XI. Maladie

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Quelques jours passèrent, amenant la fin du mois de février avec eux et quelques rayons de soleil annonçant mars. Noraneko ne se sentait pas bien et se shootait presque aux médicaments. Elle manipulait des centaines de gens depuis des années, alors pourquoi c'était avec Keigo que ça la dérangeait le plus ? Elle était allée jusqu'à retirer son collier avec la plume pour le ranger dans le tiroir de sa table de chevet.

— Keigo... fit-elle avant de tousser.

Ses yeux se fermèrent, ses poings se refermèrent sous ses couvertures. Ses pensées replongèrent vers la triste nuit d'hiver où elle était devenue une misérable, une loque. Un être ridicule. Elle revoyait la mort de cet homme, le départ d'un autre. Elle sentait la neige l'engourdir à nouveau. Les mensonges pesaient lourds sur ses épaules.

Quiconque la voyait la regardait avec pitié, se demandant où était passée la grande Noraneko qui avait toujours dirigé la famille d'une main de fer dans un gant de velours. Némée, Tensei et Nekomata ne savaient plus quoi faire, ne savaient comment la remettre sur pied. Ils avaient dû appeler Manami pour qu'elle vienne de Tokyo, mais elle n'avait pu que prescrire des médicaments à la noiraude.

Cette dernière, si fatiguée, si las, se laissa sombrer dans les ténèbres de son subconscient qui lui rappela toutes les misères vécues, faisant grandir son malaise.

Allongée sur le sol, Noraneko, quatorze ans, se releva difficilement en crachant du sang. Combien de coups avait-elle reçus de la part de son père cette fois-ci ? En repensant à son géniteur, elle leva timidement ses yeux dorés vers ce dernier. Il la surplombait, une batte de baseball à la main - l'objet était taché du sang de l'adolescente, créant des roses ensanglantées sur le bois.

Seize ans, elle se tenait devant Tensei pour prendre les coups à sa place sous les cris de sa mère. La noiraude attendait que ça passe en protégeant son frère. Personne ne pouvait protester du mauvais traitement, leur famille avait toujours fonctionné ainsi, alors... Pourquoi ça changerait ? Noraneko était une si mauvaise fille qu'elle s'infligeait d'autres punitions dans la pénombre.

Dix-sept ans, elle attendait à la maison avec Tensei que leurs parents ne rentrent d'une énième réunion avec des particuliers - plus tard elle apprendrait qu'il s'agissait de scientifiques sous la supervision de tante Manami pour la mise au point d'une drogue. Les parents tardaient alors ils avaient mangé sans eux. Et puis, vers vingt-deux heures, Noraneko attendait encore tandis que son petit frère dormait paisiblement dans sa chambre. L'arrivée de Tora au lieu des parents Kosugi lui fit comprendre que ses chaînes étaient tombées. Enfin...

Les chaînes étaient-elles vraiment tombées ? Prisonnière de son nom de famille, elle le faisait perdurer encore aujourd'hui, agissant exactement comme ses parents à la différence qu'elle ne touchait qu'à ceux qui l'avaient réellement mérité. Mais qui décidait de ça ? Et si ceux qui voulaient la descendre n'étaient que le karma qu'elle méritait ?

D'autres souvenirs affluèrent tandis que l'on s'agitait autour d'elle. Les voix parlaient d'un héros qu'il fallait ramener à tout prix, que lui seul pouvait soulager le subconscient de l'hybride qui ne guérissait pas.

Dix-huit ans, elle se tenait face au Clan, son masque sur le visage. Tora, Némée, Hana et Manami à ses côtés, Tensei dans l'ombre. Elle parlait, mais sa voix ne suivait pas les mouvements de sa bouche, elle ne se rappelait pas du discours prononcé, seulement de ceux qui lui avaient juré fidélité.

Vingt ans, elle exigeait que l'on tue, que l'on torture. Elle regardait à peine le contenu des trafics hérités des parents, il fallait de l'argent pour permettre à Tensei d'échapper à cet étrange enfer fait de roses de sang et de chats hurlant à la mort.

Vingt-et-un ans, la drogue et les armes se vendaient lors des soirées faites pour rappeler qui elle était aux gens. Les danses étaient accompagnées par une ou plusieurs morts, histoire de battre le fer tant qu'il était chaud. La main de fer dans le gant de velours prenait forme.

Vingt-trois ans, où en était-elle donc ? Elle avait découvert des anomalies dans le trafic de drogues, avait rencontré Hawks. Elle avait imaginé le plan qu'elle mettait en place à présent, perdant son bel oiseau au passage. Ce n'était que justice pour toutes ces vies qu'elle avait piétinées sans remord, sans regret.

— Noraneko ! l'appela Tensei en la secouant.

Noraneko avait chaud, si chaud, son corps la brûlait de l'intérieur, la consumait sans laisser ses pensées respirer. Des mains douces remplacèrent les appels de son frère, lui mettant une serviette froide sur le front, calmant le tourbillon de souvenirs dans son crâne. Elle n'ouvrit pourtant pas les yeux, miaulant comme un chaton pour recevoir davantage de froid sur sa peau brûlante.

— Calme toi, tout va bien, murmura une voix d'homme en dégageant son front des mèches noires.

L'homme prit la main de l'hybride qui affermit faiblement sa prise dessus, trop faible pour s'agripper. On s'agita dans la pièce, la porte claqua lors du départ d'une ou plusieurs personnes ; l'homme était toujours là, à lui tenir la main et à remplacer les serviettes sur son front.

La jeune femme ouvrit péniblement les yeux tard dans la soirée. La lune brillait dans le ciel et dardait ses rayons d'argent dans la petite chambre. La femme-chat aperçut des plumes rouges, croyant rêver, elle les effleura du bout des doigts avant de sursauter lorsque celles-ci bougèrent. Des cheveux blonds apparurent sous les rayons de lune tandis que le regard doré de l'oiseau plongeait dans celui de la malade.

— Keigo..? murmura-t-elle, osant à peine y croire.

— Tout va bien, je suis là, dit-il doucement en l'aidant à se redresser pour s'asseoir.

Elle se jeta dans ses bras, le serrant aussi fort qu'elle le pouvait contre elle. Le héros se rendit compte, en la serrant doucement, qu'elle avait maigri : il sentait ses côtes sous ses doigts, voyait les clavicules plus marquées qu'avant. Noraneko s'agrippait à lui comme à une bouée de sauvetage, refusant de le lâcher par peur qu'il ne s'envole comme la dernière fois, en la laissant derrière.

— Je suis désolée... pleura-t-elle.

— Tout va bien. Tout va bien, répéta Hawks en la laissant pleurer.

Like a dr*g || MhaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant