2 - Sur les marches d'escalier

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Je n'ai retrouvé Ken que dans l'après-midi, alors que je venais de rejoindre ma classe pour le cours de physique-chimie. J'avais passé la matinée à attendre à la bibliothèque qu'on retrouve ce fichu formulaire d'inscription. J'étais pourtant persuadée de l'avoir glissé avec le reste dans mon dossier ; mais alors où avait-il bien pu passer ?

Ce n'est que sur le coup de midi, quand je suis retournée en salle des délégués, que Nathaniel m'a informée l'avoir retrouvé et ainsi transmis mon dossier à la directrice. J'allais pouvoir rejoindre le reste de la classe dès l'après-midi. En d'autres circonstances, j'aurais profité du reste de mon temps libre pour me rendre à la cantine, mais les cinq euros que j'avais emportés étaient perdus, envolés avec mon dossier d'inscription. Je suis donc retournée à la bibliothèque et, pour faire passer le temps, ai allumé la console de jeux que j'emportais partout et me suis mise à jouer, cachée derrière mon sac, jusqu'à ce que l'une des documentalistes me grille et me jette dehors.

Puis est venu le moment d'aller en cours et donc, à mon heureuse surprise, de tomber sur Ken.

Il occupait seul une paillasse au premier rang et était le seul élève à avoir déjà sorti ses affaires. Comme s'il avait pressenti mon arrivée, il a tourné la tête quand j'ai franchi le pas de la porte et son visage s'est aussitôt illuminé.

" Hé, Liv ! Tu viens t'asseoir à côté de moi ? "

Je ne me suis pas fait prier pour accepter. Comme je traversais la salle, un groupe de trois filles que je n'avais jamais vues s'est mis à pouffer sur mon passage en me fixant d'un air qui n'avait rien d'aimable. Je me suis efforcée de les ignorer. Qu'est-ce qui les fait marrer comme ça ?

" Enfin je te retrouve, ai-je dit à Ken en m'affalant sur le tabouret vacant à côté de lui, il m'est arrivé des aventures ce matin. "

Tout en sortant mes affaires, j'ai entrepris de lui raconter mes péripéties pour finaliser mon inscription. Mon estomac a émis un gargouillis tonitruant alors que j'en venais à la partie où j'avais dû faire l'impasse sur le déjeuner faute d'argent. J'ai aussitôt pressé une main honteuse sur mon ventre en priant pour que personne n'ait entendu, mais c'était un peu trop optimiste. Ken a baissé les yeux vers mon ventre et, sans un mot, a aussitôt plongé vers son sac dans lequel il a farfouillé un moment avant d'en tirer un paquet de biscuits.

" Tiens, a-t-il dit, sers-toi ! "

La vue des biscuits a immédiatement triplé ma faim, mais j'ai secoué la tête en apercevant du coin de l'œil le professeur débarquer dans la salle. Je me doutais qu'il apprécierait moyennement de me voir manger en plein cours. Ken a rangé ses biscuits en murmurant " tout à l'heure, alors. "

J'ai retenu une envie de rire. Pour autant que je me souvienne, jamais je ne l'avais vu hors de chez lui sans ses précieux Petit Prince. Il pouvait en manger au moins un paquet par jour – au point où je me demandais où, dans son corps un peu chétif, il arrivait à tout caser – ce qui n'avait d'ailleurs pas l'air d'affecter son appétit. Qu'il accepte de partager avec moi ses sacro-saints biscuits en disait long sur l'estime en laquelle il me tenait.

La cloche a sonné, signalant la fin de la pause et le début des cours. Sans enthousiasme, j'ai sorti une feuille volante et ma trousse dans laquelle j'ai eu du mal à retrouver mon quatre-couleurs. Les affaires de Ken étaient quant à elles disposées avec un ordre quasiment militaire : il avait aligné ses stylos, sa règle et sa gomme par taille et par couleur, et son cahier ouvert était annoté à la date du jour, de son écriture en pattes de mouche quasiment illisible.

" Un peu de silence, s'il vous plaît, a réclamé le professeur en inscrivant au tableau l'intitulé du cours, nous allons approfondir ce qui a été fait au cours précédent et étudier les notions de solubilité et miscibilité. "

Sweet ToothOù les histoires vivent. Découvrez maintenant