Mercredi 31 juillet 2019
Alors que le soleil commençait à décliner à l'horizon, Elisabeth s'éloignait au large du bassin d'Arcachon dans un bateau à moteur, avec Léo aux commandes.
Encore trop en colère contre lui, elle n'était pas retournée aux animations de l'après-midi. A la place, elle avait passé l'après-midi sur l'eau. Ou plutôt, sur la plage. Paralysée par la peur, elle était restée coincée à quelques mètres du bord, se contentant de surfer sur des fins de vagues brisées. Car malgré ses nombreuses tentatives pour vaincre ses démons et franchir cette maudite barre, elle finissait toujours par se raviser et se faire secouer comme lors de son entraînement avec Léo. Agacée, elle était finalement rentrée chez elle et s'était mise à ses devoirs.
Mais peu de temps après, quelqu'un avait sonné à la porte. Après être allé ouvrir, son père l'avait appelée :
— Élise, tu as de la visite !
Quand Elisabeth était passée devant son père, ce dernier, caché dans le couloir, avait levé le pouce en signe d'approbation et laissé échapper un petit gloussement. Léo se tenait dans l'encadrement de la porte.
— Qu'est-ce que... qu'est-ce que tu fais là ? lui avait alors demandé Elisabeth mal à l'aise, tout en prenant soin de refermer la porte derrière elle.
Elle n'arrivait pas à croire que Léo se soit déplacé jusqu'ici pour venir la voir, elle, en personne. Surtout après le climat glacial qui avait régné entre eux la veille...
— Je t'attends pour notre leçon ! Tu as oublié ? En plus, je crois avoir trouvé une solution pour te faire perdre ta peur de franchir la barre...
Elisabeth lui en voulait toujours. Mais face à son large sourire franc, elle s'était résignée et avait finalement accepté. S'il trouvait un moyen de l'aider à vaincre ses angoisses, elle n'allait pas s'y opposer...Elle se retrouvait maintenant là, assise dans le zodiac, en direction du milieu du bassin d'Arcachon. Voyant le Cap Ferret s'éloigner doucement derrière eux, elle s'enquit, méfiante :
— Qu'est-ce qu'on fait, on ne surfe pas aujourd'hui ? Et on va où, d'ailleurs ?
Léo lui jeta un regard amusé.
— Tu poses bien des questions ! Je ne peux pas te le dire tout de suite mais je te promets une chose, c'est que tu vas adorer !
Elisabeth ignorait ce que Léo avait exactement derrière la tête. Pourtant, son sourire énigmatique ne lui disait rien qui vaille.
Elle jeta un coup d'œil anxieux par-dessus bord. Malgré la profondeur, la clarté de l'eau du bassin d'Arcachon laissait entrevoir le fond. L'orage de la veille les avait finalement épargnés et s'était déplacé quelques kilomètres plus à l'est, rendant ainsi la turbidité de l'eau pratiquement nulle.
Un banc de poissons passa bientôt près du bateau. Elisabeth frissonna. Elle avait toujours détesté ces immondes créatures grisâtres aux yeux vitreux et écarquillés. Elle en était restée aux gentils poissons colorés et souriants du Monde de Nemo...
Embarrassée, elle se mordilla la lèvre. Comment dire à Léo, sans le contrarier, que son idée n'était sûrement pas la meilleure qu'il ait trouvée ?
— Euh, je t'avoue que je ne suis pas très à l'aise loin du bord...
— Je sais, c'est justement pour ça qu'on est là ! Tu vas voir, ça va être génial !
— D'accord mais... sans vouloir te vexer, j'ai un peu de mal à comprendre en quoi le fait d'être ici va m'aider à surmonter ma peur de franchir la barre. Nous sommes en plein milieu du bassin d'Arcachon, il n'y a pas une seule vague...
Léo ne put s'empêcher d'arborer un petit sourire en coin. La veille, suite à l'incident avec le sac poubelle, il avait rapidement compris qu'Elisabeth était en réalité terrorisée par l'idée de se retrouver au large, sans voir ce qui se cachait au fond, et non simplement parce qu'elle avait peur de franchir la barre, comme il l'avait cru au départ.
— Et si ce n'était pas tant le fait de passer ces vagues qui t'effraie mais plutôt la perspective de te retrouver là où tu n'as pas pieds ?
D'où pouvait-il bien sortir cette théorie ? Comme Elisabeth attendait visiblement une explication de sa part, il poursuivit :
— Ton wipe-out, il y a trois ans de ça. Tu l'as fait en surfant, pas en voulant atteindre le line-up... Donc pourquoi aurais-tu un blocage avec le fait de franchir la barre ?
Elisabeth réfléchit un instant. C'est vrai que lorsqu'elle avait surfé à la plage Centrale en se faisant passer pour Clara, à aucun moment elle n'avait eu peur dans l'eau. Contrairement aux Alizés où elle avait effectué ses deux semaines d'entraînement et s'était contentée de rester près du bord. Et quel était justement la différence entre ces deux plages, si ce n'est la présence d'une barre à franchir pour atteindre le line-up chez l'une ? L'absence de récifs et le peu de profondeur.
Idem pour Manutea Point, où elle était allée surfer pour la toute première fois, le soir de l'orage. Grâce au chenal bien dessiné ce jour-là, elle n'avait pas hésité à s'éloigner du bord là non plus. Et quel était le point commun entre ces deux plages où elle avait osé surfer ? Là encore, l'absence de récifs et le peu de profondeur. D'autant plus qu'à chaque fois, elle avait surfé à marée descendante, ayant ainsi pieds sur plusieurs dizaines de mètres.
Léo semblait avoir vu juste... Jusqu'à présent, elle avait bêtement mis sa peur sur le compte de la barre. Ce qui n'était pas faux, dans un sens. Mais en réalité, peut-être son problème était-il beaucoup plus complexe que cela ? Que le fait de franchir la barre n'était que la partie visible de l'iceberg ? Comment avait-elle pu ne pas y songer plus tôt ?
— Je n'y avais jamais réfléchi, fit Élisabeth, pensive. Mais ce que tu dis est vrai... On dirait bien que tu as trouvé la solution !
Pour un peu, elle lui aurait volontiers sauté au cou.
— Attends, ne t'emballe pas trop vite. Il reste encore à surpasser ta véritable peur, maintenant !
Léo était persuadé qu'elle ne pourrait progresser tant qu'elle n'aurait pas réussi à l'emporter sur ses angoisses. C'est pourquoi, il avait passé toute sa soirée de la veille à la recherche d'une manière pour l'aider. Et il avait finalement trouvé une solution. Du moins, c'était ce qu'il espérait.
Pas bien sûre d'apprécier ce que Léo avait à lui proposer, Élisabeth jeta un coup d'oeil circulaire à la grande étendue d'eau calme qui les entourait.
— Et en quoi consiste ton plan exactement ?
Pour toute réponse, Léo coupa le moteur et se mit à farfouiller dans une caisse à l'arrière du bâteau avant d'en extirper fièrement deux bouteilles ainsi que deux jeux de palmes.
— Baptême de plongée ! Alors qu'est-ce que tu en dis ?
Le sang d'Elisabeth ne fit qu'un tour.
— Quoi ? C'est hors de question que je vienne dans l'eau ici, à des kilomètres de la côte ! protesta-t-elle sans réfléchir. En plus, il va bientôt faire nuit ! Sans compter qu'il doit y avoir au moins dix mètres de fond là-dessous !
— Dix-huit exactement, rectifia Léo avec un sourire malicieux. J'ai vérifié avant de venir, précisa-t-il, comme Elisabeth le scrutait, l'œil suspicieux. Mais ne t'en fais pas. Là où je vais t'emmener, il n'y aura pas plus de cinq mètres.
Cette dernière fit la moue.
— Ça doit quand même être rempli de poissons et de requins là-dedans...
— Pour ce qui est des poissons, oui, j'espère bien pouvoir t'en montrer quelques-uns. Pour ce qui est des requins, on a malheureusement très peu de chance d'en croiser..., affirma-t-il en souriant pour la centième fois en l'espace de moins d'une minute.
Elisabeth nota mentalement qu'il faudrait que quelqu'un pense un jour à lui dire d'arrêter de sourire à tout bout de champ s'il ne voulait pas finir avec une crampe à la mâchoire ! Mais... et, une minute ! Qu'est-ce qu'il venait de dire à propos des requins ? On a malheureusement très peu de chance d'en croiser. Comment ça, « malheureusement » ?!
— En fait, t'es quoi ? Dépressif, masochiste ou quelque chose dans le genre ?
Léo ne put s'empêcher de réprimer un (cent-et-unième) sourire : en temps normal, la spontanéité ne faisait pas franchement partie des habitudes d'Elisabeth. La peur faisait ressortir une certaine impulsivité chez elle.
— Parce que je veux voir des requins ? s'enquit-il, rieur. Je te rassure, servir de casse-croûte aux requins ne fait pas partie de mes projets du moment. C'est juste que je trouve que ce sont des créatures fascinantes. Donc non, je ne suis ni dépressif, ni maso. D'ailleurs, je suis plutôt branché bougies et pétales de rose, si tu veux tout savoir, ajouta-t-il, non sans une lueur d'amusement dans les yeux.
Elisabeth fronça les sourcils, pas bien sûre de comprendre l'allusion.
— Les menottes et tout ça, ce n'est pas trop mon truc... insinua Léo, le regard entendu.
Elisabeth sentit ses joues virer au cramoisi. Comment avaient-ils pu en arriver à un tel sujet de conversation ? Quelques secondes auparavant, ils étaient tranquillement en train de discuter de profondeur et de requins. Et voilà que l'instant d'après, il se mettait à lui parler ouvertement de ses fantasmes sexuels... Secouant la tête, Elisabeth tenta d'effacer l'image délirante de Léo allongé sur un lit recouvert de pétales de rose et de chantilly.
Ce dernier se doutait que ce n'était pas le genre de réponse à laquelle Elisabeth s'attendait. Il ne put s'empêcher d'éclater de rire en voyant l'expression qu'elle affichait.
— Ne prends pas cet air outré, Elisabeth ! Tout le monde fait l'amour, c'est naturel. Et puis, c'est toi qui voulait savoir, je te rappelle, se défendit-il, le visage facétieux.
— Je ne voulais pas..., commença Elisabeth, honteuse à l'idée qu'il ait pu penser une telle chose d'elle.
Comme si elle lui avait vraiment demandé s'il... Jetant un rapide coup d'œil dans sa direction, elle comprit qu'il prenait encore un malin plaisir à s'amuser de ses réactions. Il savait pertinemment que ce n'était pas ce qu'elle avait voulu dire.
Jugeant préférable de changer de sujet avant qu'il ne continue à la faire tourner en bourrique, Elisabeth s'insurgea :
— Mais au fait, tu trouves les requins inoffensifs, toi ? C'est que tu n'as jamais regardé les Dents de la mer ! Ils sont capables de t'attaquer par derrière sans même que tu ne t'en rendes compte. Et ils peuvent posséder jusqu'à trois mille dents ! Chaque année, ils font un peu plus de victimes ! En plus, je ne te l'ai pas dit mais j'ai mes règles et à tous les coups, ça risque de les attirer !
Réalisant qu'elle débloquait pour de bon à lui parler des Dents de la mer et de son cycle hormonal – après l'avoir imaginé nu recouvert de chantilly, soit dit en passant –, elle porta instinctivement une main à sa bouche avant de soupirer.
— Oublie ce que je viens de te dire. C'est toujours comme ça quand je stresse, je n'ai plus de filtre. Je raconte tout ce qui me passe par la tête... Tu dois penser que je suis complètement folle.
Contre toute attente, Léo esquissa un léger sourire avant de secouer la tête en signe de négation.
— Non, pas du tout. Au contraire, je trouve que c'est tout à fait normal d'avoir peur. On a tous nos propres craintes, tu sais. L'essentiel est de réussir à les apprivoiser. Et si tu veux tout savoir, j'aime bien cette Elisabeth qui n'a plus de filtre, renchérit-il avec douceur alors qu'il remettait le bâteau en marche. Je la trouve vraiment amusante.
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A contre-courant
Teen FictionLacanau, été 2016. Jeune athlète à l'avenir prometteur, Elisabeth Armilhac partage son temps libre entre les entraînements de surf, les sorties avec sa bande d'amis, son petit ami et sa sœur jumelle, Clara. Une existence heureuse et pleine de promes...