Chapitre 5

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     Étonnée par la douceur de sa voix et son léger accent, Elisabeth leva les yeux dans sa direction. C'est avec surprise qu'elle reconnut Léo, le moniteur qui avait tenté de recoller son collier, quelques jours plus tôt. Visiblement, lui non plus ne s'attendait pas à la trouver ici.
    — Ben qu'est-ce que tu fais là, toi ?
    — Euh, j'ai voulu surfer finalement..., balbutia-t-elle entre deux grimaces déclenchées par la douleur à sa jambe.
    Léo la posa quelques mètres plus loin, à l'abri sous l'avancé de toit du local à surf et s'accroupit à sa hauteur.
    — Je peux ? s'enquit-il en désignant sa jambe.
    Elisabeth approuva d'un hochement de tête. Tandis que Léo massait son mollet, elle le regardait faire, silencieuse. Puis, s'apercevant que son genou saignait, elle ne put s'empêcher de lui demander, inquiète :
    — Dis, ce n'est pas grave, hein ?
    Amusé par la question, il réprima un léger sourire avant de lui répondre que d'ici une demi-heure, elle ne sentirait plus rien. Après quoi, il sortit hâtivement son portable de sa poche et fit la moue. Il s'apprêtait à s'éloigner pour téléphoner lorsqu'il vit le regard anxieux que lui jetait Elisabeth.
    — Je vais passer un coup de fil rapidement. Je reviens, ne t'inquiète pas, la rassura-t-il patiemment. Tiens, en attendant, mets ça.
    Il enleva son sweat et, bien qu'Elisabeth le repoussait, gênée, il insista et le posa doucement mais fermement sur son dos, sans qu'elle n'ose protester une nouvelle fois.
    Claquant des dents, elle se recroquevilla dessous avec joie, tout en prenant soin de ne pas le tâcher : ses deux tibias étaient criblés d'égratignures et son genou gauche saignait à flot. Aussi bien, la plaie était profonde et n'allait pas s'arrêter de saigner avant d'être recousue... Frémissant à cette simple pensée, Elisabeth s'obligea à détourner le regard.
    Au moins, s'il y avait bien une chose qui n'avait pas changée en l'espace de ces trois dernières années, c'était sa phobie du sang et son côté légèrement hypocondriaque.
    De retour, Léo posa une main rassurante sur son épaule.
    — Alors miss, ça va mieux ?
    En vérité, Elisabeth se retenait pour ne pas pleurer. Elle était gelée et trempée par la pluie, son mollet la lançait toujours, et, en plus, du sang ruisselait le long de sa jambe ! Mais, au prix d'un dur effort, elle refoula ses larmes et le gratifia du plus beau sourire qu'elle put – même si, après réflexion, cela devait plutôt ressembler à une grimace.
    Au même instant, un éclair zébra le ciel, aussitôt suivi par un coup de tonnerre. Maintenant, c'était vraiment le déluge. Une forte rafale de vent leur fouetta le visage et la pluie se mit à redoubler. On aurait juré qu'il était vingt-et-une heures : le ciel était tellement sombre qu'il faisait déjà pratiquement nuit. Pourtant, il ne devait pas être plus de dix-huit ou dix-neuf heures.
    Quand le tonnerre se mit à gronder une nouvelle fois, Léo se releva et désigna son dos.
    — Accroche-toi. Je vais te ramener.
    Après une brève seconde d'hésitation, Elisabeth s'agrippa à lui, bafouillant un faible merci. Léo attrapa ses jambes pour la maintenir contre lui puis commença à courir sous la pluie battante. C'est à ce moment qu'Elisabeth sentit une merveilleuse odeur l'envahir, comme un léger effluve de lessive mêlé à une odeur qui n'appartenait qu'à lui. Son parfum sentait tellement bon que, l'espace d'un instant, elle en oublia presque sa douleur au mollet.
    Ils traversèrent la plage, à présent déserte. Un parasol passa bientôt devant eux avant de terminer sa course dans l'eau. La tempête approchait. Heureusement, la maison des Armilhacs n'était plus très loin. Quand, enfin, ils atteignirent le pavillon, Léo la déposa au sol et s'étira les membres, éreinté.
    A l'aide du loquet en bois qui faisait office de sonnette, Elisabeth toqua à la porte puis attendit quelques secondes. Pas de réponse. Elle frappa de nouveau trois petits coups secs avant de se décider à appeler son père de vive voix. Sans succès. Pourquoi ne lui ouvrait-il pas ? En principe, à cette heure-ci, il était en train de préparer le dîner ou de bavarder au téléphone avec son vieil ami Robert – quand il ne faisait pas les deux en même temps !
    Lorsqu'elle se souvint : le matin-même, il lui avait annoncé qu'il dînerait exceptionnellement chez des amis et ne rentrerait que tard le soir. Et bien sûr, elle avait oublié de prendre ses clés.
    Exaspérée, elle marmonna quelques jurons.
    — Allez viens, je t'emmène chez moi. Au moins le temps que ça se calme, ajouta Léo lorsqu'il vit son air embarrassé.
    De nouveau, il la prit sur son dos et repartit à grandes enjambées à travers le village vacances. En chemin, il s'arrêta à la Maison de la Glisse pour récupérer son vélo. Puis, il se mit à pédaler en direction de Lacanau Océan, Élisabeth installée à l'arrière de sa selle. Une dizaine de minutes plus tard, il s'arrêta, ruisselant, devant la porte d'un petit immeuble.

A contre-courantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant