Chapitre 8

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Samedi 13 juillet 2019

Parvenue à hauteur de la Maison de la Glisse, Elisabeth s'arrêta net dans son élan : semblable à un essaim d'abeilles dans une ruche, une cinquantaine d'enfants et de parents grouillaient en tous sens, à la recherche d'un gilet de sauvetage, un casque de vélo ou tout simplement du groupe auquel ils appartenaient.
Les enfants, surexcités, étaient dans un tel état de tension qu'ils ne tenaient plus en place. Certains s'arrosaient avec des bouteilles d'eau et chahutaient autour de leurs parents derrière lesquels ils se cachaient comme ils se seraient servis d'un bouclier pour mieux se protéger de leurs ennemis. D'autres, au contraire, chez les Tout-petits, s'agrippaient au bras de leur mère en pleurant pour ne pas la laisser partir. Devant le panneau d'affichage, le responsable activités braillait des consignes de dernière minute, à demi couvertes par le tumulte de l'agitation générale. Et, au milieu de tous, se tenaient les animateurs, tentant de communiquer du mieux qu'ils pouvaient d'un bout à l'autre de la cour, à travers un échange nébuleux de gestes incompréhensibles et dénués de sens.

Elisabeth sentit son estomac se nouer. Pour quelle raison avait-elle accepté de venir, déjà ? Ah oui ! Pour dépanner son père...
En fin de matinée, alors qu'elle se rendait à la réception pour faire une photocopie, elle l'avait trouvé derrière l'écran de l'ordinateur, sifflotant la toute dernière chanson de Bruno Mars. Pourtant, il semblait soucieux.
Elisabeth connaissait trop bien son père. Quand quelque chose le tracassait, un petit trait de contrariété était dessiné entre ses sourcils. Exactement comme en cet instant précis.
— Ça va, Papa ?
— Hum, hum.
Tellement absorbé par ses calculs, il n'avait pratiquement pas relevé la tête.
Elisabeth avait alors insisté.
— Oh ! Excuse-moi, ma chérie. Avec cette épidémie de gastro, j'ai des petits problèmes de personnel pour la sortie surf paddle de cet après-midi.
— Tu ne m'avais pas dit que tu avais déjà détaché un des animateurs du groupe des P'tits Loups de mer pour remplacer Dedinho ?
— Si, j'avais mis Manuel avec Léo. Mais ce n'est vraiment pas de chance car lui aussi est malade, il vient de m'appeler. Et j'ai beau revoir le planning dans tous les sens, pas moyen de lui trouver un remplaçant... Et la sortie qui a lieu dans moins de deux heures ! s'était alarmé Monsieur Armilhac, au comble du désespoir. En plus, il va falloir que je file à mon rendez-vous à Mimizan...
— Et tu ne pourrais pas repousser la sortie à un autre jour ?
Son père avait fait la moue.
— La famille Schmitt est inscrite... Il s'agit de l'un de nos plus importants clients, ...et aussi l'un des plus pénibles, lui avait-il confié à voix basse. Leurs enfants tenaient absolument à participer à cette randonnée surf paddle et ils repartent demain matin... Non, impossible d'annuler, il faut que je trouve une solution.
L'esprit dans le vague, son père avait alors posé le regard sur elle, sans la distinguer réellement. Puis, une lueur d'espoir avait soudain éclairé son visage avant qu'il ne baisse de nouveau la tête, embarrassé.
— C'est bon, j'ai compris... Je vais devoir y aller, avait finalement grommelé Elisabeth.
A ce moment-là, son père l'avait regardée avec une telle dévotion qu'elle n'avait pas eu le cœur à refuser.

Alors non ! Il fallait qu'elle cesse de se comporter comme une poule mouillée. Elle s'était engagée et elle ne pouvait décevoir son père. Pas une nouvelle fois.
Pourtant, c'est en proie à la panique qu'elle se mit à chercher Léo du regard à travers la foule. Elle le repéra finalement, au milieu d'un groupe, en train d'équiper une fillette, en même temps qu'il bavardait avec sa maman.
— Et voilà, mistinguette !
Rapide et efficace, il passait entre chaque enfant afin d'aider les parents à enfiler correctement les gilets de sauvetage.
A quelques mètres de lui, Elisabeth s'arrêta pour l'observer, admirative. Il semblait tellement à l'aise ! Que ce soit avec les enfants – il avait toujours un petit mot gentil, adapté à chacun – ou même avec les parents, avec qui il discutait avec une aisance et un naturel incroyable. Et il dégageait un tel sentiment d'assurance ! En le voyant à l'œuvre, tout paraissait si simple...
Se faisant bousculer au même instant par un groupe de garçons pré-pubertaires, Elisabeth devina qu'en ce qui la concernait, la sortie ne ressemblerait sûrement pas à un jeu d'enfants...
En plus, elle venait de perdre de vue Léo, constata-t-elle après avoir ramassé sa casquette.
Il réapparut soudain près de la barrière en bois, disputant une bataille de crème solaire avec son groupe.
Du moins... leur groupe, se dit Elisabeth, une boule d'angoisse dans la gorge.
Elle se hâta de le rejoindre avant qu'il ne disparaisse de nouveau. Et, n'osant prendre part au combat, elle se contenta de les regarder, un sourire timide aux lèvres.
Un rouquin d'une dizaine d'année appuya sur le tube et Léo se retrouva bientôt couvert d'ambre solaire.
— Mais qu'est-ce que je vais faire de toute cette crème moi, maintenant ? gloussa-t-il, en pivotant sur lui-même.
Lorsqu'il aperçut Elisabeth à sa hauteur.
— Ah, ma nouvelle coéquipière ! Tu tombes à la perfection : tiens, voilà ton cadeau de bienvenue ! lança-t-il, une lueur de malice dans les yeux, en même temps qu'il passait sa main sur la joue d'Elisabeth.

A contre-courantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant