Chapitre 10

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Lundi 05 août 2019

    Avachie sur son bureau, Elisabeth écoutait le cours de littérature d'une oreille distraite. Son esprit revenait sans cesse à ce merveilleux week-end passé à Bayonne en compagnie de Léo.
    Et si elle écrivait une lettre à Clara (la vraie !) ? Lorsqu'elles étaient petites, sa sœur et elle adoraient participer aux Fêtes de la ville. Chaque année, pour l'occasion, leurs parents prenaient exceptionnellement quelques jours de congés et ils allaient y passer le week-end, en famille. Les jumelles s'amusaient comme des folles à courir dans la foule pour tenter de semer leurs parents.
    Elisabeth sourit, nostalgique, en les revoyant, sa sœur et elle, les supplier pour rester ne serait-ce que quelques minutes de plus. N'ayant que la permission de minuit à l'époque, elles leur assuraient que rester jusqu'à la fin de la fête représentait leur plus grand rêve – après être championne en surf pour Elisabeth, ce qu'elle ne manquait pas d'ajouter à chaque fois.

    « Coucou Clara,
    Tu seras sans doute un peu surprise en trouvant une lettre de ma part et sûrement plus encore lorsque tu l'auras lue...
    Pour commencer, devine où j'ai passé le week-end ? A Bayonne ! Et oui, pour les Fêtes de la ville ! C'est un copain qui m'a fait la surprise et qui m'y a emmenée samedi !

    Très tôt ce matin-là, alors qu'elle dormait encore profondément, Elisabeth avait été réveillée par le bruit incessant d'un battement contre son volet. Quand, enfin, elle s'était décidée à se lever pour voir ce qui était à l'origine de ce raffut, c'est avec étonnement qu'elle avait découvert Léo sous la fenêtre de sa chambre. Elle l'avait pris en flagrant délit, avec, à la main, une nouvelle pomme de pin qu'il s'apprêtait à tirer. Et lorsqu'elle avait ouvert la fenêtre, il avait semblé presque aussi stupéfait qu'elle.
    — Elisabeth, tu es réveillée ? J'ai bien cru que tu n'allais jamais m'entendre.
    Cette dernière se souvint qu'elle avait alors bafouillé un faible salut encore ensommeillé avant de descendre lui ouvrir. Au passage, elle avait attrapé le premier sweat qui traînait, s'apercevant avec horreur qu'elle portait sa vieille chemise de nuit à nounours de chez Etam.
    — Encore en pyjama ? Dépêche-toi, il nous reste exactement... trente-cinq minutes avant que le car ne parte sans nous ! avait joyeusement annoncé Léo en regardant sa montre.
    — Le car ? Mais quel car ? Nous avions prévu de faire quelque chose aujourd'hui ? s'était enquise Elisabeth, déboussolée.
    — En quelques sortes... Notre pacte de l'autre jour, tu te souviens ? Ce n'est pas toi qui rêvais d'arrêter de tout planifier et de te réveiller un matin sans savoir de quoi la journée serait faite ?
    — C'est vrai que c'est ce que je t'ai dit mais... et où irait-on ?
    — Ah ah, tu ne sauras pas. Du moins, pas tout de suite, avait-il répliqué d'un ton énigmatique. Alors monte vite faire ton sac et te préparer !
    — Et mon père, qu'est-ce qu'il dira quand il s'apercevra de mon absence ?
    — Ne t'inquiète pas pour lui. Je lui ai demandé hier et il est d'accord.
    D'accord ? Mais d'accord pour quoi ? Et pourquoi son père ne lui en avait-il pas parlé ? Et d'abord, depuis quand est-ce que son père et lui discutaient-ils d'elle ensemble ?
    — Et ma mère... je dois lui parler sur Skype, comme chaque dimanche soir. Qu'est-ce qu'elle dira quand elle s'apercevra que je ne suis pas rentrée ?
    — Tu le seras ! Je m'engage personnellement à te ramener saine et sauve demain soir avant vingt-et-une heures.
    Comme Elisabeth le regardait, hésitante, Léo avait alors insisté :
    — Ne t'en fais pas pour tes parents, Elisabeth. Tu es une grande fille. Je suis certain que tu pourras te passer d'eux pendant ces deux jours, et vice-versa.
    — Tu ne connais pas ma mère..., avait soupiré Elisabeth.

    Bien que désorientée, elle avait fourré quelques affaires dans un sac, en suivant les instructions griffonnées par Léo sur un bout de papier.
    Lorsqu'ils étaient arrivés à la gare routière, Léo lui avait tendu un bandeau.
    — Tu me fais confiance ?
    Encore indécise, Elisabeth s'était arrêtée un instant devant la porte d'entrée du car, pesant le pour et le contre. D'un côté, Léo qui lui offrait la liberté. Et de l'autre, et bien, retourner à la sécurité de sa petite vie routinière.
    Après tout, il n'était pas encore trop tard. Elle pouvait toujours faire marche arrière. Elle passerait probablement le week-end seule, une fois de plus. Mais au moins, rien d'imprévisible ne pourrait lui arriver. Rien qu'elle ne pourrait regretter par la suite. Et en même temps, bien qu'elle ignorait ce que Léo avait exactement derrière la tête, cette petite escapade au goût d'aventure avait quelque chose de vraiment excitant ! Mais que dirait sa mère si elle venait à l'apprendre ?
    Oh, et puis, zut ! Sa mère était à l'autre bout du monde et, de toute façon, son père était vraisemblablement au courant. C'est avec détermination qu'Elisabeth avait finalement attrapé le bout de tissu que Léo lui présentait et se l'était nouée autour des yeux.
    Face à ce soudain changement d'opinion, Léo s'était alors mis à douter à son tour. Et si son idée était une erreur ? Il ne voulait pas la brusquer. Pas après ce qu'il s'était passé l'autre soir au quartier du Staff... Elle paraissait encore tellement incertaine, seulement quelques secondes auparavant.
    — Tu en es sûre ? Il est toujours temps de changer d'avis, tu sais...
     — Certaine !
    Enivrée par le vent de liberté et d'insouciance qui soufflait soudain sur son existence, Elisabeth lui avait adressé un grand sourire avant de monter dans le car d'un pas résolu. Elle se souvenait avoir été parcourue par une montée d'adrénaline au moment où elle avait gravi la première marche, les yeux bandés. C'était la première fois depuis l'accident qu'elle s'autorisait de nouveau à s'abandonner à l'inconnu, sans savoir ce qui l'attendait ni où cela allait la mener. Et quel bien fou cela faisait d'enfin sortir de son petit chemin tout tracé !

A contre-courantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant