7 - Ken le survivant

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J'ai eu l'impression qu'il venait de m'asséner un énorme coup de massue sur le crâne.

" Attends... quoi ? Mais pourquoi ?

- À cause d'Ambre. "

Le visage de Ken s'est assombri.

" Tu te doutes bien que mon père a été mis au courant quand je me suis fait ça, a-t-il dit en désignant son nez, ma mère l'a appelé juste après m'avoir emmené à l'hôpital. Le truc, c'est qu'elle lui a tout dit, pas seulement la fracture, mais aussi les moqueries, le fait qu'Ambre m'avait volé de l'argent, tout. "

Il a pris une profonde inspiration par la bouche et je me suis demandé bêtement s'il allait un jour pouvoir se remettre à respirer normalement.

" Du coup, mon père est rentré de mission plus tôt exprès pour s'occuper de moi. Il a dit, je ne sais plus, comme quoi il avait honte de moi parce que je me laissais humilier par des donzelles.

- Des donzelles ? Il sort du seizième siècle ton père ? "

Ma remarque n'a pas eu l'air de le faire rire. Depuis le temps que je le connaissais, je n'avais dû voir son père qu'une fois ou deux, et pour cause : il était militaire, je ne me rappelais plus quel grade – Ken avait dû me le dire – et passait au moins la moitié de l'année en mission à l'étranger. C'était sa mère qui l'élevait seule la plupart du temps, et à cause de ça, je savais qu'il n'était pas très proche de son paternel. Impossible de me rappeler à quoi il ressemblait, en revanche je gardais et garde encore le souvenir d'un type sévère, le genre à t'aboyer dessus et à s'attendre à ce que tu respectes à la lettre le moindre de ses ordres. Quelqu'un de très sympa, donc, surtout pour Ken.

" Et il te sort du lycée pour ça ? Qu'est-ce qu'il compte faire, t'envoyer dans un camp de redressement ?

- À peu près. Je vais à l'école militaire. "

Il a eu un petit sourire triste qui s'est aussitôt mué en une grimace douloureuse. Deux grosses larmes se sont formées au coin de ses paupières et ont roulé le long de ses joues. Il m'a tendu le petit ours qu'il avait toujours entre les mains.

" C'est pour toi, a-t-il articulé, je te l'offre en souvenir. "

J'ai baissé les yeux sur la petite peluche. C'était bien son genre de m'offrir un truc aussi cliché. En d'autres circonstances, j'aurais eu envie de rire, mais là tout de suite, j'avais comme une boule dans la gorge, et je n'ai pu que murmurer " merci " en recevant son cadeau.

" Tu ne m'oublies pas, d'accord ? " a dit Ken " Je pars, mais je vais tout faire pour revenir, c'est promis.

- Comment tu veux que j'oublie ? " ai-je dit " Je t'enverrai des messages tous les jours et tu me raconteras tout ce que tu fais : les pompes, les réveils à quatre heures du mat, les snipers, tout. "

Ken a souri. " J'espère qu'il n'y aura pas de sniper. "

J'ai considéré la peluche avant de lever les yeux jusqu'à lui. J'arrive pas à croire qu'il s'en va. C'est pas possible. C'est une blague. Et puis je me suis dit que tout ça, c'était à cause de moi : si je n'avais pas forcé Ambre à lui rendre son argent, si je n'avais pas dû changer de lycée et forcé Ken à me suivre, si je ne m'étais pas faite prendre en train de tricher, rien de tout ça ne serait arrivé.

" Je suis tellement désolée...

- Pourquoi ? Comment est-ce que tu pourrais être désolée alors que j'ai eu la chance de passer du temps avec toi ?

- C'est juste que..." j'ai haussé les épaules et senti les larmes monter. " Je ne veux pas que tu t'en ailles.

- Moi non plus. "

Sweet ToothOù les histoires vivent. Découvrez maintenant