l'ai vu. Certes, son vitiligo en est peut-être pour quelque chose — ces yeux translucides et sa peau décolorée magnifique — mais elle a une attitude si saine, décontractée et zen qu'elle nous donne directement une bonne image, une envie d'aller faire sa connaissance. Nous avons parlé une bonne heure de tout et de rien avant qu'elle ne m'explique la cause de sa maladie, un diabète de type 1 qui lui gâche la vie. Son corps se retourne contre elle depuis la naissance, et elle a toujours autant de mal à l'accepter. Quand elle m'a expliqué que son vitiligo est venu bien après sa première respiration, j'ai presque cru que cette femme si forte et sûre d'elle-même allait se fendre en deux devant moi, me laissant impuissant face à sa tristesse. Le regard des gens, elle m'a dit, est la pire épreuve qu'elle ait eu à vivre. Le diabète et sa peau à côté de ça, du pipi de chat.

Contre vent et maréesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant