Chapitre 9

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Dimanche 14 juillet 2019

    — Hou punaise, Marge ! J'ai oublié les enfants à l'école, fit la voix nasillarde d'Homer Simpson.
    Dans un soupir, Elisabeth attrapa la télécommande, changea de chaîne à plusieurs reprises puis éteignit finalement la télévision. La pièce se retrouva bientôt plongée dans le silence. En tendant l'oreille, d'où elle se trouvait, Elisabeth pouvait percevoir les bruits venus de l'extérieur. De la musique, des rires et des cris de joie. La fenêtre de sa chambre donnait sur la terrasse où était regroupée la quasi-totalité des vacanciers pour la soirée dansante. La quasi-totalité, sauf elle...
    Au moins, elle ne manquerait pas la vue du feu d'artifice..., remarqua-t-elle amèrement.
    Dire qu'on était le soir du feu d'artifice et la seule chose qu'elle trouvait à faire, c'était passer sa soirée seule devant un écran à regarder des âneries. Pitoyable.
    L'espace d'un instant, Elisabeth resta immobile, assise sur son lit, la tête entre les mains. Puis, elle releva les yeux, jetant un regard circulaire à la pièce. Tout était encore exactement comme avant. Mais, elle prit conscience que, justement, désormais rien ne serait jamais plus comme avant. Le jour de l'accident, lorsqu'elle était tombée de sa planche, l'océan avait englouti avec lui tout ce qu'il restait de la fille qu'elle avait pu être autrefois...
    Sa psyché, face à elle, lui renvoya son reflet. Une fille triste au visage creux et pâle la lorgnait, l'air dépité. Elisabeth soupira. Ce n'était pas trois malheureux surfs à deux mètres du bord qui allaient tout arranger. Il fallait se montrer honnête. Comment avait-elle pu oser croire une seule seconde qu'elle allait passer un bon été, se faire des amis et, encore plus absurde, que, peut-être, Léo daignerait s'intéresser à elle ? Elle allait redevenir une véritable surfeuse et gagner le BigAir Surfing Tour Junior tant qu'on y était ! Cela faisait belle lurette que c'était fini tout ça ! C'était du passé désormais et il fallait qu'elle ouvre les yeux une bonne fois pour toutes !

    A cette simple pensée, Elisabeth sentit ses yeux s'embuer de larmes sans qu'elle ne puisse rien faire pour les contenir. La vie était parfois tellement injuste ! Rien de tout ce qui s'était déroulé cet été-là n'aurait dû arriver... Et à présent, il était trop tard pour revenir en arrière et reprendre le cours de son ancienne vie.
    De temps à autre, elle se laissait aller à rêver qu'un jour, elle aurait suffisamment de cran pour tout plaquer et refaire sa vie ailleurs – au bord de l'océan, évidemment. Adieu la routine parisienne et les études supérieures d'avocate ! Et surtout, elle pourrait tout recommencer de zéro. Devenir une toute nouvelle personne, sans étiquette qui ne lui colle à la peau ou de réputation liée au passé. Elle aurait enfin la chance de pouvoir prendre un nouveau départ. Et peut-être que là-bas, elle trouverait le courage de vaincre sa peur de l'océan et pourrait de nouveau reprendre le surf en compétition. Dans le fond, c'était ce qu'elle désirait le plus au monde. Mais bien sûr, elle savait que, pour le moment, c'était impossible...
    Folle de rage et de chagrin, elle se mit à lancer tout ce qui se trouvait sur son passage. Ses cahiers volèrent à travers la chambre, bientôt suivis par les posters et les médailles, comme si un ouragan avait dévasté la pièce.
    Hoquetant, Elisabeth dut se poser sur sa chaise pour reprendre son souffle. Puis, redoublant de sanglots, elle donna un grand coup de poing rageur sur son bureau. Des coupes tintèrent en se cognant les unes contre les autres avant de tomber violemment au sol. Au même instant, quelque chose d'autre dégringola sur elle, manquant l'assommer.
    — Aille ! C'est quoi ça, encore ? rugit-t-elle, le visage baigné de larmes.
    Elle découvrit un journal – son journal ! Celui qu'elle écrivait quand elle avait quatorze-quinze ans. Soudain piquée par la curiosité, Elisabeth l'ouvrit. Une vieille photo poussiéreuse en glissa. Dessus, une jeune fille avec un surf sous le bras se tenait devant l'océan et regardait droit dans l'objectif, un sourire plein d'assurance, presque arrogant aux lèvres. C'était elle, lors d'une compétition, bien qu'elle ne sache plus laquelle exactement...
    Examinant la photo de plus près, Elisabeth crut reconnaître la Côte des Basques à Biarritz, où s'étaient déroulés les Championnats d'Aquitaine, l'une des dernières compétitions à laquelle elle ait participée. Ce jour-là, sa sœur avait insisté pour la photographier sous tous les angles afin d'essayer son nouvel objectif.
    Nostalgique, Elisabeth se mit à caresser la photographie du bout des doigts. Et, bientôt submergée par les souvenirs, elle sentit sa tension se dissiper peu à peu...

A contre-courantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant