Une routine bien huilée.

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Anne se demandait ce que ses collègues tramaient encore. Depuis ce lundi matin, elle semblait être le centre d'attention de leurs regards  biaiseux. Ils se taisaient sur son passage et chuchotaient dans son dos. Ses collègues féminines, arboraient un air encore plus emprunt de pitié que d'habitude, comme quand on se rend au chevet de quelqu'un que l'on sait condamné. Elle ne voyait absolument pas la raison qui aurait pu attirer autant de sympathie, sur elle. Son travail était irréprochable et ses collègues ne savaient rien d'elle, enfin sur sa vie en dehors du travail. En effet, depuis toujours, elle avait porté une attention toute particulière à ne pas risquer de mêler sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Le quartier où elle résidait était à des lieux de son travail, et ses activités le week-end et le soir, elle les choisissait justement pour qu'elle ne risque pas de tomber sur une de ses connaissances. Même l'attitude de Juan avait changé. Au lieu de l'ignorer comme d'habitude, il lui avait lancé un de ses regards qu'il pensait "bien-veillant", qui lui avait fait l'effet d'une limace passant lentement sur sa peau. En s'installant à son bureau, elle avait réfréné le frisson d'horreur qui avait parcourut son échine, pour se concentrer sur son travail. La journée durant, elle avait eu l'impression qu'on la surveillait, mais comme d'habitude, elle avait fait profil bas, fuyant les regards, ignorant les quolibets des mâles et la gentillesse déplacée de ses congénères. Pour supporter tout cela, elle essayait de garder son esprit fixé sur les plaisirs de la vie et ses activités, qui lui prenaient tout son temps libre et lui apportaient tant de bonheur. Son travail, n'était que la partie de sa vie qui lui permettait de financer ses projets et de la nourrir. Et justement, l'une de ses activités préférées, celle du Lundi, était la course à pied. Pendant ses années de Collège, puis de Lycée, comme la plupart de ses copines, elle avait détesté la course à pied. Sans doute parce qu'elle y était obligée ou parce qu'il y avait le chronomètre ingéras et perpétuellement insatisfait de ses professeurs. Mais, le jour où elle s'était retrouvée seule, dans son petit studio, avec des moyens limités, la course avait été la seule activité qu'elle avait pu se permettre. A l'époque, elle n'avait même pas  les moyens de se payer une télévision, alors elle avait commencé par faire de grandes ballades et était venue rapidement à la course. Maintenant prés de cinq ans plus tard, elle ne pouvait plus s'en passer. Donc le lundi, c'était course, la mardi piscine, le mercredi  yoga, le jeudi krav'maga et le vendredi, samedi et dimanche, elle s'évadait dès qu'elle le pouvait. Le terme n'était pas trop fort, ses escapades du week-end, lui permettaient d'être elle-même, sans voile, sans faux-semblant, le seul moment où elle pouvait tomber le masque. Car, à son travail personne ne la connaissait réellement. Elle ne pouvait être, elle-même qu'à des centaines de kilomètres, là où personne ne la connaissait, loin des regards, loin des jugements. Toutes les images, des paysages extraordinaires qu'elle arpentait le week-end, lui permettaient de tout supporter de ses collègues, en semaine. Même les images de son "petit passe-temps favori", avaient le don de la calmer et faire renaitre l'espoir et la patience d'attendre, le vendredi soir. Mais ce soir, elle se défoulerait en courant. Elle quitta les bureaux, par l'escalier, où comme elle l'avait prévu, elle ne croisa personne. Elle marcha un peu dans la rue, pour aller prendre son bus à quelques pâtés de maison de là. Evidemment le "34" était plus directe, mais elle préférait encore une fois brouiller les pistes. Donc elle prenait le "28" et marchait encore, pour rejoindre le petit appartement de sa résidence. Elle monta au troisième et rentra chez elle. Elle déposa son courrier, sur la table de la cuisine et alla se changer dans sa chambre. Devant  son dressing, elle se déshabilla lentement tout en se regardant dans la glace. Quand elle fut entièrement nue, elle se tourna dans tous les sens, pour admirer les courbes de sa silhouette. Ce qu'elle voyait lui plaisait. Tout ce sport n'était pas vain. Elle ouvrit son tiroir de sous-vêtement en enfila une culotte et un soutient-gorge de sport, puis un tee-shirt, un pantalon de jogging et un sweat-shirt à capuche, beaucoup trop grands pour elle, mais qui avaient l'avantage de cacher ses formes. Elle ricana, en voyant sa mise dans la glace, comme un enfant qui vient de faire une bonne blague. Avant de sortir, elle mit un bonnet sur sa tête, et prit ses clés de voiture. Elle descendit, jusqu'au garage et prit la route du parc. A cette heure, presque vingt heure, la circulation était plutôt fluide. Les abords du parc étaient déserts, et le parking pratiquement vide. En quittant sa voiture elle croisa quelques passionnés comme elle, qui étaient en train de finir leur séance, mais pendant le reste de son parcours, elle eut le parc, pour elle toute seule. C'était un endroit parfait pour courir le soir. Les chemins qui le sillonnaient, offraient de multiples circuits, correspondants à différentes distances. L'endroit était calme, mais prés des la ville et surtout le parc était éclairé. Anne profitait donc des lieux, se sentant en sécurité et faisant varier ses parcours au gré de sa forme et de ses envies. Quarante minutes plus tard, elle retourna à sa voiture. Au bout du parking un autre véhicule y était garé. Elle se fit la réflexion, que quelqu'un était aussi cinglé qu'elle, pour courir aussi tard. Elle se posa un instant la question: à quoi pouvait ressembler cette personne? Quand elle quitta le parking, elle vit que l'autre voiture venait d'allumer ses phares. Elle n'avait pas vu le conducteur, mais elle se re-concentra sur sa conduite, et rentra directement pour se doucher. Tout le long du parcours, elle eut des phares dans son rétroviseur sans être sure qu'ils appartiennent à la même voiture mais cela lui sembla quand-même étonnant. 

