Chapitre 10

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Lundi 15 juillet 2019

Elisabeth fut tirée de son sommeil par la sonnerie stridente de son portable. Ouvrant un œil, elle tendit le bras par-dessus son lit et se mit à tâtonner autour de sa table de chevet à la recherche de son mobile.
Cinq heures quarante-cinq, indiquait l'écran. Elle éteignit l'alarme dans un grognement avant de ramener la couverture sur ses épaules. La chambre était plongée dans l'obscurité et il faisait encore nuit noir à travers les volets. Alors pourquoi donc son réveil sonnait-il à une heure pareille ? Lorsqu'elle se souvint. Son programme d'entraînement...
La veille, elle avait pris une grande résolution : elle allait tout faire pour redevenir celle qu'elle était auparavant. Elle ne pouvait plus continuer comme ça. Être malheureuse, ne pas surfer, se cacher, être mal dans sa peau... Ce n'était pas elle, ça ! Il fallait qu'elle change ! Mais qu'elle change vraiment ! Pas qu'elle se contente de barboter avec de l'eau à hauteur des chevilles.
Restée éveillée jusqu'à tard dans la nuit, Elisabeth avait feuilleté son livre de citations. Elle en avait trouvé une qui lui plaisait plutôt bien et qui disait : « Lorsque l'on se perd en chemin, on a deux solutions. Tenter de retrouver la personne que l'on était ou bien lui dire adieu pour toujours ». Georges Shaw en était l'auteur. Eh bien, en ce qui la concernait, trois ans plus tôt, elle avait choisi de lui tourner le dos. Mais aujourd'hui, elle était bien décidée à retourner sur les traces du passé et à redevenir celle qu'elle était. Et elle savait qu'elle en était capable. Car, s'il y a trois ans, elle avait réussi à devenir celle qu'elle était à présent, c'est-à-dire une parfaite petite fille modèle – ce qui était loin d'être le cas autrefois – alors elle était tout à fait capable de faire le chemin inverse ! Après tout, s'il y avait bien une chose qu'elle tenait de sa mère, c'était sa détermination. Quand elle voulait quelque chose, elle faisait tout pour atteindre son objectif ! En surf, lorsqu'elle ne parvenait à placer une figure, elle pouvait parfois s'entraîner des heures et des heures jusqu'à la nuit tombée. Il fallait que ce soit son père ou sa sœur qui vienne la tirer de l'eau pour la faire sortir !

Soudain beaucoup plus enthousiaste, Elisabeth sauta de son lit. Elle se sentait prête à relever le défi !
Munie de sa lampe frontale, elle partit à petites foulées en direction de la plage des Alizés, celle où elle avait surfé quelques jours plus tôt. En passant par le chemin forestier, cela représentait un peu plus de cinq kilomètres.
Elisabeth avait toujours trouvé agréable le fait de courir seule à travers la pinède. Comme soudain transportée dans la peau de Lara Croft, elle se sentait étonnamment vive et athlétique.
A peine dix minutes plus tard, elle regrettait déjà ses pensées : à chaque pas, elle avait l'impression que ses os frêles allaient se rompre sous le poids de son corps. Après avoir arrêté le surf, ses muscles avaient progressivement fondu et ses jambes étaient devenues presque aussi fines que des baguettes. Son dernier footing, comme beaucoup d'autres choses d'ailleurs, remontait à bien longtemps. Sans compter que l'air de Paris n'avait rien dû arranger à ses poumons.
Haletante, elle porta sa main à hauteur de sa hanche gauche. Un point de côté la tenaillait depuis mi-parcours. Et elle avait beau s'appliquer sur sa respiration et souffler fort, pas moyen de le faire disparaître ! Pourtant, elle ne devait pas craquer. Pas dès son premier entraînement. Il fallait qu'elle tienne. Qu'elle atteigne cette maudite plage.
Alors, malgré la douleur, Elisabeth se força à continuer, bien décidée à atteindre son objectif.
En apercevant le sable et l'océan se dresser à l'horizon, elle retrouva un peu d'énergie et s'élança à grandes foulées vers la plage. Et quand, enfin, elle atteignit l'eau, à bout de souffle et le cœur battant, elle se laissa tomber au sol, rayonnante. Elle avait réussi !! Elle savait qu'elle en était capable ! Elle venait de faire son premier pas en avant.

Son estomac se mit soudain à gargouiller. Se souvenant qu'elle avait emporté de quoi grignoter, Elisabeth se rua sur son sac à dos et engloutit sa barre de céréales. Puis, une fois qu'elle eut repris des forces, elle s'éloigna en direction de la forêt pour aller chercher le surf qu'elle avait cadenassé, dissimulé dans les buissons, quelques jours plus tôt.
Munie de sa planche, elle s'élança toute joyeuse dans l'océan. Ce ne fut que lorsqu'elle aperçut le soleil déjà haut dans le ciel qu'elle se souvint qu'elle avait cours. Elle se précipita à sa serviette pour regarder l'heure : huit heures trente-neuf ! Elle se sécha en toute hâte et rangea son surf avant de partir à toute allure en direction de l'école.
Ce fut toute essoufflée, débraillée et dégoulinante de sueur qu'elle arriva à son cours, avec plus d'un quart d'heure de retard, sous le regard sévère de la prof. Les autres élèves, tous plus BCBG les uns que les autres – le genre fifils à papa qui fréquentait son école parisienne – la dévisagèrent, hautains.
Assise sur son siège près de la fenêtre et totalement indifférente aux regards désapprobateurs des autres élèves, Elisabeth ne put s'empêcher de réprimer un sourire béat en repensant à sa session de surf.

En début d'après-midi, elle attrapa son vélo et s'éloigna en direction de Carcans plage, une petite ville touristique située un peu plus au nord. Mais Elisabeth s'aperçut rapidement qu'elle avait quelque peu surestimé ses propres capacités : rien que le trajet aller représentait plus de vingt kilomètres. Elle décida donc de rebrousser chemin et trouva un coin de plage désert où elle put se baigner et profiter de la plage en toute tranquillité. Le retour lui parut interminable. Et quand, enfin, au crépuscule, elle atteignit le pavillon familial, elle se laissa tomber sur son lit et s'endormit aussitôt.

***

Les jours suivants se déroulèrent de la même manière : réveil à cinq heures quarante-cinq, footing jusqu'à la plage des Alizés, puis session d'une heure de surf avant de filer à son cours de littérature. Après le déjeuner, elle partait à vélo à travers la forêt de pins en direction de Carcans. En chemin, elle pique-niquait et se prélassait au soleil, savourant la fraîcheur de l'eau. En fin de journée, elle allait faire un tour au lac et s'étirait sur l'une des plages de la baie de Longarisse, face à l'île aux Oiseaux. Le dimanche, c'était repos.
A la fin de la semaine, elle était déjà parvenue à gagner onze minutes sur son premier footing ! Et même si, en surf, elle n'osait toujours pas s'éloigner du bord, qu'importe !
Désormais, elle y voyait plus clair dans son esprit. Tout lui semblait plus simple, plus beau. Pourquoi se prendre la tête avec ce qu'elle était ou n'était pas ? Elle avait l'océan à quelques pas et sa mère n'était pas là pour lui dicter sa vie, comme le lui avait si bien fait remarquer Léo. Elle venait enfin de reprendre les rênes de son destin.

A contre-courantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant