DilEmma

Chapitre 37

 A la surprise générale – en commençant par la sienne – ce fut Emma qui prit les devants. Elle se recentra sur la philosophie qui lui avait toujours permis d'avancer : y aller étape par étape. Jo et elle s'étaient mentalement préparées pour le tournage d'un premier baiser. Et justement, il fallait bien commencer par un baiser pour cette scène : elles n'allaient pas s'allonger sur le lit et se cacher sous les draps en faisant de grands gestes pour la caméra. Avant tout, il fallait s'embrasser. C'était la première étape. Certes, devant des caméras, mais elle devait en faire abstraction et elle s'accrocha donc à cette marche plus simple pour commencer à gravir cet escalier qui paraissait insurmontable...

Elle fixa du regard sa main pour se rappeler que ce n'était pas la sienne, mais celle de Laura. Embrasse comme ton personnage embrasserait : c'est elle qui embrasse, pas toi. Elle laissa donc sa main glisser le long du bras de Jo... non, de Cécile. Ses doigts remontèrent ainsi lentement jusqu'au cou, où avec un naturel déconcertant, sa paume épousa le contour gracile tandis que ses phalanges se plaquaient à l'arrière, sur la nuque. Comme si leur place était là. Comme si elle avait toujours été là. Le cœur de Jo fit un bon, qui se ressentit dans chaque veine de son corps, y compris la jugulaire qui battait sous la main d'Emma. Le battement se répercuta contre elle, voyagea par elle, en elle, et les deux rythmes cardiaques s'unirent. La fusion des corps avait commencé par ce geste tendre mais d'une sensualité extrême dans sa simplicité. Impossible de dire si la main d'Emma amena vers elle le visage de Jo, ou bien si l'initiative vint de l'actrice. Toujours est-il que les deux visages se rapprochèrent lentement. Non pas par hésitation, mais par délectation : les yeux marron-vert de l'anglaise avaient pris encrage dans ceux plus sombres de l'autrice, et elles se dévoraient ainsi. Les regards reflétaient tout ce que leurs esprits faisaient déjà à l'autre : les vêtements enlevés, la sensation du tissu qui glisse et tombe, le vide de l'air rempli par la peau de l'autre venant se coller... Tout se passait déjà dans cet échange de regards. Plus les lèvres se rapprochaient, plus le souffle chaud qu'elles exaltaient pénétrait l'autre, déversant une chaleur à la fois douce et torride dans chaque cellule du corps d'en face.

Puis le moment fut stoppé à seulement quelques millimètres. Les deux femmes avaient machinalement baissé les yeux vers le bas du visage de l'autre, et les remontaient à présent pour fixer à nouveau l'âme qu'elles avaient devant elles. Le Temps se figea. Fallait-il prendre ce risque inconsidéré ? Franchir ces ultimes millimètres changerait tout, elles le savaient. Elles goûteraient alors à l'autre, et sans même avoir besoin de le faire, elles savaient déjà que le délice serait tel qu'elles ne pourraient plus jamais goûter à personne d'autre. Les yeux brillants par l'ardeur des flammes qui les habitaient ne faisaient qu'appuyer le supplice de l'attente... Au point que les corps prirent le dessus : le crépitement des deux bassins envoya une vague d'hormones qui stoppa net toute pensée. Les yeux se fermèrent sur toutes leurs questions, et, enfin, les lèvres se rencontrèrent.

Doucement d'abord, comme pour tester le goût de chaque particule, ne pas prendre le risque de ne faire qu'une bouchée sans qu'il ne reste rien. L'une comme l'autre voulait savourer autant le moment que la personne. Mais tout était tellement bon que l'avidité vint se joindre à la douceur. Les lèvres s'ouvrirent pour laisser passer la langue de l'autre, pour l'inviter, pour la supplier de cette première pénétration délicate. Emma laissa aller un ballet « langue-heureux » qui fit chavirer Jo. Cet échange de baiser dépassait à lui seul tous les rêves qu'elle avait pu faire. Elle sentit perler quelques gouttes de sueur sur sa peau, la fièvre l'ayant lentement gagnée. Elle avait chaud, bien trop chaud, et sentait cette même chaleur émaner d'Emma. Soucieuse de ne pas vouloir mettre sa partenaire mal à l'aise, elle commença à déboutonner son propre chemisier, mais la jolie brune posa sa main sur les siennes. Elle sentit la douceur de ses doigts sur sa peau et se laissa faire.