Le mardi, elle rentrait d'abord chez elle. Puis mangeait et après vingt heure, elle ressortait pour se rendre à la piscine, qui ce soir là fermait à vingt-deux heure. Les bassins sans êtres déserts étaient beaucoup plus clairsemés. Elle y côtoyait toujours les même habitués et souvent elle était la dernière à quitter les lieux. Ce Mardi là, en rentrant chez elle, elle avait fait un peu de rangement, puis avait lancé son repas. Pendant qu'il mijotait tranquillement, elle faisait un brin de vaisselle en regardant machinalement par la fenêtre de la cuisine, quand elle remarqua sur le parking, une voiture identique à celle de la veille qui semblait attendre, les feux allumés. Une petite dose d'adrénaline avait alors parcouru son échine, puis se rassurant elle-même, elle mangea. En se préparant pour aller à la piscine, elle regarda une nouvelle fois par la fenêtre et vit que la voiture avait disparu. En sortant avec sa voiture, elle était passée au ralenti sur le parking, mais aucune trace de la voiture. 

Le mercredi soir, elle allait au yoga directement en bus depuis son travail. Son sac de sport sur l'épaule, elle se mêla aux autres usagers, mais se rapprocha de la vitre arrière tout en gardant ses distances pour ne pas être vue de la rue. Ainsi elle put voir le manège d'une Audi grise, qui prenait grand soin de rester à distance du bus, mais suffisamment proche pour en voir les passagers descendre. Elle nota la plaque, mais dans le noir de l'habitacle, Anne ne put identifier le conducteur. Elle en était certaine maintenant, cette voiture la suivait. Le reste de sa soirée se déroula comme d'habitude et elle se força à ne pas chercher la voiture autour d'elle, pour ne pas risquer de l'avertir qu'elle était découverte. Doucement, les pièces du puzzles venaient de se mettre en place. Il lui suffisait seulement d'une petite vérification facile pour s'approcher de la vérité. 

Le jeudi matin, Anne prit le bus plus tôt. Arrivée la première au travail, elle eut tout le loisir de faire la petite vérification qui lui trottait dans la tête depuis la veille. Elle se rendit au classeur renfermant les notes de frais des cadres. En effet chacun d'eux possédait une carte d'essence, fournie par l'entreprise, attitrée à chaque agent ou plutôt à son véhicule. L'agent, en échange devait donner quelques renseignements, dont la cylindrée et l'immatriculation du véhicule. Maureen en charge de la compta, gardait toujours une liste de ces carte et grâce à son rangement impeccable, Anne réussi rapidement à mettre la main dessus. Elle chercha dans la liste, en comparant sur son propre papier. BR459QD....

Voilà, elle était là, la voiture appartenait bien à un de ses collègues. Son doigt suivit la ligne jusqu'à la colonne des noms.... 

-Juan?

Anne n'avait pu s'empêcher de le dire à haute voix. Puis regardant autour d'elle, elle avait rangé le dossier, qui lui brûlait les doigts. Elle s'installa à son bureau pour réfléchir. Juan la suivait mais pourquoi? Pour connaitre des choses sur elle. Mais dans quel but? Pour la séduire. Il avait déjà fait le coup à Corine. Il était tombé sur elle, par hasard, quand elle faisait ses courses au super-marché. Elle l'avait raconté à Pedro, à la machine à café. Pedro avait feint la surprise, mais il n'avait pas trompé Anne. Pedro était en effet le principal confident de Juan. Souvent complice, il se servait de lui comme rabatteur, voire même comme alibi, quand Juan prenait en chasse plusieurs proies à la fois. L'image des nuits magiques, qu'elle passait dans les bras de Juan, dans ses rêves, refit surface, elle la chassa tout de suite. Il lui fallait être prudente. En premier lieu, et à contre-coeur, il lui faudrait décommander son rendez-vous de Samedi.  A la place, elle irait sur les falaises du Pas-de-Calais. En pleine saison des tempêtes, cela devait être magnifique. Le vent, le froid et la violence des embruns fouettant son visage, devraient êtres suffisants, pour apaiser son feu intérieur et la déception de devoir annuler, son petit passe-temps favoris. Elle se rassura en se disant que ce n'était que partie remise. Quand Juan se serait lassé de la chasser, elle reprendrait contacte....



Donjuan contre peau d'AnneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant