Chapitre 17

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 Emma n'arrêtait pas d'enrouler le bas de sa chemise autour de son index tout le long du trajet en ascenseur. Mon Dieu. Elle était finalement arrivée. Elle était finalement là. Mais elle devait se ressaisir. Il était hors de question qu'elle donne l'image d'une abrutie hébétée comme un lièvre devant les phares d'une voiture. Non pas que les lièvres soient abrutis, non. Ce n'est pas ce qu'elle voulait dire. Même s'ils ont un cerveau de la taille d'une noix... C'est d'une noix ? Oh non, voilà ses pensées qui galopaient comme ce maudit lièvre ! Elle savait que cela reflétait son discours décousu lorsqu'elle était impressionnée, ou mal à l'aise. Sa femme en avait d'ailleurs fait les frais à plusieurs reprises au début de leur relation, lorsque, les papillons au ventre, Emma voulait lui dire qu'elle l'aimait ou bien qu'elle voulait aller plus loin dans leur relation...
Concentre-toi, pensa-t-elle. Agis en adulte. Fais abstraction de l'actrice mondialement célèbre et ne vois que la potentielle incarnation de ton héroïne...
Elle fit tellement abstraction qu'elle ne vit même pas le Cerbère derrière son comptoir. Elle ne reprit ses esprits que devant la porte de la salle de réunion, alors qu'Anne tournait la poignée. Elle aurait aimé lui dire d'attendre, mais elle ouvrait déjà la porte. Elle la suivit, referma derrière elle, puis se tourna vers la salle. C'est là qu'elle la vit.
Une décharge la parcourut de la tête aux pieds, lui arrachant le cœur au passage. Elle aurait juré qu'il venait de s'arrêter de battre. Ou bien au contraire, qu'il venait de connaître sa première pulsation. Sa première vraie pulsation. Quant à son souffle, il ne savait plus dans quel sens il devait aller et elle resta en apnée sans même s'en rendre compte. Les bruits qui l'entouraient semblaient étouffés dans du coton, et tout se suspendit un instant. Jusqu'à ce moment, elle ne savait pas que le temps pouvait réellement se suspendre et laisser sentir le vide que cela impliquait sous ses pieds. A mi-parcours entre l'élévation et la chute, Emma ignorait à ce moment précis son haut, son bas, sa gauche, sa droite... ou plus exactement, tous semblaient réunis juste là, devant ses yeux, dans cette femme. Son corps ne lui obéissait plus, et ses yeux se laissaient aller à vouloir inscrire chaque brin de cheveux sur leurs rétines, chaque légère tâche de rousseur à peine visible, la silhouette parfaite qui se dessinait dans ces vêtements au style à la fois classe et détendu, entre un chemisier de soie vert émeraude et un pantalon de costume gris aux rayures blanches...

« Tu serais d'accord ? »

La voix d'Anne lui donna l'impression d'un hameçon l'agrippant dans les entrailles pour l'extirper de cette douce brume atemporelle.

« Je... euh... D'accord pour... ?
- Pour donner la réplique.
- Donner la répli... quoi ?! »

Aux mots de son interlocutrice, son esprit venait de réintégrer pleinement et abruptement son corps.

« Oui, tu as passé la matinée à écouter les autres le faire, tu connais le script par cœur, tu sais ce que les personnages ressentent. Qui mieux que toi pour donner la réplique ?
- Une actrice je dirais. Une vraie actrice.
- Je suis certaine que vous serez absolument parfaite. Et pour ne rien vous cacher, ce serait un véritable honneur pour moi. »

Mais comment pouvait-on avoir une voix aussi envoûtante ? Emma avait l'impression que les mots venaient l'envelopper, l'enlacer... Elle savait bien que face à cela, elle pourrait tenter de résister, mais elle ne pourrait jamais refuser quoi que ce soit à cette voix. Elle ne savait d'ailleurs pas quoi répondre, ni comment répondre : un « honneur » ? Etait-ce ironique ?

« Vous vous moquez... souffla-t-elle comme elle pu en tentant de conserver le peu d'assurance qu'elle pouvait avoir
- Pas du tout, se défendit Jo. Donner la réplique à l'auteure elle-même serait un véritable honneur. J'ai tellement aimé votre livre, je n'ai pas pu m'empêcher de le lire plusieurs fois ! Je me suis vraiment attachée à vos personnages et à votre écriture...
Et à vous, aurait-elle pu rajouter.
- Eh bien voilà qui est une affaire conclue, coupa Claire qui n'en pouvait plus de cet échange de politesse. Allons-y si vous voulez bien ! »

DilEmmaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant