Chapitre 7

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Mardi 09 juillet 2019

    Malgré la promesse qu'elle s'était faite, le lendemain, à l'aube, Elisabeth ne put s'empêcher de retourner surfer. Son cours de littérature n'attaquant pas avant neuf heures, elle s'était levée près de trois heures plus tôt, ce qui lui laissait suffisamment de temps libre pour attraper quelques vagues.
    Elle avait avalé un rapide bol de céréales avant de quitter la maison sur la pointe des pieds, priant pour ne pas réveiller son père. Bien sûr, il serait ravi à l'idée d'apprendre que sa fille recommençait à s'adonner à son ancienne passion – et qu'elle sortait enfin de son état de zombie, qui plus est. Mais il lui poserait trop de questions auxquelles elle n'aurait pas envie de répondre. Peut-être même lui proposerait-il de l'accompagner pour la regarder surfer. Ce qu'Elisabeth ne voulait en aucun cas. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était surfer de nouveau, sans personne pour la juger.
    Une planche sous le bras, elle sauta sur son vélo et se mit à pédaler en direction de la forêt de pins. Le village était encore plongé dans le silence. A cette heure-ci, Elisabeth était pratiquement sûre de ne croiser personne. La plupart des jeunes et des moniteurs commençaient tout juste leur nuit après une longue soirée bien arrosée, et même les touristes les plus matinaux ne s'adonnaient que rarement aux activités avant neuf heures. De plus, Elisabeth avait l'intention d'aller à la plage des Alizés, la plus sauvage et tranquille du coin. A quelques kilomètres au sud de Lacanau Océan, c'était la plus retirée des plages en raison de son unique accès par un chemin forestier. Elisabeth aimait bien ce sentier. Elle avait l'habitude de l'emprunter autrefois, lorsqu'elle partait courir. Et surtout, en raison de l'éloignement du spot par rapport au club de surf, la probabilité de croiser des locaux restait très faible.
    Debout en combinaison face à l'océan, Elisabeth jeta un regard circulaire sur le rivage. Le soleil venait tout juste de se lever et comme prévu, l'endroit était encore désert. Seul le bruit des vagues qui s'écrasaient sur la grève dans un déferlement d'écume blanche venait troubler le silence de cette belle matinée d'été. Le sable, compact et humide, lui chatouillait doucement la plante des pieds tandis que la brise iodée emmêlait ses cheveux.     Elisabeth inspira profondément et ferma les yeux. C'était tellement bon d'être de retour ici, chez elle.
    La main en visière, elle scruta l'océan et se mit à compter. Un, deux, trois... Une vague toutes les onze secondes. Parfait pour surfer ! En général, une période supérieure à dix secondes entre deux vagues correspondait à une houle longue, ce qui générait des vagues espacées, régulières et plutôt bien formées.
    Un sourire aux lèvres, Elisabeth vérifia qu'elle avait bien attaché son leash à son pied et s'élança dans l'écume, toute excitée.
    Mais à peine eut-elle aperçu la barre se profiler à l'horizon qu'elle s'arrêta net dans son élan, soudain prise d'un mouvement de recul. Elle avait le pressentiment que s'éloigner du bord n'allait pas être chose aisée...
    Lors de sa dernière session, elle avait facilement pu se faire plaisir sans avoir à franchir la barre et trop s'éloigner du bord. Manutea Point possédait un chenal qui, les jours de vent offshore – comme ça avait été le cas ce jour-là – était relativement bien dessiné et permettait de surfer de belles vagues, sans devoir nécessairement franchir la barre.
    Mais la plage des Alizés sur laquelle elle se trouvait à présent était du type beach break. Et s'il y avait bien un problème avec les beach breaks, c'était le phénomène de barre... Il s'agissait en fait de la zone près de la plage où finissaient de déferler les vagues. Mais pour pouvoir s'éloigner plus au large et attraper de véritables vagues à surf, pas moyen de la contourner ; les surfeurs étaient obligés de la passer de front. Et sur ce type de spot, la barre pouvait parfois se montrer longue et difficile à franchir, notamment en cas de houle consistante.
    Comme c'est le cas aujourd'hui, nota Elisabeth en voyant une nouvelle vague s'écraser violemment à hauteur de ses cuisses.
    Avant l'accident, le fait de franchir la barre ne lui avait jamais fait peur. Pourtant, aujourd'hui, elle jugea préférable de rester près de la côte et de surfer sur les fins de vague. Et tant pis si elle atteignait la plage au bout de quelques dixièmes de secondes de surf seulement... Après tout, elle était là pour en profiter – pas pour angoisser ! Alors mieux valait y aller étape par étape. Elle tenterait de franchir la barre pour aller plus au large le jour où elle se sentirait prête.
    Rassurée, elle prit une vague et se mit debout sur sa planche.
    Elisabeth était consciente que son niveau était désormais proche de celui d'une débutante et que sa session matinale ressemblait plus à du barbotage qu'à un véritable entraînement de surf. Surfer les mousses du bord n'était pas du vrai surf. Pourtant, elle était aux anges : elle avait la chance de pouvoir surfer de nouveau et rien d'autre n'avait plus d'importance à présent. Elle surfait, comme une débutante, certes, mais elle surfait : c'était tout ce qui comptait.
    Elle effectua deux beaux surfs, dont un qui la rendit particulièrement fière. Bien entendu, ce n'était rien à côté de ce qu'elle avait l'habitude de faire autrefois. Les « vagues » mesuraient tout juste soixante-dix centimètres de haut et elle n'avait rien fait d'extraordinaire. Pas de roller, pas de floater, ni même de cut-back. Juste deux malheureux petits surfs sur des fins de vagues. Mais c'était largement suffisant pour la rendre heureuse durant le restant de la journée.

    Une fois sortie de l'eau, Elisabeth retourna à sa serviette puis se jeta sur le petit déjeuner qu'elle s'était apportée. Pour la seconde fois en l'espace de moins d'une semaine, elle se sentait affamée. Et bien qu'elle ait englouti sa barre de céréales en quelques secondes, elle n'était pas décidée à rentrer immédiatement et laisser la magie du moment s'envoler. Alors, comme il lui restait encore un peu de temps avant de se rendre à son cours, elle traîna un moment sur la plage, appréciant la vue du soleil qui s'élevait doucement dans le ciel. Elle aimait tellement la plage ! Bien qu'elle la fuyait encore il y a moins d'une semaine, elle restait toujours son endroit préféré.

***

    Elisabeth s'ennuyait. A tout juste quinze heures, elle avait entièrement terminé ses devoirs. Elle avait envoyé ses deux exercices de droit ainsi que sa synthèse de documents à sa future école. En plus, elle était passée à la supérette du village vacances acheter quelques courses et elle avait fait le ménage dans toute la maison.
    Et dire que trois ans plus tôt, elle était la grande spécialiste du bazar mais aussi de ce que son père avait coutume d'appeler la « flem'attitude » : une fois venu le moment de ranger, elle trouvait toujours une excuse pour s'éclipser et échapper aux corvées... La situation avait bien évolué depuis ! A Paris, elle avait pris l'habitude d'astiquer chaque centimètre carré de l'appartement ; et ce, malgré la venue de la femme de ménage toutes les semaines ! Dès qu'elle en avait l'occasion, Elisabeth nettoyait la moindre miette pour éviter de penser et de ressasser le passé. Aujourd'hui, elle était devenue la reine des maniaques.
    Et à présent, il ne lui restait plus aucune tâche ménagère pour s'occuper l'esprit. Elle allait être obligée de sortir... Ce n'était pas une bonne idée d'aller à la plage : Elisabeth ne savait que trop bien qu'en voyant les autres surfer, elle ne résisterait pas longtemps et irait elle aussi. Mais, à cette heure-ci, elle risquait fortement de rencontrer de vieilles connaissances.
    Elle jugea donc plus prudent d'aller faire un tour en ville. Ses pas la ramenèrent tout droit devant le magasin de surf où elle avait repéré le magnifique maillot de bain deux pièces. Et bien que Léo ait été probablement plus attiré par les courbures sexy de la mannequin qui apparaissait sur l'affiche que par le bikini qu'elle portait, Elisabeth mourrait d'envie de l'essayer. Elle hésita un instant avant de s'engouffrer en vitesse dans une cabine d'essayage.
    Une fois le maillot sur elle, évidemment, il avait perdu tout son effet. Bien sûr, elle n'était pas anorexique. Mais avec les cinq à dix kilos qu'elle avait perdus au cours de ces trois dernières années, sa silhouette différait légèrement du mannequin en vitrine.
Elle l'acheta quand même, une taille supérieure à la sienne.
    Satisfaite de son achat, elle s'apprêtait à sortir tranquillement de la boutique lorsqu'elle s'arrêta net dans son élan : dans le rayon d'à côté, un groupe d'une dizaine de personnes regardait des leashs. Et parmi eux, son ancienne bande de copains. Chloé, Fanny, Mélanie, Mathieu, Théo et David. Tous ses amis étaient présents !
    L'un d'eux fit probablement une plaisanterie puisque le groupe se mit à pouffer et David ébouriffa les cheveux de Mélanie.
    Les larmes aux yeux, Elisabeth réprima un sourire et les contempla avec adoration. Cela faisait tellement longtemps qu'elle ne les avait pas vus. Et qu'est-ce qu'ils avaient pu lui manquer ! L'espace de quelques instants, elle eut envie de les prendre dans ses bras.
    Mais réalisant soudain qu'ils venaient dans sa direction, Elisabeth s'affola. S'ils la voyaient, elle était fichue ! Elle pouvait toujours leur sauter au cou si l'envie l'en prenait ; pas sûr que, de leur côté, les retrouvailles se fassent par de chaleureuses accolades. Pas après ce qu'il s'était passé !
    Elle voulut se cacher mais la boutique était minuscule. Prise de panique, elle attrapa la première chose qui lui tombait sous la main – une paire de tongs Hello Kitty. Elle eut tout juste le temps de dissimuler son visage derrière les claquettes, faisant mine de les admirer, que le groupe arrivait déjà à sa hauteur. Mais, à sa grande surprise, ils passèrent devant elle sans même lui jeter un regard.
    Elle reposa la paire de chaussures, soulagée, lorsqu'elle se rendit compte de la triste réalité : ainsi, elle était encore moins reconnaissable qu'elle ne l'aurait pensé.

***

    Les jours défilèrent peu à peu, laissant place les uns aux autres. Chaque après-midi, Elisabeth demandait aux membres du Staff quelle était l'activité inscrite au programme. Et lorsqu'une sortie à l'océan était annoncée, elle s'éclipsait mystérieusement, sous les yeux médusés de Léo.

A contre-courantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant