Peau d'Âne

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Anne, est une simple secrétaire. Entrée dans l'entreprise depuis près de six ans, juste après la fin de ses études, elle occupe l'un des trois postes de secrétaires, avec Sylvie et Maureen. Agée d'à peine vingt-cinq ans, de taille moyenne, elle n'a pas un physique ingrat, mais en tout cas elle ne fait rien pour se mettre en valeur. En effet, une masse de cheveux hirsute, lui cache le visage en permanence et ses vêtements amples et mal assortis, ne mettent aucunement sa silhouette en valeur. Toujours le regard baissé, elle est l'archétype de la femme effacée, soumise, celle qu'on ne remarque pas, pire celle qu'on ne voit pas. Les différents cadres de l'entreprise lui parlent par mails interposés, de peur de la voir s'évanouir s'ils lui adressent la parole. D'ailleurs, personne ne peut se vanter d'avoir jamais entendu sa voix. Car, quand elle est obligée de parler, sa voix ressemble plus à un murmure, que le moindre bruit ambiant couvre aisément. 

Les femmes de l'entreprise la prennent en pitié, elle ont bien tenté de la dérider et même de l'inviter à sortir, ne serait-ce que pour boire un verre, mais elle n'a jamais donné suite, préférant prendre la fuite. Professionnellement, elle est très capable, c'est ce qui a poussé les dirigeants à l'embaucher et depuis, à la garder. Evidemment, les hommes, entre sa timidité et le peu de soin qu'elle apporte à son physique ont fini par l'affubler de ce sur-nom de "Peau d'Anne", que personne ne conteste et surtout pas elle. Même ses consoeurs, c'est à dire les autres femmes de l'entreprise, à tous les niveaux de responsabilité, ont fini par adopter, ce "sobriquet" pour la désigner. 

Les gens de la boite, la méprisent et se moquent sans cesse d'elle. Ils lui font des blagues, cachent ses fournitures de bureau, démontent sa chaise.....

Le plus souvent, ils lui donnent les travaux les plus ingrats, celui que personne ne veut faire. A l'instar de  Juan qui, deux jours avant Noël, ayant besoin de quelqu'un pour corriger et mettre en page, un rapport urgent de trois cents pages pour le siège, s'était naturellement tourné vers Anne en la portant volontaire pour ce travail, sachant qu'elle n'aurait jamais l'audace de contredire qui que soit.

-Alors, un volontaire?

N'ayant aucun volontaire, il s'était finalement tourné vers Anne.

-He bien pourquoi pas à Peau d'Anne? Je suis certain que cela vous occupera pendant les fêtes,  ça doit être rasoir, cette période, pour les gens qui n'ont pas de famille......

-Pas d'objection? Alors c'est entendu.

Les autres, soulagés et hilares de la facilité avec laquelle Juan s'était encore joué d'elle, s'étaient alors levés pour quitter la salle de réunion, sans aucun remous ni soutient à la pauvre femme.

Et pourtant, Anne avait une passion. Femme sportive, sans cesse en mouvement pendant ses temps libres, elle passait son temps à découvrir de nouveaux itinéraires de course. Evidemment elle ne courrait que pour elle, souvent affublée d'un vieux sweat-shirt bouffant et d'un pantalon de survêtement trop grand pour elle. Dés le vendredi soir, elle chargeait sa voiture d'une petite valise et roulait vers les alpes, une semaine. La semaine suivante, elle se retrouvait au Mont Saint-michel, pour courir contre la marée montante. Plus que la course c'était les paysages et la solitude qui l'attiraient. Les écouteurs sur les oreilles pour s'isoler du reste du monde, elle trottinait sur les chemins, seule dans son monde et surtout sans personne pour la maltraiter.

Anne n'avait jamais eu de soupirant, mais ce n'est pas pour autant qu'elle n'avait pas de désirs. Souvent, la nuit, elle rêvait qu'un homme gentils et séduisant la prenait dans ses bras, l'embrassait et lui faisait l'amour toute la nuit, revisitant toutes les positions du Kamasutra. C'est alors qu'elle se réveillait en sueur, son bas ventre palpitant de désir qu'elle contentait du bout de ses doigts, dans la chaleur ouatée de ses draps et le silence de la nuit. Il faut bien le dire, cet homme gentil, à son grand désarrois, prenait souvent les traits de Juan, ce connard qui passait son temps à la martyriser et à l'humilier devant les autres. Comment son subconscient pouvait-il affubler ce chien galeux, du terme de "gentils"? Même si Anne ne participait pas aux conversations de bureau, elle n'en avait pas moins des oreilles bien ouvertes. Invisible aux yeux des autres, ils parlaient entre eux, sans se soucier d'elle. Ainsi, elle connaissait en détaille toutes les aventures de Juan et souvent même elle avait les deux versions d'une même histoire. L'une était racontée par les mâles du bureau qui vantaient les exploits de Juan comme ceux de leur joueur de foot préféré. L'autre était racontée par la principale intéressée qui croyant être discrète se confiait à une collègue. Quand elle était éveillée, Juan la dégoutait le plus souvent et le reste du temps, elle avait envie de l'étrangler. Il semblait être ravi de butiner de fleur en fleur sans jamais s'attarder. Les femmes de la société semblaient toutes flattées d'être l'élue, d'un week-end, d'une soirée ou même simplement d'un coup rapide dans un placard à ballai. Anne avait du mal à les comprendre. N'avaient-elles donc aucune fierté? Peut-être pensaient-elles toutes être l'ultime, celle dont Juan allait tomber amoureux. Anne savait bien, que rien ni personne ne pouvait entrer dans le coeur de Juan, à part Juan lui-même. Vaniteux, sur de lui, il utilisait et jetait les femmes, comme des Kleenex. 

Anne, se demandait pourquoi sa réaction était aussi vive alors que depuis toujours, elle était la cible, de la haine de ses contemporains et des hommes en particulier. En cherchant au fond de son coeur, elle avait fini par s'avouer que Juan ne la laissait pas indifférente. Tout ce qui faisait de lui un "serial-baiseur" la dégoutait,  et en même temps l'attirait. Son visage, son sourire et ses jolis yeux marrons. Ses bras forts, son torse large et puissant où elle avait envie de se blottir. Sa voix chaude et enjôleuse, comme une caresse sur son âme, la faisait fondre. Ses mains longues et fines qu'elle imaginait glisser sur sa peau......

Anne, sachant qu'il ne la regarderait jamais, comme ça, préférait  laisser libre-cours à sa haine de lui, pendant la journée. Mais la nuit venue, elle le laissait posséder son corps dans ses rêves. Pragmatique, elle avait fait le choix de prendre le meilleur de cet homme et de faire abstraction du reste.   




Donjuan contre peau d'AnneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant