Chapitre 2 - Face-à-face

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Jordan n'avait rien répond au texto du Premier Ministre. Que le sous-fifre d'Emmanuel Macron vienne le féliciter en personne lui semblait totalement lunaire et déplacé. Ça n'avait aucun sens et il ne préférait pas tomber dans les pièges puérils des macronistes.

Déboussolé sur le moment, il avait vite oublié ce message et avait préféré se préoccuper de l'essentiel : à savoir la campagne qui le mènerait indéniablement au poste de Premier ministre et dégagerait une bonne fois pour toutes Gabriel Attal de la scène politique.

Il n'avait pas de temps à perdre avec les montages grossiers et les deepfakes des macronistes, qui passaient plus de temps à taper sur le programme des autres qu'à défendre le leur.

Alors, quand l'heure du premier débat sonna, Jordan avait d'autres choses en tête. Il arriva une quarantaine de minute en avance au siège de TF1 et s'enferma dans sa loge avec son équipe. Derniers préparatifs, dernières corrections, vérifications, l'heure était plutôt à la concentration. Perdu dans ses pensées, Jordan grignotait ses barres de céréales et relisait les fiches confectionnées par ses équipes. Il connaissait tout les aspects de son programme, sans aucune erreur et il était parfaitement en capacité de défendre le projet qu'il avait pour la France.

Ce soir, Gabriel Attal allait perdre douloureusement et le RN allait largement l'emporter aux législatives la semaine suivante. C'était écrit.

Jordan regarda l'heure. Encore un bon gros quart d'heure avant le début de l'émission. Il était passé par la case maquillage et son équipe l'avait presque prié pour qu'il ne grignote pas et fasse tout planter. Il eut envie de prendre un peu l'air et décida d'aller se rafraîchir sur le balcon, situé dans la grande salle voisine. Voir toute son équipe se précipiter au dernier moment pour corriger tel ou tel chiffre l'agaçait. Il avait besoin de calme.

- Je vais prendre l'air 5 minutes, je reviens, dit-il à son équipe. Ils hochèrent la tête sans lever la tête de leurs feuilles.

Il claqua doucement la porte et, rivé sur son téléphone, prit machinalement le chemin de la terrasse. Jordan avait l'habitude des plateaux télés et maintenant que c'était devenu son quotidien, il connaissait les locaux par coeur.

Il faisait un peu frais pour un mois de juin mais cette brise légère allait lui faire le plus grand bien avant d'entrer dans la fosse aux lions. Et la vue plongeante sur la capitale depuis le haut de la tour TF1 était particulièrement spectaculaire. Il appréciait ces moments seuls où il pouvait observer Paris de nuit.

En arrivant, il remarqua qu'il n'était pas seul. Une silhouette observait la vue et semblait elle aussi profiter du spectacle. Elle ne se retourna pas quand Jordan rejoignit la terrasse. Et ne bougea même pas d'un poil. Le président du RN haussa les sourcils. Généralement il ne croisait jamais personne, encore moins à 10 minutes d'un débat crucial. Toutes les équipes de la chaîne étaient en train de courir partout en bas et il avait le quartier libre. Ça, c'était d'habitude. Ce soir, quelqu'un venait contrecarrer ses plans.

- Bonsoir, Monsieur Bardella

Jordan se figea. Il venait tout juste de reconnaître Gabriel Attal au moment où il s'était rapproché davantage mais le Premier ministre, le dos tourné, l'avait pourtant déjà reconnu. Le président du RN se pinça les lèvres et afficha tant bien que mal une mine polie pour cacher son étonnement quand son adversaire se retourna pour le saluer.

- Monsieur Attal, je ne m'attendais pas à vous croiser ici, sourit Jordan en serrant sa main.

Elle était glacée. Le Premier ministre devait être dehors depuis un bon moment. Il avait même les joues un peu rosies par le froid. Son costume, lui, était toujours impeccable. Son adversaire était particulièrement soigné ce soir. Il avait mis toutes les chances de son côté. Jordan se surprit à l'observer en détail.

- La terrasse de TF1 n'est pas encore au nom de Bolloré, vos adversaires ont encore le droit d'y mettre un pied il me semble, répondit Attal avec un sourire en coin.

Jordan souffla du nez. Touché.

- Vous me reconnaissez au son de mes pas maintenant, Monsieur le Premier ministre ? demanda Jordan en retournant la conversation à son avantage.

Le fait que son adversaire l'ait reconnu de dos l'intriguait et il voulait pousser l'échange plus loin. Quelque chose planait dans l'air, quelque chose que pour l'instant Jordan ne comprenait pas vraiment. Est-ce que Gabriel Attal savait qu'il venait ici ? Est-ce qu'il l'attendait ?

- Comme vous préférez rêvasser sur les balcons plutôt que préparer vos débats, je m'attendais à ce que vous veniez ici en effet, tacla Gabriel Attal. Cette fois-ci, son sourire en coin avait disparu.

- Vous êtes bien en forme ce soir, qu'est-ce que je dois en conclure ? demanda Jordan en essayant de déchiffrer l'attitude du Premier ministre, qui semblait à la fois tendu mais aussi presque joueur.

Il s'appuya sur la rambarde du balcon et regarda son adversaire dans les yeux. La situation l'amusait mais ne pas savoir à quoi jouait Gabriel Attal le frustrait. Il chercha dans ses yeux un indice mais ne parvenait pas à soutenir son regard. Le Premier ministre fuyait son regard puis venait s'y raccrocher. Étrange.

- N'essayez pas, vous n'aurez pas le débat avant le débat, lui répondit simplement le Premier ministre en détournant une énième fois le regard. Il mit ses mains dans ses poches et embrassa d'un large coup d'oeil la vue de la capitale. Puis il reposa ses yeux sur le président du RN, indéchiffrable.

Touché une deuxième fois.

Jordan se souvenait que c'était la phrase qu'il lui avait répondu il y a quelques années, quand Gabriel Attal était un simple ministre à cette époque. Il avait tenté, en vain, d'aborder un sujet sensible en coulisses pour espérer gratter des informations. Jordan n'avait pas été dupe.

C'était une période où les deux hommes débattaient l'un contre l'autre quasiment tous les jours. Bardella avait fini par s'imposer mais Attal n'avait jamais baissé les bras et s'était révélé surprenant. Voire presque stupéfiant par moment tant il était combattif pour quelqu'un qui se savait grand perdant d'avance. C'était la raison pour laquelle Jordan éprouvait un profond respect pour lui, tout en dénonçant son projet politique infâme et dangereux.

Gabriel était un homme loyal et surdoué. En quelque sorte, il se retrouvait un peu en lui.

- Très bien, concéda Jordan. Dans ce cas, vous me direz ça tout à l'heure, dit-il avec un grand sourire, presque impatient.

L'ambiance du débat était déjà pesante sur les deux hommes. Ça allait être un grand soir, assurément. Si Jordan avait pu se frotter les mains d'impatience, il l'aurait fait.

- Ne vous en faites pas, savourez ces dernières minutes de calme, je pense que vous serez très surpris ce soir, dit fermement Gabriel Attal.

- Surpris dans quel sens ? releva Jordan, mi-amusé, mi-intéressé

- Vous verrez bien, c'est tout. Ne soyez pas si imbu de vous-même, vous valez mieux que ça, répondit le Premier ministre en quittant le balcon.

Jordan le regarda s'éloigner et rejoindre sa propre loge. Il n'avait pas saisi les sens cachés de la conversation - s'il y en avait réellement - mais une chose était sûre, ce débat s'annonçait comme plein de surprises.

Il avait hâte, quelque part, de cette énième confrontation. Il sentait que cette fois, quelque chose allait changer. L'attitude du Premier ministre l'intriguait, leur échange avait été des plus surprenants et au fond de lui, le président du RN s'était surpris à apprécier ces piques. Cette joute avant l'heure. Ça le changeait de d'habitude. Peut être qu'il était temps de sortir des sentiers battus.

Il frissonna.

NOTRE FRANCE - Bardella x AttalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant